Luiz Inácio « Lula » da Silva

Construire un axe Sud-Sud pour négocier en position de force avec le Nord, tel est lepari du président brésilien. Et l’objet de sa première tournée africaine.

Publié le 4 août 2003 Lecture : 6 minutes.

Luiz Inácio da Silva, dit « Lula », premier président de gauche du Brésil depuis le 1er janvier 2003, prend le chemin de l’Afrique subsaharienne. Du 6 au 12 août, il visitera le Mozambique, l’Afrique du Sud, la Namibie, São Tomé e Príncipe et terminera par l’Angola. Car Lula se devait de se rendre en Afrique, l’une des mères du Brésil, première nation noire du monde après le Nigeria, puisqu’on y dénombre 76 millions d’Africains-Latino-Américains sur 178 millions d’habitants. Il avait d’ailleurs exprimé cette solidarité devant cent mille personnes rassemblées dans le cadre du Forum social mondial en s’écriant : « Nous voulons un nouvel ordre économique, car les enfants d’Afrique, tout comme ceux d’Amérique latine, ont le droit de manger comme ceux du Nord. » À l’occasion de la réunion du G8 à Évian, en juin, il n’avait pas caché son intention de construire un front des pays du Sud pour négocier en position de force avec le Nord : « Nous n’avons pas à attendre que les pays riches nous invitent à leurs réunions, avait-il déclaré, mais nous devons nous entendre entre nous sur les politiques commerciales et culturelles que nous pouvons mener de concert. » C’est donc avec l’Afrique qu’il commence la mise en place de cette stratégie annoncée.
Né le 27 octobre 1947 à Garanhuns, dans le Nordeste déshérité du Brésil, Lula n’était pas promis à beaucoup d’avenir : septième d’une famille de huit enfants dont la mère avait décidé, en 1956, de partir pour São Paulo pour ne pas crever de faim, il commence à travailler dès l’âge de 12 ans. Il est employé dans une blanchisserie, cire les chaussures, fait le coursier. Plus tard, il suit une formation de tourneur ; le voilà métallo dans les plus grandes entreprises de São Paulo. Il y perdra un doigt, broyé par une machine. Très tôt, il se syndicalise et gravit les marches de l’appareil. En 1969, il est élu à la direction de son syndicat. Son talent de tribun, son charisme, son zézaiement même lui attirent les suffrages de ses camarades : en 1992, il est élu président du syndicat avec 92 % des voix.
La dictature militaire (1964-1985) interdit l’expression de toute revendication sociale. Lula n’en organise pas moins grève sur grève. À la fin des années 1970, il se persuade qu’aucun parti politique ne peut soutenir les revendications ouvrières et fonde avec d’autres militants d’extrême gauche le Parti des travailleurs (PT), en 1980. Une nouvelle grève lui vaut trente et un jours de prison.
En 1986, il est élu député du PT : c’est le début de la longue marche vers le pouvoir. Elle n’est pas triomphale du tout. Son programme révolutionnaire ne convainc pas aux élections présidentielles de 1989, 1994 et 1998, et il est battu. À l’approche du scrutin d’octobre 2002, Lula change de tactique. Il remise sa chemise à carreaux et adopte le costume-cravate, qui ne lui va guère, mais qui rassure. Il crie toujours qu’il ne peut y avoir « de développement sans justice sociale » ; il promet à ses compatriotes emploi, recul de la misère, logements, santé et éducation, promesses résumées dans le slogan « Faim zéro, analphabétisme zéro, favelas zéro ».
Mais il abandonne la position du PT, qui prônait l’arrêt du paiement de la dette dès son arrivée au pouvoir ; le candidat Lula déclare le contraire. Il prend comme colistier, pour la vice-présidence, un chef d’entreprise.
Et ça marche ! Il parvient à fédérer des courants de pensée et des milieux très disparates, où l’on trouve ses frères syndicalistes, les paysans sans terre, les écologistes, les féministes, les trotskistes, les chrétiens de gauche, mais aussi bien des entrepreneurs et une partie de la bourgeoisie que rassure son programme de lutte contre le crime organisé et la corruption. Il profite d’un rejet massif de l’ultralibéralisme imposé à l’Amérique latine par les États-Unis. Il l’emporte par 61,27 % des voix, le
