Comment rater un scoop

Publié le 5 août 2003 Lecture : 2 minutes.

Qu’est-ce qu’un bon journaliste ? C’est quelqu’un qui sait être là où il faut, au moment où il le faut. Mais ce n’est pas tout : encore doit-il maîtriser l’art de laisser traîner l’oreille sans qu’il y paraisse et vite comprendre de quoi il s’agit.
À en juger par ces critères, votre serviteur est sans doute le plus mauvais journaliste à avoir fréquenté les rotatives depuis que Socrate inventa le métier (je dis Socrate au hasard, n’ayant aucune notion du quidam qui s’arrogea le premier le droit de se mêler des affaires des autres et de les étaler sur la place publique). Jugez-en vous-même : il y a quelques mois, alors que je bavardais à la terrasse d’un café avec une amie américaine, celle-ci s’interrompit pour prendre un appel téléphonique longue distance sur son portable. Je m’absorbai dans les mots croisés du Matin du Sahara pour ne pas entendre ce qui ne me regardait pas. Quand elle eut fini, elle résuma nonchalamment la conversation :
– Daddy m’apprend que our man Paul est pressenti pour diriger je ne sais trop quel pays arabe. C’est hypersecret, ne le dis à personne.
Distrait, je crus comprendre que son père venait d’être promu PDG d’une société au nom compliqué [Anaraconti ? Eunarab-Kwanti ?] et, comme tout cela ne m’intéressait pas outre mesure, nous passâmes à autre chose. Et voilà qu’hier, pointant dans une revue la photo de Paul Bremer, le vice-roi yankee qui gère l’Irak, elle s’exclame :
– Our man Paul !
Il s’avère que c’est une expression qui dénote la plus grande intimité – ils jouent au golf ensemble – entre Bremer Ier et le père de la jeune femme. Laquelle se souvient qu’oncle Paul la faisait sauter sur ses genoux quand elle était môme. Et que les deux familles fêtaient Halloween ensemble.
– Tu te souviens ? Il y a quelques mois, je t’avais dit qu’il allait diriger an Arab country.
Bref, je savais avant tout le monde que ce Bremer allait devenir proconsul en Irak, j’avais les moyens de faire de lui un portrait intime, peut-être même de dénicher des anecdotes compromettantes (on se laisse aller pendant Halloween), et j’ai bu mon café sans voir ce scoop grandiose.
Si quelqu’un possède l’adresse d’un bon institut de formation des journalistes, qu’il ait la gentillesse de me la communiquer. Il n’est jamais trop tard pour apprendre.

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