Une bonne nouvelle pour le Moyen-Orient

Publié le 4 juillet 2005 Lecture : 4 minutes.

Sa victoire, qui a pris tous les observateurs de court, pourrait constituer un encouragement pour les voisins de l’Iran et donner l’occasion aux États-Unis de repenser leur politique iranienne, qui ne s’est jamais remise de la crise des otages de 1979.
Le premier point à souligner est que la campagne électorale iranienne a donné à la région un exemple de démocratie dont beaucoup de pays arabes pourraient s’inspirer. On est à des années lumière des consultations organisées récemment sous occupation américaine et israélienne. Il est vrai que le Conseil des gardiens de la Révolution n’a autorisé que sept candidats à se présenter, alors que les postulants étaient environ un millier ; vrai aussi que, dans certaines régions, les résultats sont entachés d’un soupçon de fraude, mais cela n’autorise pas les États-Unis à dénoncer un scrutin « en trompe l’oeil » et « illégitime ». Le commentaire ridicule du département d’État selon lequel l’Iran « n’est pas en phase avec le reste d’une région où, de l’Irak à l’Afghanistan, les progrès de la liberté et de l’indépendance se sont si manifestement affirmés » n’est pas fait pour redorer le blason de l’Amérique. Quand un Stephen Hadley, le conseiller à la sécurité nationale du président George W. Bush, déclare que l’Iran est « le commanditaire numéro un du terrorisme » et que « sa politique est d’éliminer Israël », il ne fait guère que ressortir les vieux clichés d’une propagande passée de mode. De tels propos peuvent combler d’aise les néoconservateurs, mais ils ne collent pas avec les réalités d’aujourd’hui. Tout se passe comme si les États-Unis avaient une nouvelle fois manqué une bonne occasion de corriger le tir au Moyen-Orient.
Les thèmes de campagne d’Ahmadinejad ont été la justice sociale pour les pauvres, la redistribution des revenus pétroliers, la lutte contre la corruption au sommet de l’État et un retour aux valeurs traditionnelles et à la « pureté spirituelle » de la Révolution islamique de 1979. Le nom de son site Internet était Mardomyar, « Ami du peuple ».
À condition qu’il parvienne à l’appliquer, son programme est tout le contraire de ce qui se passe dans les pays arabes, où l’État est trop souvent réduit à une coquille vide par la cupidité de privilégiés corrompus, qui dominent l’économie et agissent largement au mépris de la loi et hors de tout contrôle des institutions et des responsables politiques.
L’Iran lance un autre défi au monde arabe avec son nationalisme fier et sûr de lui, si différent du défaitisme et des compromis boiteux que l’on observe ici ou là. Décidé à résister aux oukases étrangers, et particulièrement américains, il veut traiter avec le reste du monde sur la base de l’égalité et du respect mutuel. Bien qu’il n’ait que peu d’expérience en matière de politique étrangère, Ahmadinejad a clairement indiqué qu’il veut améliorer le statut de l’Iran dans le monde. Cela ne veut pas dire qu’il soit plus antiaméricain que ses prédécesseurs, bien au contraire, mais il ne tolérera pas les menaces et les insultes qui émaillent le discours de l’administration Bush. Le prix élevé du pétrole, qui devrait rapporter à l’Iran 50 milliards de dollars d’ici à mars 2006, et ses relations stratégiques avec la Chine et la Russie sont autant de facteurs qui devraient conforter la résistance iranienne aux exigences américaines.
Ahmadinejad a déjà déclaré qu’il entendait renforcer les liens de son pays avec ses voisins arabes. Son élection est donc avant tout une bonne nouvelle pour l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah, qui constitue le principal obstacle à l’hégémonie israélo-américaine dans la région.
Parfois considérée comme le « maillon faible » de l’axe, la Syrie, notamment, attend avec impatience de voir quel appui supplémentaire Téhéran est susceptible de lui fournir. L’administration américaine l’a accusée d’encourager la violence en Irak et au Liban. Et de soutenir les factions militantes palestiniennes contre Israël. La secrétaire d’État Condoleezza Rice fait campagne pour l’isoler diplomatiquement. Les faucons américains et israéliens ne cachent pas que leur objectif est un « changement de régime » à Damas, prélude, selon eux, à la disparition de l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah.
De fait, si Ali Akbar Hachémi Rafsandjani avait été élu comme on le prévoyait généralement, il aurait pu être tenté de sacrifier les liens avec la Syrie et le Hezbollah en échange d’un accord avec les États-Unis. Une telle hypothèse est désormais exclue. Dans le courant de ce mois, Français, Allemands et Britanniques reprendront les négociations avec l’Iran au sujet de son programme nucléaire. On prévoit qu’ils feront une « dernière proposition » : des avantages économiques, financiers et technologiques en échange d’un engagement à renoncer définitivement à l’enrichissement complet de l’uranium. Les États-Unis ont déjà fait part de leur scepticisme. Ingénieur de formation, Ahmadinejad tient beaucoup à promouvoir le progrès technologique dans son pays. Selon lui, « l’énergie nucléaire est l’oeuvre du progrès scientifique du peuple iranien ». Et personne ne sera autorisé à bloquer son développement technologique.
Tout en s’engageant à poursuivre les efforts pour maîtriser le cycle de l’enrichissement de l’uranium à des fins pacifiques (production d’électricité), il a souligné que les armes nucléaires étaient « contraires aux valeurs de l’islam ». Les États-Unis et Israël seraient bien avisés de le prendre au mot plutôt que de chercher à l’intimider en le menaçant d’une intervention militaire.
L’ambassadeur américain auprès de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a fait savoir récemment que « l’Amérique n’acceptera pas que l’Iran soit capable de fabriquer des armes nucléaires », et que « l’action militaire est une option si Téhéran ne prend pas les mesures nécessaires ». Enfoncés comme ils le sont dans le bourbier irakien et à court de personnel militaire, les États-Unis devraient s’abstenir de propos aussi irréalistes et inutilement provocateurs.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires