Wade signe l’armistice

Le président a décidé d’ouvrir deux chantiers : rétablir la cohésion dans son propre camp déchiré et multiplier les gestes d’apaisement en direction de ses adversaires.

Publié le 4 juillet 2005 Lecture : 5 minutes.

Véritable décrispation ou simple accalmie ? Après plusieurs semaines de guérilla au sein du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir), et de fortes polémiques entre le pouvoir et l’opposition, le Sénégal semble retrouver des eaux tranquilles. Comme pour ôter tout argument à ses adversaires, le président Abdoulaye Wade n’a cessé de multiplier les gestes d’apaisement. Le 15 juin, Abdourahim Agne, leader du Parti de la réforme (PR, opposition), incarcéré le 30 mai pour « propos séditieux de nature à provoquer des troubles politiques graves » (voir J.A.I. n° 2317), a été libéré. Quelques jours auparavant, le 11 mai, la loi sur la Commission électorale nationale autonome (Cena, chargée de superviser les élections législatives de 2006 et présidentielle de 2007) a été adoptée par les députés de la majorité, dans les termes souhaités par l’ensemble des forces politiques. Mais les mêmes devaient, le 1er juin, contester la composition de la Cena. Elles protestent en particulier contre la nomination de son président, Moustapha Touré, dont la deuxième épouse serait encartée au PDS. Ce qui n’est pas sans promettre de belles empoignades.
C’est sans doute pour les désamorcer que Wade a reçu, le 20 juin, dans la plus grande discrétion, le chef de file du Parti de l’indépendance et du travail (PIT), Amath Dansokho, son adversaire politique le plus virulent et le plus irréductible. Pour ramener son interlocuteur à plus de raison, il lui a dit, en substance : « Ayez le sens des réalités. L’opposition doit être animée par davantage de bonne foi, et s’abstenir de toujours jeter de l’huile sur le feu. Vous ne pouvez pas nier les choses positives que j’ai réalisées depuis mon arrivée au pouvoir. »
Parallèlement à ces gestes à l’égard de ses adversaires, le régime tente de surmonter ses divisions internes. À commencer par celles au sein du PDS. Le 10 juin, à l’issue d’une audience avec le chef de l’État, les douze députés « frondeurs », qui avaient quelques semaines plus tôt claqué la porte du groupe parlementaire libéral et démocratique (celui du PDS) pour en former un nouveau, sont revenus au bercail. Mais ils ont eu le temps de marteler leurs revendications. Ils ont notamment exigé de ne plus être brimés pour leur proximité avec l’ex-Premier ministre Idrissa Seck, tombé en disgrâce depuis son limogeage, le 21 avril 2004.
Comme pour marquer sa volonté de cessez-le-feu, Wade leur a répondu, si l’on en croit un des « frondeurs » : « Idrissa Seck est un responsable du PDS. Si je cherchais à l’isoler, j’aurais demandé son exclusion du parti. Je n’interdis à personne d’être son ami. Ce qui nous oppose ne regarde que nous deux. » Les autres demandes (une plus grande association aux décisions du groupe parlementaire, plus de démocratie interne…) ont connu un début de satisfaction : depuis la fin de leur « rébellion », quatre des désormais ex-« frondeurs » ont été désignés par le parti pour effectuer en son nom des missions à l’étranger.
La reconstruction du groupe parlementaire libéral et démocratique a constitué une première étape vers la résolution d’une crise majeure qui déchire le PDS depuis une année et prend l’État en otage : la guéguerre mettant aux prises les « pro-Wade » et les « pro-Seck ». Mais l’opinion n’allait pas longtemps être épargnée par les joutes verbales au sein de la formation au pouvoir. Alors qu’on supputait une normalisation imminente des rapports entre Wade et Seck, les plus farouches opposants à leurs retrouvailles sont montés au créneau pour casser la dynamique. Ainsi du chef du cabinet présidentiel, Pape Samba Mboup, qui a jeté un pavé dans la mare, le 20 juin, en déclarant que le rapprochement entre les deux hommes est « dangereux pour le parti et pour l’État ».
