Bourguiba visionnaire

Décédé il y a trois ans, l’ancien président tunisien aurait eu 100 ans le 3 août. Ancien secrétaire général de la Ligue arabe, Chedli Klibi évoque ici son action pour une paix honorable au Proche-Orient.

Publié le 4 août 2003 Lecture : 4 minutes.

Depuis le début du conflit arabo-israélien, Habib Bourguiba est convaincu que les gouvernements arabes n’ont d’autre choix que d’accepter la légalité onusienne. De celle-ci, il dit qu’elle est injuste, injustifiée et potentiellement dangereuse pour la stabilité de la région, mais que, à son avis, les Palestiniens doivent s’y plier pour sauver leur droit à une patrie. Les Arabes, en général, ne peuvent que s’y résigner, car c’est le seul moyen pour eux d’empêcher Israël de poursuivre son expansion. Le partage de 1947, remarque-t-il encore, ne répondait pas aux souhaits des dirigeants sionistes, qui, un moment, furent tentés de le refuser. Mais, persuadés que les Arabes le feraient à leur place, ils sont restés dans l’expectative. Bourguiba ajoute que, au lendemain du refus arabe, de nombreux journaux en Occident avaient pour manchette : « Soulagement à Tel-Aviv. »

Pour les sionistes, poursuit-il, la politique n’est pas une affaire de sentiments, encore moins de fanfaronnades. Les Arabes, bien longtemps auparavant, auraient dû réfléchir aux moyens de faire échec à la décision de l’ONU. Une fois adoptée et soutenue par toutes les puissances du moment, l’URSS en premier lieu (avant même les États-Unis), comment y faire face ? Avant d’annoncer leur refus, les Arabes auraient dû penser à la disproportion des forces entre les armées arabes et sioniste. Mais, de cette disproportion, ils étaient complètement inconscients. Les combattants sionistes avaient été formés dans le camp des Alliés ; ils avaient appris à faire la guerre moderne sur les champs de bataille, contre les forces de l’Axe ; et ils maîtrisaient les technologies militaires les plus avancées. Les troupes arabes, face à la Haganah et à l’Irgoun, faisaient figure d’armée de parade : le même fossé qui, dans la Tunisie du protectorat, séparait ce qu’on appelait l’armée beylicale des forces d’occupation françaises. Le Moyen Âge et les Temps modernes, en somme. Bourguiba ajoutait que les Arabes n’avaient pas combattu depuis Saladin. Comment pouvaient-ils gagner la guerre contre des forces venues d’Occident et commandées par des officiers sortis des meilleures écoles militaires ?
Le premier choc, en 1948, fut un désastre pour les forces arabes soi-disant coalisées. Nullement motivées pour le combat, dotées d’armements désuets et mal entretenus, elles furent mises en déroute de piteuse façon – qui humilia, entre autres, les jeunes officiers égyptiens qui allaient faire la révolution de 1952.

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Selon Bourguiba, les gouvernements arabes n’avaient tiré aucune leçon de cette première expérience, combien funeste. On fit mine, après des remue-ménage militaro-politiques, de reconsidérer la situation, mais rien de significatif ne fut réalisé. On continua de vociférer de plus belle contre les sionistes et l’Occident qui les soutenait. Cette fuite en avant devait s’achever, en juin 1967, par une seconde défaite, plus tragique encore.
Telle était, dans les années 1960, l’analyse du vieux leader. Il est alors brouillé avec Nasser, dont il pense qu’il fait fausse route avec sa politique israélienne et panarabe. Auparavant, lors d’une visite au Caire en février 1965, il avait eu avec son hôte un tête-à-tête qu’il relate ainsi :

« HABIB BOURGUIBA : J’ai remarqué avec intérêt l’interview que vous avez donnée à une revue française concernant la nécessité de prendre en considération les décisions de l’ONU relatives au Proche-Orient.
GAMAL ABDEL NASSER : Comment faire autrement ?
H.B. : Ce passage de l’interview n’a pas été reproduit par les journaux égyptiens.
G.A.N. : L’opinion, ici, n’est pas encore mûre pour ce genre de considérations.
H.B. : Pour vous aider à la préparer, je suis prêt à aborder moi-même la question. À condition que vos puissants médias ne me tombent pas dessus à bras raccourcis. »
Bourguiba dit cela en riant. Nasser rit aussi, s’esclaffe même, mais ne répond pas à la proposition.
Quelques jours plus tard, Bourguiba visite un camp de réfugiés palestiniens, à Jéricho, alors sous autorité jordanienne. Il prend la parole, expose ses vues concernant le conflit avec Israël et donne, comme c’est son style, un tour dramatique à ses propos : « On vous a égarés. Le chemin que vous avez pris ne mène qu’à des revers répétés. Il faut absolument accepter le partage décidé par l’ONU. »

Hélas ! des considérations fortuites avaient entre-temps contrarié les relations entre Bourguiba et Nasser. Ce dernier fit donc organiser une campagne de grande ampleur contre « le traître de Tunis ». Et le processus qui eût dû amener l’Égypte à prendre la tête d’une nouvelle politique – un revirement, certes déchirant, mais nécessaire – tourna court.

À l’horizon pointait déjà une nouvelle défaite, celle de la guerre des Six-Jours, d’où devait découler un processus inverse, favorisant la stratégie de l’État juif, toujours à l’affût de la moindre erreur arabe pour étendre et consolider son hégémonie.
Convaincu que les Arabes avaient perdu la maîtrise de leur histoire depuis des siècles, Habib Bourguiba avait un immense regret : n’avoir plus assez de vigueur – et n’être pas assez proche du théâtre des opérations – pour engager ce qu’il appelait le « bon combat » afin d’aider le peuple palestinien et, par là même, sauver le monde arabe de l’enlisement.

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