Tony Blair

Reconduit dans ses fonctions le 5 mai, l’insatiable chef du gouvernement britannique a pris le 1er juillet la présidence de l’Union européenne et accueille le sommet du G8 à Gleneagles (6-8 juillet).

Publié le 4 juillet 2005 Lecture : 6 minutes.

« Dans chaque crise, il y a une chance à saisir. Il y en a une, ici et maintenant, pour l’Europe », s’est exclamé Tony Blair le 23 juin, au lendemain de l’échec du sommet de
Bruxelles. Alors que les vingt-cinq membres de l’Union européenne (UE) n’étaient pas parvenus à un accord sur le budget 2007-2013 et que le président français Jacques Chirac et le chancelier allemand Gerhard Schröder lui imputaient la responsabilité de cet échec, le Premier ministre britannique a utilisé à plein son art de l’attaque comme meilleur moyen de défense.
Une caractéristique qui fait de lui, depuis huit ans, un tacticien hors pair, un âpre négociateur dans la lignée de Margaret Thatcher et un formidable battant. N’a-t-il pas mené, le 5 mai, son parti à une troisième victoire d’affilée ?
Mais la vie politique est bien ingrate, comme le constate Matthew d’Ancona, l’un des rédacteurs en chef du Sunday Telegraph : celui qui sut naguère tenir les électeurs sous le charme ne suscite plus aujourd’hui – usure du pouvoir oblige – que « l’ennui », voire « des sentiments d’hostilité ouverte ». Contesté dans son propre camp et, au-delà, vertement critiqué par le couple franco-allemand qui le soupçonne de vouloir porter à l’UE un coup fatal en promouvant un modèle libéral bâti sur les ruines d’une Europe politique inaboutie, Blair a réussi l’exploit d’apparaître comme le nouvel homme fort de l’Union. Lui qui fut l’intrépide rénovateur du vieux Labour jette dorénavant toutes ses forces dans le combat plus ambitieux de la « modernisation » de l’UE.
Difficile de savoir qui est le véritable Tony Blair. Un « homme de fer » dans la lignée de la célèbre Dame ? Ou un « leader aux pieds d’argile », qui met à profit la faiblesse de l’axe franco-allemand pour rebondir et, en perfide rejeton d’Albion, attend son heure pour livrer une Europe docile au grand maître américain ? Ou encore, tout simplement, un homme qui entame son dernier mandat (il l’a promis) et qui est désormais obsédé par le jugement de la postérité ?
Toutes les ambiguïtés du personnage, qui se définit comme un « Européen passionné », ne sont pas levées. Et pour cause : le Premier ministre est un pragmatique. Le fait qu’il ait pris goût au pouvoir promet un avenir plein de surprises. Il est vrai qu’il en est coutumier depuis ses débuts en politique…
Car Blair, après avoir grandi dans l’ombre de Neil Kinnock, qui voulait réconcilier le Labour avec une gestion efficace de l’économie, n’accéda à la tête du parti que par hasard, lorsque John Smith, son nouveau leader, succomba à une crise cardiaque, en 1994. Il s’allia aussitôt avec le brillant Gordon Brown – son futur chancelier de l’Échiquier – et conclut avec lui un « pacte » aux termes duquel il s’engageait, en échange de son soutien, à lui céder un jour son fauteuil de Premier ministre. Seul ennui : les versions des intéressés divergent sur la date de cette passation de pouvoir. Et Brown, furieux, attend toujours…
Certes, depuis le 5 mai, Blair ne dispose plus que d’une majorité de 66 sièges (contre 179 en 1997, et 167 en 2001). Il va lui falloir ménager ses députés, alors que, jouant de son charisme, il avait jusqu’ici plus que tendance à s’en émanciper. Au lendemain du scrutin, une trentaine d’entre eux ont menacé de bloquer plusieurs réformes, comme l’instauration d’une carte d’identité, l’augmentation des frais de scolarité dans les universités ou l’adoption de mesures antiterroristes.
Il n’empêche : même si l’enthousiasme s’est émoussé (selon un sondage publié par le Daily Telegraph le 9 mai, les trois quarts des Britanniques souhaitent qu’il renonce à son poste avant la fin de la législature), Blair est le seul leader travailliste de l’Histoire à avoir remporté trois élections générales de suite. Ce dont ne lui savent pas gré d’anciens compagnons comme les ex-ministres Robin Cook ou Frank Dobson. Et moins encore les députés recalés qui lui imputent la responsabilité de leur échec. Tous le qualifient de « boulet » et de « canard boiteux » et attribuent le succès électoral des travaillistes au populaire Gordon Brown, l’artisan de la réussite économique du royaume, qui s’est habilement tenu à l’écart du dossier irakien dans lequel s’est embourbé le Prime minister.
