Escapade à Mindelo

Entre mer et montagne, la capitale de l’île de San Vicente se dresse comme une vaste salle de concert qui vit au rythme de la musique.

Publié le 4 août 2003 Lecture : 4 minutes.

«Bienvenue au Cap-Vert, terre natale d’Amilcar Cabral et de Cesaria Evora », me lance, un sourire chaleureux aux lèvres, Arnaldo Andrade Ramos, le jeune ministre capverdien de la Communication. Ici, plus que partout ailleurs, l’accueil est une vertu. L’archipel au large du Sénégal a fait le pari de recevoir les amoureux de paradis exotiques et autres adeptes d’écotourisme et de leur faire voir ses plages immaculées, ses paysages montagneux et son art de vivre. Amas de dix rochers jetés dans l’océan à 445 km de la façade atlantique de Dakar, le Cap-Vert est une terre chargée d’histoire, lieu de vie et de rencontre, ouverte au monde depuis que les navires de la marine portugaise y ont accosté, au XVe siècle. D’anciens esclaves et des populations d’origines diverses s’y sont successivement installés, au gré de la colonisation et des migrations transatlantiques.
Le brassage au milieu de l’océan a enfanté une riche culture afro-caribéenne et un produit humain multicolore, à dominante métisse. Je me suis cru un instant au Brésil, devant le teint des hôtesses qui nous accueillent à l’aéroport San-Pedro de l’île de San Vicente. Claires, bronzées, beautés de carte postale… les Capverdiennes sont à l’image des vagues bleues qui s’écrasent sur les rochers. Magnifiques.
Mais voici Mindelo, « capitale culturelle des pays de langue portugaise », ville phare de San Vicente aux artères étroites et pavées, à une dizaine de kilomètres de l’aéroport. C’est « La Havane de l’Afrique », autre nom de la cité, du fait de ses ressemblances avec la capitale cubaine. On s’y perd entre les artères bordées de hautes bâtisses coloniales couleur sable trouées de volets bleus.
Avec son centre culturel réputé dans l’ensemble du monde lusophone, son rayonnement intellectuel, ses bars et restaurants de renom et son animation à nulle autre pareille dans l’archipel, Mindelo a vu naître la « Diva aux pieds nus », qu’on appelle ici Cesaria, et qui y séjourne entre ses tournées à l’étranger. La ville exhale partout de la musique, à l’image d’une vaste salle de concert. Dans cette belle symphonie créée par les orchestras officiant aux quatre coins de l’agglomération, sont particulièrement attrayants les dîners musicaux du restaurant Nella’s. Y « sévit » le Compay Segundo local, O Senhor Malaquias, un violoniste-guitariste de 77 ans qui fait bouger son public au rythme d’un répertoire traditionnel. Tout y passe : de la morna venue de l’île de Boa Vista au funana né à Santiago, du sanjon de Santo Antao à la fameuse coladeira inventée à Mindelo dans les années 1950 par Frank Cavaquinho, Manuel Da Novas, Goy, rendue plus « cubaine » par Luis Morais et portée aux quatre coins du monde par Cesaria Evora…
Pour mieux savourer les mélodies des guitares sèches et des saxos, les Capverdiens dégustent une assiette de catchupa (plat national à base de maïs et de porc) et une bouteille de Sagres ou de Coral, les deux bières les plus prisées. Mindelo vit de jour comme de nuit. Au coeur de la ville bouillonne la Praça Nova, un square fleuri, avec ses buvettes, ses bancs publics, sa banque et ses deux hôtels de standing international. En cette période de vacances scolaires, les jeunes s’y retrouvent tous les soirs, sous la surveillance discrète de policiers. Dans l’air flotte une odeur âcre de poisson, comme pour rappeler que l’océan est là tout autour, et que des piroguiers débarquent leurs prises sur la plage.
Aux abords de la mer, certains s’isolent, d’autres se distraient. Sur des airs de funana, le célèbre groupe Ferro Gaita fait danser des centaines de jeunes filles en bikini et de garçons, sur le sable blanc de la plage de Laghina. Au Cap-Vert, l’insularité est un mode de vie, une boulimie de loisirs liée à la jeunesse de la population (plus de 65 % des 500 000 Capverdiens installés sur neuf des dix îles de l’archipel ont moins de 30 ans). Les encarts publicitaires placardés sur la plupart des lieux publics appellent à la vigilance : « Ne laissez pas le sida supprimer votre droit de vivre. » Même si la maladie n’a pas atteint ici des proportions graves, le taux de prévalence étant confiné à 0,8 %.
L’État tient à contenir le fléau, comme il veille sur les institutions démocratiques. Instaurée par Aristide Perreira en 1990, la démocratie a enfanté deux paisibles alternances par les urnes. Les quatre hebdomadaires et deux journaux électroniques que compte l’archipel informent en toute liberté. L’économie ne se porte pas plus mal. Dans le classement 2003 du Pnud (Programme des Nations unies pour le développement) sur le développement humain, le Cap-Vert se classe à la 103e position, mais à la troisième en Afrique, derrière les Seychelles et Maurice. La misère n’en reste pas moins visible dans ce pays pauvre, dépourvu de ressources naturelles.
Mal vêtus, les enfants de la rue vadrouillent pieds nus à Mindelo, dorment à la belle étoile, vivent de larcins… Un spectacle qui contraste avec la coquetterie de la cité et le charme de ses habitants. Comme ceux de son âge, Emilio, 18 ans, rêve de quitter ces lieux austères, échapper à la prison de l’océan, aller poursuivre ses études au Portugal. Émigrer, comme les deux tiers de ses compatriotes qui vivent en dehors du pays.
En attendant, Emilio, comme les autres Capverdiens, s’éclate, malgré les difficultés du quotidien. Un vieux dicton du terroir agit mieux que le plus efficace des anti-dépresseurs : « ganhar pouco e viver bem » (« gagner peu et vivre bien »). Toute une philosophie de vie !

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