France : un Black History Month à l’heure de la présidentielle
De Joséphine Baker à Christiane Taubira, le mois de commémoration de l’histoire des Noirs tombe à point nommé pour remettre une vraie politique d’égalité au cœur du débat, écrit Karfa Diallo, conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine et fondateur-directeur de l’association Mémoires et partages.
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Karfa Diallo
Conseiller régional Nouvelle-Aquitaine, fondateur-directeur de l’association Mémoires et partages.
Publié le 3 février 2022 Lecture : 4 minutes.
Quel meilleur écho à l’entrée au Panthéon de Joséphine Baker que la candidature d’une femme noire à l’élection présidentielle française ? Que la désignation lors de la Primaire populaire de Christiane Taubira, ancienne garde des Sceaux et ex-députée de Guyane, survienne deux mois après la panthéonisation d’une femme noire et la veille de l’ouverture du Black History Month, illustre une accélération de la conscience historique et politique depuis le meurtre de George Floyd.
Indéniablement, une nouvelle éclaircie philosophique, culturelle et politique prend le pas sur un racisme structurel solidement assis sur des privilèges de plus en plus révélés et reconnus. Ce ne sera plus jamais et seulement le fruit de « l’imaginaire débridé » des Noirs. Pourtant, au même moment, leur vécu – cette fameuse barrière de la couleur, longtemps « point aveugle » des politiques d’intégration en France –, est nié par une frange de la population française de plus en plus séduite par les rossignols de la nostalgie coloniale, à l’image du candidat Éric Zemmour.
Au-delà des supputations politiciennes autour de la candidature de Taubira, il s’agit indéniablement de l’illustration d’une ambition historique d’égalité des Noirs d’Occident. De Joséphine Baker au récent documentaire Noirs de France d’Alain Mabanckou, celle-ci ne cesse de se heurter au déni d’une conscience philosophique européenne, aveugle à l’expérience fondatrice de ces peuples que l’appétit capitalistique continue d’exposer aux pires conditions sanitaires, sécuritaires et économiques.
Joséphine Baker dans la Black History
Avant que l’État français, conscient qu’elle incarnait des valeurs républicaines, ne la fasse entrer au Panthéon des héros français, Joséphine Baker se heurta à ce déni et à ce racisme pendant plusieurs décennies. Fuyant la dure ségrégation raciale américaine, la jeune artiste noire immigra en France à 19 ans, en 1925, et bouleversa l’esthétique hexagonale tout autant qu’elle s’imposa comme une figure de la liberté et de l’égalité dans un pays encore empire colonial – la France régnait alors sur des dizaines de millions de personnes, de Dakar à Fort de France en passant par Alger et Nouméa.
Figure exemplaire et incontournable, Joséphine Baker, immigrée naturalisée, s’engagea dans la résistance française et fit de sa vie intime un temple de fraternité, qu’elle installa au cœur de la région Nouvelle-Aquitaine. C’est au château des Milandes, en Dordogne, que l’infatigable militante contre le racisme se pose avec sa « tribu arc-en-ciel » – douze enfants adoptés aux quatre coins du monde. Choix emblématique que ce territoire français qui a le plus marqué l’histoire des Amériques et abrité les premières arrivées de populations afro-descendantes en Hexagone.
Son fils, Brian Brahim Bouillon-Baker, est l’invité d’honneur de cette 5e édition française du Black History Month. Dont, pour la première fois, l’édition se déroule aussi en Guadeloupe. C’est que, depuis quelques années, associations et mouvements citoyens prennent la responsabilité d’organiser un Black History Month en Europe. Fidèles à la dénomination américaine, mais dans le respect de l’ample histoire des noirs européens, l’événement prend pour thématiques des personnalités et activités populaires telles que la danse, l’athlétisme, le basket, la boxe, etc.
Des symboles mais pas de partage
Sur le plan de la mémoire citoyenne, de nouveaux et importants espaces symboliques imposent une inventivité politique et culturelle. Les processus de métropolisation forcée des sociétés françaises exposent en effet à de nouveaux enjeux d’intégration et de relation entre des populations dont un ordre colonial et raciste avait organisé la séparation géographique, légale et culturelle.
Emmanuel Macron semblait l’avoir compris jusqu’à son raidissement inexcusable sur le débat des déboulonnements de statues, consécutif au mouvement Black Lives Matter. Au lieu de se tourner vers l’avenir et de proposer une nouvelle perspective, le président français, manifestement coincé dans une distorsion temporelle ou même « perdu dans l’espace », ne fait pas face aux réalités des sociétés modernes.
Quelles sont les possibilités qui se présentent aux Noirs dans une société française capable d’ériger des symboles, mais incapable de réaliser un vrai partage des pouvoirs économiques, culturels, sociaux et politiques ?
Une campagne universelle
Pour cette édition, le Black History Month a choisi d’honorer deux figures nord-américaines, Abraham Lincoln et Frédérick Douglass, qui ont chacun incarné une vision très pragmatique de l’exigence démocratique et humaniste occidentale. De quoi réimaginer les possibilités, autant que les forces sur lesquelles s’appuyer, pour ne pas laisser s’éteindre le feu de la campagne universelle que le mouvement Black Lives Matter a allumé dans les consciences.
Rendu de plus en plus visible par le sens de la responsabilité et les travaux d’universitaires incluant progressivement cette histoire dans la constitution du capitalisme européen, l’héritage de l’esclavage et de la colonisation augure de l’irréversibilité du partage du devenir minoritaire noir en France et en Europe. Pour aller de l’avant lors de cette élection présidentielle, une vraie politique d’égalité est nécessaire. Et elle ne doit pas faire fi de la race et ses conséquences.
Faisons campagne pour une législation antiraciste et progressiste sur l’égalité et pour un changement de culture, afin de démanteler le racisme structurel et dénoncer personnes et institutions qui utilisent délibérément les guerres culturelles comme prétexte pour maintenir le statu quo. Appuyons-nous sur une longue et fière histoire de résistance, de rébellion et de construction d’une modernité. C’est à tous, sans exclusion ni exclusive, qu’elle doit profiter.
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