Ngozi Okonjo-Iweala : la fermeture de la frontière Bénin-Nigeria a été « trop brutale »
Invitée de Jeune Afrique, le 28 janvier à Paris, la Nigériane, patronne de l’OMC, explique pourquoi son pays – qui a fermé son marché au voisin béninois – n’est pas forcément un mauvais élève du libre-échangisme.
Le Nigeria, plus grand marché du continent, est-il vraiment une économie nationaliste ? En 2019, le pays avait, en violation semble-t-il des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et de la Cedeao, fermé unilatéralement ses frontières avec le Bénin. Empêchant, durant plus d’un an, tout échange commercial avec son voisin de l’ouest. Ensuite, en 2021, le même pays, après moult hésitations, a été l’un des derniers à adhérer à la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) entrée en vigueur le 1er janvier. Enfin, et c’est bien connu, le Nigeria est réputé pour les subventions massives qu’il accordait à certaines de ses industries, telles que le ciment ou le sucre.
Le 28 janvier, Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l’OMC depuis mars 2021, a livré son analyse de la situation devant un parterre de personnalités réunis à Paris lors d’un évènement organisé par Jeune Afrique, The Africa Report et Concerto. « Le Nigeria ne pratique pas un nationalisme économique de pacotille », a-t-elle en substance défendu. Selon, les règles de l’union douanière de la Cedeao, un produit fabriqué dans un pays membre peut circuler librement dans les autres pays de la zone. Mais « ce qui s’est passé, et je l’ai vu moi-même, c’est que certaines marchandises étaient importées dans des pays [tels que le Bénin], puis réempaquetées comme si elles étaient produites localement, avant d’être ensuite envoyées vers d’autres pays [le Nigeria] » où elles sont vendues moins cher que les produits locaux, a expliqué celle qui fut sept ans durant ministre des Finances du Nigeria. « Ce n’était pas correct, c’était une atteinte à la concurrence », a-t-elle ajouté.
Trouver de meilleurs instruments
« Je connais donc les raisons pour lesquelles les autorités nigérianes avaient pris cette décision », a expliqué l’ancienne numéro deux de la Banque mondiale, qui a cependant tenu à préciser qu’elle n’était pas « favorable à la fermeture des frontières » qu’elle juge « trop brutale ».
Certains de nos entrepreneurs ont prouvé qu’ils pouvaient faire ce qu’il fallait pour être compétitifs
Pour Ngozi Okonjo-Iweala, il est indispensable de « trouver de meilleurs instruments » pour régler ce type de problème. Par exemple, « à l’époque où j’étais ministre des Finances, a-t-elle rappelé, le président Obasanjo avait demandé que nous organisions une inspection en République du Bénin pour vérifier si les usines locales produisaient réellement certains des textiles qui arrivaient chez nous. Ce que nous avions commencé à faire ».
Il faut dire que, dans le cas du textile,le Nigeria a vécu une mauvaise expérience. Autrefois florissante, cette industrie, qui a aussi été l’un des plus importants employeurs du pays, a été « dévastée » par les importations de contrefaçons en provenance notamment de Chine. « Je suis moi-même allée en Chine apporter ces copies [contrefaçons] à l’establishment chinois pour leur expliquer à quel point ce genre de pratique était en train de saper notre production locale. Pékin a examiné la situation et a découvert que cette pratique provenait de certaines provinces de leur pays, et que des Nigérians étaient de connivence avec des Chinois pour le faire », a-t-elle continué.
La fin de l’ère des subventions
Quid donc des politiques de subventions pratiquées par le Nigeria lui-même, qui favorisent la compétitivité de certaines de ses entreprises actives dans d’autres pays ? Là aussi, Ngozi Okonjo-Iweala, qui a par ailleurs été brièvement, ministre des Affaires étrangère de son pays, précise : « Il fut un temps où l’industrie du sucre et du ciment étaient soutenues, mais ce n’est plus le cas désormais. Nous sommes devenus compétitifs. Prenez Dangote, qui n’est pas seulement présent au Nigeria mais dans 14 autres pays africains. Ou encore BUA Group, son concurrent. Le fait d’avoir une grande part de leur marché intérieur leur donne peut-être un avantage. Si l’accusation porte sur l’existence d’un monopole ou d’un oligopole, je peux l’accepter », a-t-elle expliqué, ajoutant que l’époque des subventions massives et directes est terminée au Nigeria.
Cela n’aurait pas beaucoup de sens que le Nigeria ne fasse pas partie de la Zlecaf
« Je connais les chiffres dans mon pays, nous ne pouvons pas nous le permettre. Et, en outre, je pense que certains de nos entrepreneurs ont également prouvé qu’ils pouvaient faire ce qu’il fallait pour être compétitifs », a soutenu celle qui en 2011, alors ministre des Finances, avait tenté de tailler dans les subventions aux carburants, avec un succès relatif.
Quant aux hésitations de son pays vis-à-vis de la Zlecaf, Ngozi Okonjo-Iweala concède volontiers que le « Nigeria, à un moment donné, a résisté parce que les industriels locaux étaient un peu réticents à l’idée d’adhérer à cette zone, mais nous l’avons rejointe, parce que le Nigeria est le plus grand marché du continent, et cela n’aurait pas beaucoup de sens s’il n’en faisait pas partie ». Mastodonte représentant 75% à 77% du PIB de l’Afrique de l’Ouest, et presque un quart du PIB du continent, le Nigeria pouvait-t-il réellement rester en marge de ce marché commun ? « Nous ne pouvions pas nous le permettre », conclut la diplômée de Harvard et du MIT.
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