Quatre ans pour réussir

Une confortable majorité parlementaire, une opposition éclatée, une société traumatisée par une décennie de violence, une formidable cagnotte pétrolière Autant de facteurs qu’Abdelaziz Bouteflika doit prendre en compte pour sortir son pays du sous-dévelo

Publié le 5 juillet 2005 Lecture : 6 minutes.

Abdelaziz Bouteflika a été réélu, en avril 2004, avec près de 85 % des suffrages exprimés – une confortable assise populaire qui se reflète dans les institutions de la République. Les deux Chambres du Parlement sont largement dominées par l’Alliance présidentielle. Cette coalition est composée des deux grandes familles politiques nationalistes, le Front de libération nationale (FLN, ex-parti unique dont le secrétaire général est Abdelaziz Belkhadem) et le Rassemblement national démocratique (RND, du Premier ministre Ahmed Ouyahia), ainsi que du courant islamiste modéré, proche de l’Association internationale des Frères musulmans, le Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas de Bouguera Soltani). Ces trois formations détiennent plus de 80 % des sièges de députés et de sénateurs. Outre le Parlement, elles dirigent près de 1 200 municipalités sur les 1 600 que compte le pays. Toutefois, cette majorité absolue n’épargne ni à l’Assemblée populaire nationale (APN, Chambre basse), ni au Conseil de la nation (Sénat) de longs débats à l’occasion des questions orales au gouvernement. La déclaration de politique générale du Premier ministre Ahmed Ouyahia, en mai 2005, a provoqué plus d’une centaine d’interventions à l’APN et la moitié au Sénat. Manque de coordination au sein de l’Alliance ? Discipline parlementaire aléatoire ? « Pas du tout, affirme un député du RND. Les composantes de l’Alliance s’inscrivent dans une stratégie politique qui s’inspire du programme électoral du président Bouteflika, sans pour autant perdre leur identité ou leur indépendance. Il est tout à fait normal qu’un député islamiste du MSP dénonce la suppression de la filière des Sciences islamiques de l’université quand celle-ci fait partie des réformes de l’éducation que préconise le gouvernement. S’il vote contre l’adoption d’un tel projet, cela ne signifie en aucune manière un coup de poignard donné dans le dos de l’Alliance. En revanche, il ne peut faire dans la surenchère ni affirmer que ce gouvernement est mécréant en présentant cette réforme comme une atteinte à la charia. » Ce rôle est dévolu à l’opposition représentée au Parlement. Celle-ci est constituée par la vingtaine de députés du Parti des travailleurs (PT, de Louisa Hanoune, d’obédience trotskiste) et par la trentaine d’élus islamistes radicaux du Mouvement de la réforme nationale (MRN-Islah, d’Abdallah Djaballah). Cette minorité politique est tout sauf une simple caution démocratique. Par un jeu d’alliances conjoncturelles, elle parvient à faire adopter des projets d’amendements, voire des dispositions contraires aux engagements internationaux. Ainsi en est-il de cette fameuse loi interdisant l’importation de boissons alcoolisées au moment même où l’Algérie négocie son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cet amendement a été introduit lors du débat sur le projet de loi de finances 2004 par un député islamiste du MRN grâce au soutien du MSP et à la désinvolture des élus des autres membres de l’Alliance qui ont brillé par leur absence lors du vote. C’est dire les fluctuations inattendues de la vie parlementaire algérienne. Tout cela n’alarme pas outre mesure le gouvernement. « Cette disposition ne relève pas du texte sacré, relève un proche collaborateur d’Ahmed Ouyahia. Le jour où elle posera problème, l’Alliance se mobilisera pour l’abroger. » En revanche, ce qui inquiète le pouvoir, c’est la situation sociale.