Tout cela a beau sentir la fin de règne, le fringuant Tony Blair (qui n’a, après tout, que 52 ans) entend bien mener son dernier mandat à son terme. « Je n’ai pas passé quatre semaines en enfer [durant la campagne] pour me casser dans quelques mois », aurait-il répliqué à ses détracteurs. On peut le comprendre. L’économie britannique se porte bien et lui-même est à l’aube de nouvelles aventures : outre qu’elle a accédé, le 1er juillet et pour six mois, à la présidence de l’UE, la Grande-Bretagne accueille le sommet du G8 du 6 au 8 juillet, à Gleneagles (Écosse). Et Londres espérait bien être désigné par le Comité international olympique, le 6 juillet, pour accueillir les Jeux de 2012… Il lui fallait pour cela l’emporter sur Paris (encore !), a priori son plus dangereux adversaire.
Moderniser l’Europe en redéfinissant ses priorités budgétaires constitue le premier volet du « programme Blair ». Profitant de la faiblesse de Jacques Chirac (après l’échec du référendum sur la Constitution européenne) et de Gerhard Schröder (qui risque de céder la place, en septembre, à l’américanophile Angela Merkel) – sans parler de l’échec de leurs politiques écono-miques respectives ! -, il espère en finir avec le « modèle social » franco-allemand, qui a, selon lui, produit « 20 millions de chômeurs en Europe » et n’est pas en phase avec la mondialisation. Il rêve de lui substituer un modèle plus libéral, davantage tourné vers les marchés et plus « flexible » en ce qui concerne l’emploi.
Attaqué par Chirac, qui pensait l’embarrasser en soulevant la question du « rabais britannique » (une compensation budgétaire obtenue en 1984 par Margaret Thatcher), et peut-être attendu au tournant par Brown, qui s’est empressé de juger inacceptable la moindre remise en cause de cet acquis, Blair a rendu coup pour coup… en déplaçant le débat. Il propose de cesser d’affecter 40 % du budget européen à la politique agricole commune (PAC) et d’oeuvrer au profit de la recherche. Pour ses adversaires, il ment par omission : il ne précise pas que la PAC est dotée du seul budget communautaire intégré, qu’elle ne sert pas uniquement à aider 2 % de la population européenne et qu’elle fait aussi la force de l’industrie agroalimentaire. Plus grave, Blair esquiverait le problème de fond : la faiblesse du budget global de l’UE…
Mais le Britannique nourrit aussi d’autres ambitions. Persuadé que la diplomatie américaine a sensiblement évolué sous la houlette de Condoleezza Rice, passant de l’unilatéralisme à une ère de concertation dans laquelle la fidèle Grande-Bretagne aurait un rôle essentiel à jouer, il rêve d’influer sur la politique mondiale. Soucieux de rester sur la même longueur d’ondes que l’administration Bush, il espère pourtant l’amener à résipiscence sur certains sujets transversaux, comme la protection de l’environnement ou la lutte contre la pauvreté.
Il a fait de ce dernier point (notamment en ce qui concerne l’Afrique) l’une des priorités de sa présidence du G8 et a confié le dossier de la réduction de la dette des pays les plus pauvres à Gordon Brown. Il a en partie obtenu satisfaction : le 10 juin, les ministres des Finances des pays du G8 ont accepté d’effacer totalement la dette multilatérale de dix-huit pays pauvres très endettés (voir J.A.I. n° 2319). Et Blair ne désespère pas de convaincre Bush de doubler l’aide à l’Afrique d’ici à 2010.
Il se montre en revanche moins optimiste sur le dossier de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Alors qu’il souhaitait que le G8 définisse un plan d’action (même a minima, compte tenu des réticences américaines, mais suffisant pour amener Washington à composer), il a dû admettre qu’il serait « très difficile » de parvenir à un accord. Et s’il n’a pas encore été question de l’Iran, la récente élection d’un président ultraconservateur (voir pages 26-30) ne devrait pas faciliter une approche plus souple de la Maison Blanche sur le dossier du nucléaire. Jusqu’à présent, Londres avait cherché l’apaisement et travaillé de concert avec ses partenaires français et allemand… En Europe comme ailleurs, le diagnostic de Blair sonne juste. Reste à voir si sa méthode sera couronnée de succès.

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