Nécessaire à l’équilibre du PDS, une réconciliation entre Wade et son ex-homme de confiance est somme toute hypothétique. Seck ne pourrait revenir sans quelques remous au coeur du pouvoir, à cause notamment de la présence de deux personnalités dans la proximité immédiate du chef de l’État. Macky Sall tout d’abord, le nouveau Premier ministre, l’anti-Seck qui a accepté de ne pas « exister » pour ne gêner en rien le chef de l’État. De source concordante, Wade, soucieux de lui rendre la pareille, semble disposé à ne pas favoriser un come-back de son prédécesseur. Le leader de l’Union pour le renouveau démocratique (URD, un parti d’opposition), Djibo Leyti Kâ, ministre de l’Économie maritime, constitue l’autre obstacle « moral » au retour de Seck, qui s’était formellement opposé à son entrée dans le gouvernement, en avril 2004. Le départ controversé de Kâ du Cadre permanent de concertation de l’opposition (CPC) ainsi que son rapprochement avec le chef de l’État laissent penser à certains que les deux hommes seraient liés par un « deal » qu’ils sont les seuls à connaître. En tout cas, les supputations à ce propos sont diverses et contradictoires.
Tout se passe comme si le gouvernement était composé de sorte à ôter tout espace à Seck et à ses affidés. Certains de ses contempteurs notoires sont placés à des postes où ils pourraient, le cas échéant, en découdre avec lui : Ousmane Ngom (Intérieur), Cheikh Tidiane Sy (Justice).
Le chef de l’État lui-même a un schéma de reconfiguration du champ politique qui n’inclut pas celui qu’il appelait « mon fils ». Il nous confiait, fin mai : « Je ne peux pas diriger ce pays comme si j’avais accédé à sa tête il y a vingt ans. Je suis conscient de mon âge et pense à passer le relais. Préparer son testament ne veut pas dire mourir tout de suite. Toutes mes capacités sont intactes, mais je suis obligé de me prémunir au cas où. Mon objectif est clair : organiser une succession dans la sauvegarde de l’équilibre du Sénégal. Si bâtisseur qu’il soit, un chef d’État aura échoué s’il laisse le chaos derrière lui. » Quelle émotion sur son visage et sa voix au moment de lâcher ces mots !
Et Wade, 79 ans, de poursuivre : « J’ai l’ambition de léguer au Sénégal une majorité forte et stable. J’y travaille en élargissant le PDS par l’absorption d’autres partis. Dans la configuration politique que je cherche à dessiner, précise-t-il, je trace une voie pour Landing Savané, le leader d’And Jëf, au gouvernement depuis 2000. Et pour Iba Der Thiam [vice-président de l’Assemblée nationale, dont la formation s’est fondue dans le PDS, NDLR]. Ces deux alliés, qui me donnent entière satisfaction, joueront un rôle de plus en plus important. »
Voilà qui est on ne peut plus clair. Assez pour qu’un constat s’impose : l’espace se rétrécit autour du chef de l’État. Ce qu’un de ses proches résume, péremptoire : « Il n’y a plus de place dans le régime pour Idrissa Seck et ses partisans. »
Refusant de se laisser enterrer à 46 ans, Seck dispose, lui aussi, de son propre agenda. S’il proclame sa fidélité au PDS, et sa volonté d’y demeurer ad vitam aeternam, il dessine depuis quelques mois un espace politique, dépêche des émissaires auprès des grands électeurs (marabouts, chefs coutumiers…) et des « Sénégalais qui comptent »…
À en croire ses proches, soit Seck conduit la liste du PDS aux législatives de 2006, soit il se jette dans la bataille à la tête d’une liste indépendante, un mouvement citoyen constitué d’intellectuels, d’artistes et autres membres de la société civile, mais aussi de 500 groupes de soutien qui auraient été déjà recensés à l’intérieur du pays et au sein de la diaspora.
Autant dire que l’unité du parti aux commandes du Sénégal demeure précaire.

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