Cent milliards de dollars

Publié le 4 août 2003 Lecture : 3 minutes.

Est-ce le bon moment pour vous parler d’économie et d’aide au développement ? Je le pense.
C’est le 1er août, certes. Écoliers et instituteurs, étudiants et professeurs sont en vacances. Mais ils sont, comme nous tous, à quelques semaines de ce qu’on appelle la rentrée.
Le monde que nous retrouverons en septembre sera dominé par une situation économique incertaine, morose, préoccupante.

Pour vous parler d’économie et, plus particulièrement, d’aide au développement, j’utiliserai les chiffres et les analyses du professeur Jeffrey Sachs, directeur du Centre pour le développement international. Je le considère comme le plus qualifié au monde pour en traiter, le dernier économiste de grand renom à se préoccuper réellement du sort des pays pauvres parce que sous-développés.
Dans ses articles et ses conférences, dans ses études et ses livres, ce professeur de Harvard répète inlassablement les chiffres et les faits que les responsables de la très mauvaise situation actuelle s’évertuent à faire oublier :
l Tout se passe comme si, ayant gagné la guerre froide et perdu leur adversaire communiste, les États-Unis en avaient conclu qu’ils n’avaient plus besoin de participer sérieusement à l’aide que les pays riches consentent au développement économique des pays pauvres. Pas un dollar de ce qu’ils ont économisé au début des années 1990 sur les dépenses d’armement, et qui représente 2 % de leur revenu national, n’est allé à l’aide au développement… qui n’a cessé de diminuer. Ils n’y consacrent plus que 0,10 % de leur Produit intérieur brut (contre 0,30 %, taux moyen des autres pays, et 0,70 %, objectif fixé par l’ONU).
Même ce 0,10 % est « ciblé » : l’essentiel va à Israël et, par ricochet, à l’Égypte, à la Jordanie… Moins de 15 % de cette aide (1 milliard de dollars) sont affectés à l’Afrique.
Le graphique et la courbe ci-contre sont éloquents.

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l Il y a seulement un an, au Sommet mondial pour le développement durable à Johannesburg, les États-Unis et les autres pays développés ont renouvelé leur engagement de consacrer à l’aide au développement 0,70 % de leur PIB.
Si les États-Unis tenaient cet engagement, ils consacreraient à l’aide au développement, chaque année, 60 milliards de dollars de plus, soit l’équivalent de ce que leur aura coûté, en 2003, la guerre d’Irak et l’occupation de ce pays. L’aide mondiale au développement en serait… doublée !
S’ils se donnaient l’objectif plus modeste de revenir au niveau moyen des pays développés, qui consacrent, comme rappelé ci-dessus, plus de 0,30 % de leur PIB à l’aide au développement, celle-ci disposerait tout de même de 20 milliards de dollars de plus chaque année.

l Mieux que d’autres, les États-Unis et leurs gouvernants savent que l’aide au développement est un inappréciable facteur de paix et de stabilité.
N’ont-ils pas, tout de suite après la guerre de 1939-1945, été capables de lancer le fameux plan Marshall qui leur a permis de reconstruire l’Europe (occidentale) et d’en faire cet allié prospère grâce auquel ils ont gagné la guerre froide ?
Les études qu’ils ont fait faire par la CIA n’ont-elles pas révélé les trois facteurs de la stabilité (ou de l’instabilité) politico-économique ?
a) des économies ouvertes sur les échanges extérieurs plutôt que refermées sur elles-mêmes ;
b) des systèmes démocratiques ou proches de la démocratie plutôt qu’autocratiques ;
c) une lutte plus efficace contre les grandes maladies, dont, en particulier, le sida et le paludisme.

Lorsqu’en 1990 les Nations unies nous ont proposé l’indice de développement humain, un classement des pays selon le revenu de leurs habitants, leur alphabétisation et leur santé, on s’est aperçu de ceci :
l les 35 pays les mieux classés – les plus développés – étaient stables, avaient une croissance économique moyenne pour la décennie 1991-2000 de l’ordre de 2,3 % et voyaient le niveau de vie de leurs citoyens s’élever ;
l les pays moyennement développés ont connu une croissance économique de l’ordre de 1,9 %, certains d’entre eux (7 sur 34) enregistrant une baisse du revenu par habitant ;
l les autres n’ont pas connu de croissance économique digne de ce nom ; sur les 39 pays figurant dans cette dernière catégorie, 15 ont subi un recul du niveau de vie, déjà très faible, de leurs habitants.

Conclusion : l’aide des pays les plus avancés et les plus riches aux pays retardataires et encore pauvres est, à la fois, une bonne action et une bonne affaire. Même si son utilisation prête à critique et diminue son efficacité, elle reste un devoir de solidarité et le meilleur des placements.
Tant que l’aide publique au développement ne tendra pas vers le 0,7 % du revenu des pays riches et ne dépassera pas les 100 milliards de dollars par an, soit 10 % environ des dépenses militaires, le monde dans lequel nous vivons ne sera ni stable ni agréable.

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