Fausse route

Dans son rapport annuel, la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge accuse : les organismes d’assistance ont tendance à n’intervenir qu’en faveur de causes très médiatisées.

Publié le 4 août 2003 Lecture : 4 minutes.

Plus une catastrophe humanitaire est médiatique, plus l’aide qui y est apportée est importante. Le constat n’est pas nouveau. Mais la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge estime, dans son « Rapport 2003 sur les catastrophes dans le monde », que cette tendance s’est gravement accrue depuis le déclenchement de la guerre mondiale contre le terrorisme. L’organisation souligne en effet « la tendance croissante des donateurs et des organismes d’assistance à privilégier les interventions médiatiques associées à des conflits politico-stratégiques, comme en Irak et en Afghanistan ». Ceci, « au détriment des crises chroniques comme celles qui continuent de ravager l’Angola, la Somalie ou la République démocratique du Congo (RDC) ». Ainsi, les auteurs du rapport rappellent qu’en avril 2003 le département américain de la Défense a mobilisé 1,7 milliard de dollars (1,49 milliard d’euros) pour les programmes de secours et de reconstruction en Irak, alors qu’à la même époque il manquait 1 milliard de dollars au Programme alimentaire mondial (PAM) pour sauver de la famine près de 40 millions d’habitants de vingt-deux pays d’Afrique. En septembre 2002, la Fédération internationale avait lancé un appel en faveur de l’Angola, où la survie de 4 millions de personnes dépendait – et dépend toujours – de l’aide humanitaire. Quatre mois plus tard, elle n’avait recueilli que 4 % des fonds sollicités. Le rapport se fait également l’écho de craintes exprimées par « beaucoup d’humanitaires » quant à la confusion croissante entre aide civile et aide militaire (apportée par les soldats) lors des récentes interventions pour changer les régimes des pays. Confusion qui, en Afghanistan et en Irak, a eu pour conséquence de miner le statut d’impartialité du personnel des organismes d’assistance humanitaire et de l’exposer davantage à des blessures ou des décès dans ses rangs.
Les critiques formulées par la Croix-Rouge n’épargnent pas les organisations elles-mêmes. Ainsi, les auteurs du rapport insistent sur le manque d’informations et sur une collaboration inadéquate entre les différents organismes d’assistance. Conséquence : la communauté internationale reste dans l’ignorance de la gravité de certaines crises et mobilise parfois une assistance inadaptée aux besoins. Selon une étude conduite par l’International Rescue Committee, quelque 3,3 millions d’habitants seraient morts en RDC entre 1998 et 2003 de maladies pour lesquelles il existe des traitements efficaces. Alors que les projets entrepris en 2000 pour construire et promouvoir la paix dans le pays ont recueilli près de 250 millions de dollars, 37 millions seulement ont été alloués aux programmes de santé et autres formes vitales d’assistance humanitaire. Enfin, la Fédération internationale attire l’attention sur une population particulièrement oubliée : les migrants. Aujourd’hui, environ 50 millions de personnes forcées à l’éxil ou déplacées à l’intérieur de leur pays vivent en marge de la société, privées de toute assistance ou recours juridique. Les auteurs du rapport insistent sur la profonde crise du droit d’asile au niveau mondial, « en ces temps où l’on consacre beaucoup d’argent à tenir les éventuels demandeurs à l’écart des pays du Nord et très peu à les aider dans les pays du Sud ».
Déséquilibrée, souvent inadaptée, l’aide humanitaire a pourtant dû faire face, en 2002, au nombre de catastrophes le plus élevé jamais enregistré au cours de la décennie écoulée : 766 ont été recensées l’année dernière, contre 717 en 2001 et 424 en 1993. Seul point positif, elles ont été, malgré tout, moins meurtrières que les années précédentes : 24 500 morts en 2002 contre une moyenne annuelle de 62 000 depuis dix ans. Mais ces chiffres ne prennent pas en compte les victimes de guerres, de famines et de maladies liées aux conflits, du fait, selon la Fédération, de « l’absence de données globales fiables sur ces crises ». En revanche, les conséquences de ces catastrophes ont été particulièrement lourdes : 608 millions de sinistrés ont été recensés en 2002, soit trois fois la moyenne annuelle de la période 1992-2001. Sans surprise, les pays les plus touchés sont les plus pauvres et les moins développés, même si le nombre de catastrophes naturelles y a été, l’année dernière, le moins élevé depuis dix ans. En 2002, 6 % des morts recensés vivaient dans des pays à fort développement humain. Le nombre de décès rapportés à celui des catastrophes recensées s’élève, en moyenne, à 555 dans les nations les moins avancées, à 133 dans celles à développement intermédiaire et à 18 dans celles à fort développement.
La famine est restée, durant la dernière décennie, la catastrophe la plus meurtrière : 275 000 victimes, soit la moitié des décès recensés (ces estimations sont sans doute en dessous de la réalité). Mais pas forcément celle qui a attiré le plus l’attention de la communauté internationale. Le rapport pointe du doigt le cas, actuel, de l’Afrique australe. Début 2003, la famine menaçait ainsi 15 millions de personnes dans l’ensemble de la région. La Fédération rappelle que des signes avant-coureurs étaient déjà visibles vers le milieu de l’année 2001. Et que, malgré les mises des organisations non gouvernementales à l’automne, les gouvernements locaux ont nié l’urgence, et les donateurs reporté leur intervention pendant neuf mois. Au milieu de l’année 2002, plus de mille personnes étaient déjà mortes au Malawi du fait de la famine et du choléra. Sans parler du sida qui, comme le rappelle la Croix-Rouge, exacerbe la crise alimentaire. Bien que la pandémie « tue des centaines de milliers de personnes en Afrique australe […], force est de constater qu’il n’existe apparemment pas de volonté politique et financière de s’attaquer à cette situation d’urgence complexe ». Pourtant, les taux de prévalence du VIH dans la région vont de 15 % au Malawi à 39 % au Botswana. Les auteurs du rapport insistent sur le fait que le sida tuant principalement les jeunes adultes, les familles se retrouvent privées de leur plus importante force de travail. Un décès lié à cette pandémie dans un ménage rural du Zimbabwe réduit ainsi la récolte de maïs de 60 %. Pour la Croix-Rouge, la lutte contre la famine doit passer par le combat contre la sida, qui est à la fois sa cause première et l’une de ses conséquences.

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