Sétif, d’hier et d’aujourd’hui
Cité au passé prestigieux, elle dispose aujourd’hui des atouts nécessaires pour devenir l’une des agglomérations les plus importantes du pays. Carte postale de la ville martyre du 8 mai 1945.
Les 33 millions d’habitants que compte l’Algérie se concentrent essentiellement sur la bande côtière. Longue de 1 200 kilomètres, celle-ci ne représente que 5 % d’un territoire national qui s’étend sur plus de 2 millions de kilomètres carrés. Aussi le discours officiel ne cesse-t-il de réitérer cette formule : « Le développement de l’Algérie passe impérativement par celui des Hauts Plateaux. » Cette région montagneuse d’une altitude moyenne de 1 000 m sépare la façade maritime de l’immensité désertique du Sahara. Deux de ses villes, Tiaret à l’ouest et Sétif à l’est, se distinguent par un passé prestigieux, qui remonte au paléolithique. Sétif, la plus connue, célèbre cette année le soixantième anniversaire des massacres commis par les forces coloniales le 8 mai 1945. Les Algériens étaient sortis fêter la défaite du IIIe Reich en manifestant avec des slogans indépendantistes. Une terrible répression s’était alors abattue sur eux, faisant, selon les versions, entre 10 000 et 50 000 morts. Mais, au-delà de cette tragédie, Sétif présente bien d’autres centres d’intérêt.
Géographiquement, sa circonscription administrative se situe entre deux grandes zones à majorité berbérophone. Au nord, elle est délimitée par la wilaya de Béjaïa, capitale de la Petite Kabylie, réputée particulièrement frondeuse à l’égard de l’autorité centrale. Au sud-est, elle jouxte les Aurès où se concentrent les Chaouia, ces Berbères qui ont fourni à l’armée la plupart de ses généraux et sont fortement représentés dans les hautes sphères décisionnelles. D’où une position quelque peu paradoxale, sa population faisant tampon entre les opposants et les tenants les plus actifs du pouvoir.
Autre singularité : sa zone industrielle est devenue, au fil des plans de développement passés, les fameux quadriennaux de l’ère Houari Boumedienne durant les années 1970, l’un des pôles économiques les plus dynamiques de l’Algérie, dans des domaines aussi divers que la pétrochimie, l’électronique et l’agroalimentaire. Avec les réformes et les privatisations en cours, elle est désormais majoritairement occupée par le secteur privé. Hormis la transformation du caoutchouc, demeurée sous la coupe d’une filiale du groupe pétrolier Sonatrach, toutes les unités industrielles ont été cédées à des opérateurs privés. Le secteur le plus en vue ? Le bâtiment et les matériaux de construction. C’est ainsi que les entreprises sétifiennes sont sans doute les seules en Algérie à être capables de réaliser, sans apport externe, le programme régional de réalisation des logements et des infrastructures inscrit dans le Plan quinquennal de consolidation de la croissance (PCC, doté d’une enveloppe de 55 milliards de dollars, voir pp. 63-65). À titre d’exemple : les capacités de production de ciment sont de l’ordre de 9 000 tonnes par mois. Le PCC prévoit la réalisation de 25 000 logements à Sétif sur la période 2005-2009. Chaque habitation requiert 25 tonnes de ciment. La production locale dispose donc d’une marge non négligeable pour satisfaire la réalisation du programme en cours.
Chef-lieu de wilaya, Sétif est une ville agréable qui compte près de 200 000 habitants, selon un recensement effectué en 2003. Les Sétifiens ne sont pas peu fiers de leur tout nouveau campus. L’université Ferhat-Abbas, du nom de ce héros national, premier président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) originaire de Sétif, dispose de 5 000 places pédagogiques et d’une cité universitaire de 1 500 lits. La ville possède depuis 2002 une nouvelle aérogare internationale. Toutefois, ses nombreux atouts touristiques (ruines romaines, sources thermales et thalassothérapie) sont sous-exploités, en raison d’infrastructures notoirement insuffisantes : sa capacité hôtelière se limite à quelques centaines de lits, dont une soixantaine pour l’hôtel Setifis (nom romain de la ville), doté de quatre étoiles.
« Sétif est la seule ville d’Algérie où j’ai vu une femme aux seins nus. » Cette boutade lancée par un expatrié, représentant un groupe industriel français, de passage à Sétif, évoque la sculpture réalisée par Francis de Saint-Vidal en 1898. Devenu l’emblème de la ville, ce monument représente une nymphe trônant sur une fontaine baptisée Ain Fouara (la source du jet d’eau). Une légende populaire astreint le voyageur à s’y abreuver, faute de quoi il sera poursuivi par une implacable malédiction. Mais Sétif a un autre amour : l’Entente, un club de football qui a longtemps régné sur le championnat national. Même s’il a du mal à retrouver son lustre d’antan, les joueurs de Kahla ou Beida (Noir et blanc) sont aux Sétifiens ce que les Bianconeri de la Juventus sont aux Turinois : des dieux vivants.
Autre objet d’adoration des habitants : le staïfi. Ce genre musical spécifique à Sétif est écouté dans toutes les régions du pays. Fondé sur le patrimoine lyrique rural, il a été modernisé par l’introduction d’instruments de musique électriques. Très « swinguant », le staïfi arrive à bousculer le raï dans le hit-parade algérien et s’impose de plus en plus dans les discothèques et autres fêtes familiales.
Incontestablement, Sétif est l’une des plus belles villes d’Algérie. Selon la plupart des personnes interrogées, le mérite de ce « charme urbanistique » revient à Khalifa Bendjedid. Le frère de l’ancien président de la République, Chadli Bendjedid, a été le wali (« gouverneur ») de Sétif durant les années 1980. La rénovation de la voirie, l’agrandissement de la ville, l’expansion de la zone d’activités économiques ou l’élargissement des avenues, tout ou presque lui est dû. Son statut de frère du chef de l’État lui aurait-il conféré plus de moyens ? « Pas du tout, proteste un jeune entrepreneur, la ville n’avait pas plus d’argent que d’autres, mais il avait de la suite dans les idées. » Et il cite un exemple : « En 1987, le chapitre budgétaire consacré à l’habitat a vite été consommé, sans répondre à l’immense demande. En revanche, celui des infrastructures routières était encore alimenté. Khalifa Bendjedid a réuni l’ensemble des opérateurs économiques privés – et, à l’époque, le socialisme scientifique était toujours en vigueur. Il leur a proposé des lotissements de terrains au dinar symbolique s’ils acceptaient de se transformer en promoteurs immobiliers. Outre la modique somme pour la cession des lotissements, la wilaya prendrait en charge la réalisation de tout ce qui est voirie. C’est ainsi qu’est né le boulevard des Entrepreneurs, l’artère la plus large et la plus longue de la ville. Le commerce y est prospère et le nombre de logements réalisés se chiffre en milliers. »
Sétif n’a pas fini d’étonner. Le dynamisme de son secteur privé devrait répondre à la volonté des pouvoirs publics de développer les Hauts Plateaux et absorber les faramineuses lignes de crédit destinées à décongestionner, d’un point de vue démographique, les grands centres urbains que sont Alger, Oran, Constantine ou Annaba. Et dans quelques années, Sétif sera, elle aussi, une agglomération de plus d’un million d’habitants.
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