Ben Ali, sans surprise

Le congrès du parti au pouvoir ayant entériné sa candidature, le chef de l’État briguera, l’an prochain, un quatrième mandat présidentiel.

Publié le 4 août 2003 Lecture : 5 minutes.

«J’accepte avec fierté d’être votre candidat à l’élection présidentielle de 2004 », a lancé le président Zine el-Abidine Ben Ali aux 2 700 délégués au congrès du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) réunis au Parc des expositions du Kram, près de Tunis, du 28 au 31 juillet. Bien entendu, les « RCD’éistes », qui agitaient des écharpes mauves, la couleur préférée du chef de l’État, et rouges, celle du parti, ne sont pas tombés à la renverse sous l’effet de la surprise. Au mois de juin, le comité central du parti avait adopté une motion demandant au président de solliciter un nouveau mandat. Et ce dernier n’avait pas attendu la fin du congrès pour donner son accord. Les congressistes ne pouvaient donc qu’entériner. Par acclamation.
Ben Ali est apparu en bonne santé et a dirigé personnellement certaines séances. En annonçant sa candidature quinze mois à l’avance, a-t-il voulu couper court aux rumeurs qui ont circulé ces derniers temps, en Tunisie et en Europe, concernant son état de santé ? En tout cas, ceux qui avaient annoncé qu’il pourrait ne pas se représenter en raison d’une maladie récemment diagnostiquée en sont pour leurs frais.
On sait que d’autres personnalités ont annoncé leur intention de briguer la magistrature suprême. C’est notamment le cas de Me Néjib Chabbi, secrétaire général du Parti démocratique progressiste (PDP, autorisé mais non représenté au Parlement), qui a subi, il y a deux semaines, une opération du coeur dans un hôpital parisien ; de Me Mounir Béji, secrétaire général du Parti social libéral (PSL, autorisé et représenté au Parlement) ; de Moncef Marzouki, leader du Congrès pour la République (CPR, non autorisé) ; et même du tonitruant journaliste Taoufik Ben Brik, auteur d’un récit intitulé Ben Brik président (Éd. Exils, Paris, février 2003) dans lequel il raconte, sur le mode sarcastique, son entrée triomphale au Palais de Carthage !
Lors des précédents scrutins présidentiels (1989, 1994 et 1999), Ben Ali l’avait emporté avec plus de 99 % des suffrages exprimés. Son parti détient 80 % des sièges à la Chambre des députés et la quasi-totalité des sièges de conseillers municipaux. À l’en croire, il a accepté de se représenter pour répondre non pas seulement à la demande des membres de son parti, mais à celle de « l’ensemble des Tunisiens et des Tunisiennes, de toutes catégories, générations et régions ». Traduction : les opposants qui lui demandent de se retirer au terme de son mandat ne sont qu’une minorité sans poids réel dans le pays.
La Constitution promulguée en 1988, un an après son arrivée au pouvoir, avait pour objectif essentiel de mettre fin à la présidence à vie instaurée par son prédécesseur. Elle limitait à trois le nombre des mandats présidentiels et fixait l’âge limite des candidats à 70 ans. Aujourd’hui âgé de 67 ans, Ben Ali, déjà élu à trois reprises, avait donc épuisé ses mandats légaux. Un amendement constitutionnel annulant la limitation du nombre des mandats et repoussant l’âge limite des candidats à 75 ans, a été approuvé le 26 mai 2002, par voie référendaire, par plus de 99 % des suffrages. Il lui permet de briguer un quatrième, voire un cinquième mandat. Légalement, Ben Ali a donc la possibilité de diriger le pays jusqu’en 2014. Il aura alors 78 ans. Mais nous n’en sommes pas encore là.
Le « congrès de l’ambition » est le quatrième organisé par le RCD sous son appellation actuelle (qui remonte à 1989). Fondé en 1920 par Abdelaziz Thaalbi sous le nom du Destour (Constitution), réformé par Habib Bourguiba, qui, en 1934, l’a rebaptisé Néo-Destour, puis, dans les années 1960, Parti socialiste destourien (PSD), le RCD est l’un des plus vieux partis au monde. En rendant hommage aux « générations de résistants et de militants » – et notamment au « Combattant suprême », dont les Tunisiens ont célébré, le 3 août, le centenaire de la naissance (voir p. 70) -, Ben Ali a manifestement voulu tendre la main à la vieille garde du parti, qui regroupe les anciens collaborateurs de Bourguiba. Parmi ceux-ci, les plus en vue sont sans doute les anciens Premiers ministres Hamed Karoui et Hédi Baccouche, l’ancien secrétaire général de la Ligue des États arabes Chedli Klibi, l’ancien ministre des Affaires étrangères Béji Caïd Essebsi, l’ancien ministre de l’Information Abderrazak Kéfi et l’actuel président de la Chambre des députés Foued Mebazaâ.
Dans son allocution d’ouverture, le président du RCD a annoncé deux nouvelles initiatives visant à renforcer la représentation des régions et des femmes dans la vie politique. Ainsi, lors des prochaines élections municipales, en 2005, les deux tiers des candidats du RCD devront être choisis par les instances régionales (les autres l’étant par le bureau politique). Par ailleurs, plus de 25 % des membres du comité central (et des délégués au congrès) sont aujourd’hui des femmes. Ce même pourcentage devra se retrouver dans la composition des listes de candidats du RCD aux législatives de 2004 et aux municipales de l’année suivante. Officiellement, il s’agit de favoriser l’exercice de la démocratie au sein du parti, mais certains militants sont sceptiques. « À trop vouloir réglementer les procédures électorales, on risque de fausser les résultats », disent-ils.
« Il m’est difficile de parler après vous, Monsieur le Président », a lancé Abderrahmane Tlili, le secrétaire général de l’Union démocratique unioniste (UDU), avant de s’adresser aux congressistes du RCD. Amabilité de circonstance ? Sans doute, mais cette petite phrase n’en traduit pas moins l’impuissance des partis d’opposition. Pour ne pas dire leur acceptation résignée de la domination sans partage du RCD sur la vie politique. Car Tlili n’est pas un cas isolé : devant le congrès, ni Mohamed Bouchiha, le secrétaire général du Parti de l’unité populaire (PUP), ni Ismaïl Boulahya, le secrétaire général du Mouvement des démocrates socialistes (MDS), n’ont osé jouer franchement leur rôle d’opposants, se contentant de multiplier les hommages à Ben Ali et de répéter les slogans du RCD. Il est vrai que les seuls leaders de l’opposition légale qui auraient pu faire entendre un son de cloche différent, comme Mohamed Harmel, secrétaire général d’Ettajdid, ou Me Néjib Chabbi, secrétaire général du PDP, n’avaient pas été invités. Ainsi va la « démocratie consensuelle » à la tunisienne…

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