% des voix, le
27 octobre 2002.
Pour l’heure, Lula continue à connaître une période d’état de grâce peu ordinaire. Grâce aux paradoxes de sa politique et de son discours. D’un côté, il suscite un formidable
espoir chez les plus démunis en se faisant leur porte-parole Pour l’heure, Lula continue à connaître une période d’état de grâce peu ordinaire. Grâce aux paradoxes de sa politique et de son discours. D’un côté, il suscite un formidable
espoir chez les plus démunis en se faisant leur porte-parole : oui, il veut faire reculer l’extrême pauvreté qui touche près de 63 millions de Brésiliens ; oui, il veut une réforme agraire qui confie aux crève-la-faim les terres inutilisées par les entreprises multinationales ; oui, il relancera le Mercosur, le Marché commun du sud de l’Amérique latine, pour faire pièce à la Zone de libre-échange des Amériques (ALCA) chère à Washington. Le président sénégalais Wade n’a pas complètement tort d’ironiser sur de telles conceptions qui « se rapprochent de celles de l’abbé Pierre »…
D’un autre côté, l’ex-gauchiste se montre d’un remarquable pragmatisme. Non seulement il rembourse rubis sur l’ongle la dette extérieure de son pays, mais il conduit une politique qui lui vaut les félicitations du Fonds monétaire international (FMI) : taux d’intérêt très élevé (26,5 %), coupes dans les dépenses budgétaires, y compris sociales, pour limiter les déficits. Il se lance dans une réforme du système des retraites de la fonction publique, qui ressemble étrangement à celles en cours dans la vieille Europe : recul de l’âge de la retraite, réduction des avantages acquis, alignement sur le secteur privé. Des millions de fonctionnaires font grève au mois de juin et descendent dans la rue pour protester : il maintient le cap en négociant quelques aménagements.
Le résultat est donc ambivalent : certains de ses électeurs commencent à se dire déçus, alors que les investisseurs étrangers s’émerveillent de son social-libéralisme. C’est d’ailleurs ce que Lula souhaite : à Washington, Paris, Madrid ou Genève, il montre le visage rassurant d’un pays raisonnable, qui a un besoin urgent d’investissements pour lui permettre de réussir une « révolution tranquille ». En attendant une croissance qui se fait désirer, la monnaie nationale, le real, a regagné un tiers de sa valeur, et le FMI ne devrait faire aucune difficulté pour lui attribuer un nouveau prêt de 4,2 milliards de dollars.
Selon Pedro Motta, directeur du département Afrique au ministère brésilien des Affaires étrangères, la visite de Lula sur le continent ne représente que la première étape de la nouvelle politique « sudiste » du Brésil. Le commerce y tiendra une place importante, notamment au cours du séjour en Afrique du Sud, pays industrialisé avec lequel les échanges sont équilibrés et se multiplient : ils sont passés, en deux ans, de 450 millions à 700 millions de dollars dans chaque sens. Avec l’Angola et São Tomé, nul doute qu’on parlera pétrole, car le Brésil n’importe que 10 % de sa consommation pétrolière, mais 36 % de ses importations proviennent d’Afrique subsaharienne, où la compagnie brésilienne Petrobras est bien implantée. La coopération prendra d’autres formes : par exemple, le Brésil propose d’aider la Namibie à évaluer ses ressources en matière de pêche océanique et le Mozambique à fabriquer des médicaments contre le sida. « Notre gouvernement veut aussi faire profiter l’Afrique de notre savoir-faire dans le domaine de la recherche agronomique et de notre système de « bourse-école » pour lutter contre l’analphabétisme, ajoute Pedro Motta. D’autre part, nous avons pris conscience que le Brésil et l’Afrique se faisaient concurrence en matière de café et de produits de base et qu’il serait préférable de travailler ensemble. »
Car les maîtres mots de la première visite – il y en aura d’autres – de Lula en Afrique seront : « travaillons ensemble ».

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