Au secours des gorilles de montagne

Dans le nord du Rwanda,autorités et scientifiques se mobilisent pour lasurvie du plus rare des grands singes.

Publié le 4 août 2003 Lecture : 5 minutes.

L’animal fait la fierté du Rwanda et il a beaucoup contribué à sa notoriété auprès des amoureux de la nature. Le gorille de montagne, car c’est de lui qu’il s’agit, est une authentique rareté. D’après les scientifiques qui le suivent à la trace dans le Parc des volcans du massif des Virunga, à cheval entre le « pays des Mille Collines », l’Ouganda et la RD Congo, il resterait moins de 650 spécimens du plus grand des primates. Quatre cent cinquante dans le massif des Virunga, et 200 dans la « forêt impénétrable de Bwindi », distante de 25 km et située en territoire ougandais. Une estimation « à vue de nez », car la dernière campagne de comptage des animaux remonte à 1989. Les études conduites par la Fondation Dian-Fossey (du nom de la célèbre naturaliste anglaise assassinée par des braconniers en 1985) ont dû être interrompues entre 1994 et 1999, à cause de la guerre et des infiltrations de miliciens interahamwes. « Aujourd’hui, tout est rentré dans l’ordre, affirme Katie Fawcett, la directrice du centre de Ruhengeri. Un nouveau recensement doit commencer en août. Il permettra d’actualiser nos chiffres, déjà anciens, qui font état de 350 individus sur le versant rwandais du parc, et d’une centaine d’autres répartis entre l’Ouganda et la RD Congo… »
Le gorille de montagne est l’un des derniers grands animaux terrestres découverts au XXe siècle. C’est un capitaine allemand, Oscar Von Beringe, qui a mis la main, en 1902, sur le mythique primate. À la différence du gorille de plaine occidentale, présent dans les forêts humides de l’Afrique équatoriale (population estimée : entre 40 000 et 80 000 individus), le gorille de montagne est plus grand et plus lourd (le poids du mâle à dos argenté atteint allègrement 200 kg), et son pelage est plus noir. Son tronc est plus large, ses bras plus courts, ses pieds et ses mains à la fois plus petits et plus larges. Par sa pilosité et la forme de son crâne, le gorille de montagne se distingue aussi du gorille de plaine orientale (RD Congo), la troisième sous-espèce de gorille, forte d’environ 17 000 individus. Végétarien, se nourrissant exclusivement de pousses de bambou (un adulte peut en ingurgiter 30 kilos par jour), l’animal vit en groupe, à des altitudes comprises entre 2 000 et 2 500 m. Il se déplace lentement, sur un territoire qui n’a cessé de se réduire au fil des années.
Aujourd’hui, les gorilles vivent pratiquement au contact de l’homme, à la lisière des champs. « Les paysans doivent apprendre à cohabiter avec les gorilles, explique François, un guide du Parc des volcans. Nous essayons de les sensibiliser, de leur faire comprendre que c’est un animal paisible, qui n’attaque pas si on ne le provoque pas. Les incidents sont exceptionnels, ils se limitent généralement à des jets de pierres. Nos sept groupes de gorilles sont pistés par des traqueurs qui interviennent immédiatement en cas de conflit. La surface du parc a beaucoup diminué, surtout depuis le génocide. Des réfugiés se sont installés dans la région. Au début, ils ont défriché sauvagement, pour grignoter des bouts de terrain cultivables. » Avec 337 habitants au kilomètre carré, le Rwanda est le pays le plus densément peuplé d’Afrique. Pour son malheur. Et pour celui des gorilles. Le parc, créé en 1925 pour mettre un terme à la chasse intensive, a vu sa superficie passer de 34 000 hectares en 1958 à 12 500 hectares aujourd’hui.
La déforestation constitue, et de loin, la plus importante menace pour la survie des gorilles de montagne. La disparition de l’habitat entraîne mécaniquement celle de l’espèce, ces singes ne pouvant ni migrer ni s’adapter en plaine. Aucun n’a réussi à survivre en captivité. Confinés dans une zone toujours plus restreinte, les animaux sont maintenant à la merci d’une épidémie type Ebola. « Dieu merci, le Rwanda a pour l’instant été épargné par ce fléau, mais c’est notre hantise, reconnaît François Bizimungu, le conservateur du Parc national des volcans. Notre souci premier est d’éviter la transmission de toute maladie humaine. Les organismes de l’homme et du gorille sont très proches, mais les défenses immunitaires de ce dernier ne sont pas outillées pour lutter contre nos affections pulmonaires. Il faut prendre un luxe de précautions, ces grosses bêtes sont fragiles. Il faut éviter de manger sur leur territoire, nos déchets peuvent les rendre malades. On doit se tenir à sept mètres de distance, pour éviter le risque de contamination respiratoire. » Pourtant, dans les faits, il est rare que les distances de sécurité soient respectées. Mis en confiance par la présence des traqueurs qu’ils reconnaissent à l’odeur, les primates ne sont pas farouches, les jeunes et les adolescents curieux peuvent débouler à n’importe quel moment et frôler les visiteurs. C’est alors au guide, en imitant le bruit des mâles en colère, de chasser les plus intrépides des mammifères.
Pour ne pas troubler ou mettre en danger les gorilles, les visites n’excèdent pas une heure par jour. « On accepte au maximum trente touristes par jour, poursuit François Bizimungu. Au-delà, l’équilibre naturel serait rompu. » Le droit d’entrée est conséquent (250 dollars par personne), mais il sert à financer les recherches, à entretenir et à protéger le parc. Les traqueurs sont équipés de talkies- walkies. Ils ne lâchent pas d’une semelle les groupes qu’ils pistent, et restent en liaison permanente avec l’armée.
Le dispositif est assez efficcace. D’autant que les Rwandais, contrairement aux habitants d’Afrique centrale, n’ont pas pour habitude de chasser les gorilles, car ils ne mangent pas de primate. Le braconnage est contenu dans des limites « acceptables » : moins de dix morts en 2002. Le plus souvent « par accident », à cause de pièges dirigés contre les antilopes ou les buffles… En revanche, et c’est plus inquiétant, une nouvelle menace a fait son apparition : le rapt des bébés. Pour arriver à enlever un jeune gorille, les kidnappeurs sont obligés de tuer le mâle protecteur et la mère. Des braconniers, arrêtés et condamnés à quatre ans de prison, ont avoué travailler pour des princes arabes du Golfe qui voulaient s’offrir de jeunes gorilles pour leurs zoos privatifs. Caprice criminel et stupide, les chances de survie d’un individu arraché au groupe étant quasi nulles…
Confronté à la déforestation, à l’envahissement de son habitat naturel, exposé aux maladies contagieuses et convoité par les braconniers, le gorille de montagne est toujours menacé d’extinction. Mais ses défenseurs gardent espoir : « J’ai l’impression que la population s’est stabilisée, et qu’elle a même amorcé une légère remontée ces dernières années, conclut Katie Fawcett. Il ne faut pas relâcher nos efforts, nous sommes peut-être en passe de gagner la bataille… »

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