De la décharge au cinéma

Pour la première fois, un film d’animation à partir d’objets recyclés est réalisé au Zimbabwe. Un récit initiatique à base de détritus.

Publié le 4 août 2003 Lecture : 3 minutes.

Quatre-vingt-dix minutes d’étonnement et de charme. Le premier long-métrage d’animation venu du Zimbabwe, The Legend of the Sky Kingdom, vient de faire franchir une étape supplémentaire à l’art africain du recyclage d’objets métalliques. Cette technique a été baptisée Junkmation, littéralement « animation de déchets », par ses créateurs.
Récupérés dans les décharges et greniers du Zimbabwe, bouteilles, conserves, matelas, écrans d’ordinateur et autres rebuts hétéroclites ont été assemblés avec passion et animés image après image durant trois ans par une équipe de passionnés. L’idée est venue au producteur, Phil Cunningham, un fermier de Harare, féru d’animation, en regardant une lampe à huile. Entièrement conçue à partir d’éléments recyclés, elle fonctionnait parfaitement.
Ce savoir-faire artisanal, originaire d’Afrique du Sud, est devenu courant au Zimbabwe, cette dernière décennie. Mais réaliser un film n’était pas simple, comme en témoigne le réalisateur Roger Hawkins : « Nous avons embauché des artisans spécialisés dans la fabrication de ces objets de récupération. Ils n’avaient jamais travaillé de près ou de loin sur un film, et nous les avons mis en production. La difficulté a été de fabriquer des personnages avec une armature qui puisse être animée. Et ils devaient résister à deux ans de tournage ! Nous avons aussi fabriqué nous-mêmes le système de déplacement de la caméra à partir de pièces de vélos et de voitures. »
L’histoire commence par un feu de camp bien réel. Le producteur Phil, qui est aussi à l’origine du scénario, raconte une histoire à sa jeune soeur. Le récit se déroule dans un monde imaginaire. Trois orphelins, en réalité des marionnettes métalliques de 60 cm de haut, fuient la cité souterraine dans laquelle ils sont exploités. Leur unique but sera de rejoindre le prince Ariel dans le royaume des cieux, mais de nombreux pièges les attendent : éruption volcanique, naufrage, crocodile affamé et chameau séducteur se succèdent. Surmonter une épreuve leur permet de passer à l’étape suivante, à la manière d’un jeu vidéo. La dernière épreuve avant de rejoindre le ciel est le combat qui les oppose au grand méchant, personnifié par une araignée géante. Le récit est initiatique, la foi s’avérant indispensable aux héros pour réussir.
L’originalité du film ne réside pas dans la trame assez simple du récit, mais dans la variété des ambiances. Des bouilloires rouillées ont servi pour le canyon, des pneus de camions et des cordes peintes en rouge pour le volcan, des ciseaux représentent les oiseaux, et les troncs des arbres sont faits avec des bouteilles de vin. Le labyrinthe, quant à lui, est fabriqué à partir d’une jungle d’ordinateurs cassés et d’imprimantes. Mais il a fallu en outre deux aspirateurs, sept télévisions, cinq radios, trente circuits imprimés, cinq machines à écrire, sans compter trois réfrigérateurs et cinq machines à laver pour compléter le décor !
La plupart des membres de l’équipe de production du film, très jeunes, ont découvert sur ce projet le cinéma et une technique, l’animation d’objets, fabuleuse mais très lente. Le producteur Phil Cunningham reconnaît qu’ils doivent beaucoup aux conseils des animateurs du studio Aardman en Angleterre, les créateurs de Chicken Run. Patience et doigté sont nécessaires, car seulement quelques secondes d’animation peuvent être fabriquées chaque jour. Pour une image, il faut déplacer minutieusement la caméra, les personnages et les objets. Puis une seule prise de vue est enregistrée sur la pellicule. Il faut ensuite recommencer l’opération autant de fois que nécessaire. Le résultat ne peut être jugé en animation qu’une fois la pellicule développée ! Mais la patience des auteurs a été bien récompensée : la sélection en compétition de The Legend of the Sky Kingdom au dernier festival d’animation d’Annecy lui a valu une première reconnaissance internationale bien méritée.

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