Marketing antisida

Lancement, en Afrique du Sud, de LoveLife, une campagne de prévention unique en son genre. Elle ambitionne de changer non pas uniquement les comportements, mais la mentalité même des jeunes.

Publié le 4 août 2003 Lecture : 5 minutes.

Selon l’Onusida, un Sud-Africain adulte sur cinq est porteur du virus du sida. Le taux de prévalence est de 20,1 %, et son augmentation est l’une des plus rapides de la planète. Or tout le monde ou presque connaît les modes de contamination et la façon de s’en préserver. La journaliste américaine Helen Epstein, spécialiste des questions de société, s’est interrogée dans The New York Review of Books sur l’étonnante placidité des Sud-Africains vis-à-vis de leur propre santé. Sa réflexion l’a conduite à analyser une initiative de sensibilisation unique en son genre en Afrique australe, l’opération LoveLife.
Les campagnes classiques d’information sur la maladie et les moyens de s’en préserver mettent souvent l’accent sur l’utilisation du préservatif. Certaines encouragent à limiter le nombre de partenaires, d’autres vantent les vertus de la fidélité, voire prônent l’abstinence. Elles s’adressent, de façon spécifique, à des populations particulières, comme les travailleurs itinérants ou les jeunes urbains. En 1990, une vaste opération d’information a été lancée à destination des ouvriers dans les mines d’or et de diamant. Théâtre réaliste, concerts, séances d’information et distribution gratuite de préservatifs, aucun effort n’a été épargné. Bilan, au bout de cinq ans, de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) : fiasco. Le taux de transmission du virus n’avait pas bougé d’un iota dans ladite catégorie socioprofessionnelle.
Les spécialistes se sont penchés sur cet échec et sont arrivés à la conclusion suivante : il manquait peut-être l’essentiel, c’est-à-dire une action sur les mentalités des personnes visées et non pas uniquement sur leurs comportements. Il faut imprégner le milieu social avec l’idée-force : le sida est le pire fléau que nous ayons à craindre.
En se fondant sur cette observation, un groupe d’experts sud-africains, auxquels s’est jointe une petite équipe américaine, décident, en 1998, d’entreprendre une campagne inédite, destinée à « révolutionner » la mentalité des jeunes vis-à-vis de la maladie. Ils adjoignent à leur réflexion une contrainte, et non des moindres : prendre en compte l’attitude des pouvoirs publics et donc éviter soigneusement le domaine très controversé de la transmission et du traitement.
En effet, les études le montrent, le seul fait que le gouvernement rechigne encore à reconnaître l’efficacité des trithérapies, voire à remettre en question les modes de transmission du virus, a une influence profonde sur les états d’esprit. L’action d’une organisation non gouvernementale (ONG), si dévouée soit-elle à la cause, se révèle inefficace si la plus haute autorité de l’État a des doutes. Comment, dans ces conditions, rendre une campagne efficace ? L’équipe qui a conçu l’opération LoveLife (« Amour de la vie ») aura du mal à mesurer l’impact de son concept, car les jeunes auxquels il s’adresse sont aussi en contact avec des campagnes traditionnelles. Malgré cela, ils ont convaincu sans peine plusieurs personnalités de leur donner un coup de pouce pour démarrer : l’ancien président Nelson Mandela, bien sûr, mais aussi Mgr Njongonkulu Ndungane, l’archevêque du Cap, les anciens présidents américains Jimmy Carter et Bill Clinton, le roi des Zoulous et même l’actuel vice-président Jacob Zuma et Zanelle Mbeki, l’épouse du chef de l’État. LoveLife est dotée d’un confortable budget de 20 millions de dollars par an, récolté notamment auprès de l’Unicef et de la Fondation Bill et Melinda Gates. Mais, si l’objectif est simple à énoncer, il est toutefois terriblement compliqué à réaliser : modifier la mentalité des jeunes vis-à-vis de la maladie.
LoveLife s’inspire donc directement de la technique de marketing utilisée par Coca-Cola ou Harley Davidson dans les années 1960 et exhumée avec succès par Sprite au milieu des années 1990. David Harrison, le directeur de l’opération, est convaincu que l’on peut créer vis-à-vis de la fidélité et de l’abstinence le même genre de réflexe que celui qui pousse un jeune à s’acheter un jean alors qu’il n’en a pas besoin, simplement parce que le mannequin qui le porte est jeune, beau et qu’il respire la joie de vivre. Il s’agit autant de vendre le produit que de créer un style de vie et de comportement propice à l’achat – ou à l’action. LoveLife se fait donc connaître par des affiches, plutôt sexy, où l’on voit des mains de différentes couleurs posées sur le dos nu d’un homme, avec un slogan : « Pas de problème ». On retrouve l’image dans les magazines et dans des spots publicitaires diffusés à la radio, à la télévision ou au cinéma.
La trouvaille de David Harrison est d’avoir mis en place un réseau de lieux de rencontres, les Y-Centers, où les jeunes viennent jouer au basket, au volley, prendre des cours de break-dance, d’animation radio ou d’informatique. Ils sont animés par d’autres jeunes, sympas et bien dans leur peau, qui ont pour mission de ne pas rater une occasion de vanter les mérites de l’abstinence et de la fidélité. Pour s’inscrire, il faut suivre un court séminaire sur un sujet relatif à la sexualité ou à l’estime de soi, un domaine en étroite corrélation avec les comportements sexuels. Les Y-Centers ne fournissent aucune aide aux malades, mais les orientent vers d’autres organismes susceptibles de leur fournir aide ou médicaments. En revanche, on y discute beaucoup.
Les animateurs ont une consigne : parler du sida comme d’une catastrophe qui n’arrive qu’aux autres, mais amener leurs interlocuteurs à acquérir la ferme intention de ne jamais se retrouver dans cette dramatique situation. En cela, le programme LoveLife intègre à son profit une particularité sociale sud-africaine importante, issue peut-être de l’attitude du gouvernement : la négation de la maladie. Petit à petit, les jeunes sont amenés à dire qu’ils ont dans leur entourage une soeur, un père mort du sida, et c’est sur le registre de l’émotion, voire du chagrin, que va se créer et se consolider l’envie de se protéger.
Au bout du compte, il apparaît que les casquettes publicitaires, les tee-shirts bariolés et les paniers de basket ne sont là que pour appâter le « client ». L’arsenal « coercitif » est embusqué derrière.
Les détracteurs du programme voient dans cette complexité les limites de l’opération. LoveLife s’adresse à une catégorie de jeunes déjà privilégiée par l’éducation et dotée d’un certain niveau de vie. La vie des gosses des townships est trop dure pour leur donner la possibilité et la liberté d’esprit de jouer au volley, de parler du sida et d’en conclure qu’il vaut mieux jouer la carte de l’abstinence ou de la fidélité. Ils ont besoin qu’on les aide de façon plus concrète. Mais c’est peut-être là le rôle d’autres programmes antisida. L’adversaire étant polymorphe, il faut le combattre de différentes façons.

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