L’insidieuse mise au pas de la presse russe

Publié le 4 août 2003 Lecture : 2 minutes.

C’est un climat. Un état d’esprit insidieux, pas nécessairement perceptible au premier coup d’oeil. Mais pour tout observateur un peu averti de la scène russe, c’est devenu une évidence. La Russie est en train d’enterrer à vive allure ce qui était apparu comme l’un des principaux acquis de la période eltsinienne : l’impertinence de ses médias et leur rôle de contre-pouvoir.

Ce n’est pas qu’il n’y ait plus de journaux. Au contraire, ils pullulent. Les librairies et les kiosques sont pleins de magazines tendance, spécialisés dans les questions de santé, d’écologie, de sexe, ou de tricot. On trouve aussi des dizaines de journaux d’information générale. Mais le journalisme qui y est pratiqué ressemble de plus en plus à un travail de « greffier ». Jadis saignante, la presse russe s’est transformée en ectoplasme. En écho assoupi des comptes rendus du pouvoir ou de tel groupe oligarchique, qui a « passé commande ».

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Exemples : la fermeture de la chaîne nationale privée de télévision TVS, fin juin, n’a pratiquement suscité aucune réaction critique, en dehors de deux ou trois médias d’opposition (Écho de Moscou, Kommersant, Novaïa Gazeta) et bien sûr d’Internet, qui surnagent dans ce paysage uniforme. La nouvelle de la mise en cause judiciaire du magnat pétrolier le plus riche du pays, Mikhaïl Khodorkovski, qui avait annoncé son intention de soutenir le réformateur d’opposition Grigori Iavlinski lors des législatives de décembre, est elle aussi tombée dans une relative indifférence, comme si la presse s’était faite à l’idée du formidable verrouillage politique orchestré par le Kremlin. Et, en dehors de l’hebdomadaire Novaïa Gazeta, dont le rédacteur en chef Igor Chekochtchikine vient de mourir d’une suspecte « crise d’allergie », aucun journal russe ne se préoccupe d’enquêter sur les motivations de ces femmes kamikazes tchétchènes qui ont participé à la terrible prise d’otages de Nord-Ost en octobre, et qui viennent de tuer près de vingt personnes à Moscou lors d’un concert de 20 000 personnes…

Autre signe de la « resoviétisation rampante », dénoncée par le satiriste Viktor Chenderovitch, les conférences de presse se bornent de plus en plus à communiquer la bonne parole du pouvoir à des parterres de journalistes résignés aux nouvelles règles du jeu. Ainsi, au Kremlin, fin juin, lors d’une rencontre de Poutine avec les médias russes et étrangers, le feu des questions est ouvert par le rédacteur en chef du Messager de Tomsk, journaliste de Sibérie, qui, dans une ambiance proprement brejnévienne, transmet au chef de l’État les amitiés d’un « couple qui, selon son conseil, a mis en route… un bébé ». Un autre journaliste demandera au président des nouvelles… des résultats scolaires de ses filles. Et quand un troisième soulignera que les journalistes « perdent leurs droits », Poutine se contentera de réaffirmer son attachement « au principe de la liberté de l’information ». Sans être poussé dans ses retranchements, alors qu’une loi fraîchement votée menace de suspendre les organes de presse qui couvriraient la campagne électorale de manière « biaisée » !

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