Les années 1990 avaient été marquées par l’insurrection islamiste armée, et le citoyen, dans sa quête de survie, avait mis en sourdine ses revendications socioéconomiques. L’amélioration des conditions sécuritaires les a quelque peu réveillées. Les questions du pouvoir d’achat et de la qualité de la vie sont revenues en première ligne, les revenus salariaux ayant diminué de moitié au cours de la décennie précédente. En revanche, durant les quatre premières années du millénaire, le salaire national minimum garanti (SNMG, équivalent du smig en France) s’est accru de 50 %. « Insuffisant ! » dénonce l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), la principale organisation syndicale, qui réclame une meilleure protection de ses adhérents dont les emplois sont menacés par la politique de libéralisation de l’économie. Longtemps revendiquée par le patronat, cette ouverture économique est aujourd’hui source d’inquiétude pour le secteur privé, qui redoute la concurrence internationale et exige des mesures protectionnistes. Pour gérer ces états d’âme, le président Bouteflika préconise l’élaboration d’un pacte social qui engagerait la tripartite (gouvernement, syndicats et patronat) durant le quinquennat 2005-2009. Une sorte de paix des braves durant laquelle le gouvernement ouvrira les grands chantiers du plan de soutien à la croissance. Pour cela, le gouvernement devra donner des gages au syndicat en matière de maintien de l’emploi à l’issue des opérations de privatisation des entreprises publiques actuellement en cours. D’autant qu’avec six millions de travailleurs et de fonctionnaires, l’État reste le premier employeur du pays. Il devra également rassurer le patronat pour ce qui est de la promotion de la production du secteur privé national. L’élaboration de ce pacte est en cours de négociation. Sa signature devrait intervenir en septembre 2005.
Deux échéances importantes sont attendues dans les mois à venir. La première concerne la Kabylie : des élections partielles doivent se tenir dans cette région traumatisée par la grave crise qui a sévi entre 2001 et 2004. Son règlement est passé par l’élaboration d’un nouveau concept politique : les « indus élus », qualificatif lancé par les animateurs de la protestation kabyle, qui déniaient toute légitimité aux élus de cette partie du pays. Le gouvernement a cédé sur ce point, sans consulter les partis représentés dans les institutions locales. La dissolution de ces dernières devrait intervenir par un décret présidentiel, au grand dam de l’opposition, qui ne dispose d’aucun recours et reproche au pouvoir ses « inexplicables concessions ». Deux partis fortement implantés en Kabylie, mais dépassés par le mouvement des arouch, ces comités de villages et de tribus qui ont pris la tête de la protestation kabyle, en font les frais : le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, de Saïd Sadi) et le Front des forces socialistes (FFS, d’Hocine Aït Ahmed). Après avoir boycotté les élections législatives de 2002, ils n’existaient plus qu’à travers cette représentation locale.
La seconde échéance est de loin plus importante : le projet d’amnistie générale que propose le président Bouteflika pour régler définitivement la question du terrorisme islamiste. La Concorde civile et sa « grâce amnistiante » adoptée le 13 janvier 2000, après un processus référendaire en septembre 1999, a fortement réduit la violence. Bouteflika souhaiterait maintenant aller plus loin avec son projet de réconciliation qui prévoit une amnistie pour les acteurs de la « tragédie nationale », formule qualifiant les événements de la décennie noire. Ce projet suscite passion et débats. Comment pardonner aux égorgeurs de bébés, aux auteurs des massacres collectifs et aux assassins de policiers, journalistes ou intellectuels ? La paix devra-t-elle se faire au détriment de la justice ? Si globalement l’électorat, fatigué par ces années de violence, est prêt à voter « oui » au référendum que propose Bouteflika, l’Algérie pourra-t-elle faire l’économie d’un débat de société ? Un dossier risque de compliquer la donne : celui des disparus. Une commission a établi un rapport qui montre que des agents de l’État sont impliqués dans la disparition de plus de six mille personnes. Perçu comme une tentative de soustraire les agents des forces de sécurité à la justice et de perpétuer l’impunité, le projet d’amnistie devient dès lors suspect aux yeux des ONG impliquées dans la défense des droits de l’homme. Les six mille disparus devraient peser plus lourd que les deux cent mille victimes du terrorisme islamiste. L’Algérie est un pays bien compliqué.

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