Palabre à l’ombre des derricks

La conférence nationale réunie depuis mars ne bouclera pas ses travaux avant la mi-juillet. Des difficultés sont apparues entres Nordistes et Sudistes sur le partage de la manne pétrolière.

Publié le 4 juillet 2005 Lecture : 3 minutes.

En dépit de l’intervention du président Olusegun Obasanjo, la Conférence nationale sur les réformes politiques (NPRC) est dans l’impasse. Ouverte à Abuja en mars 2005, elle devait s’achever le 21 juin, mais ses travaux pourraient se poursuivre jusqu’à la mi-juillet. Son objectif initial était de proposer un ensemble de réformes économiques, sociales, politiques mais également constitutionnelles – ces dernières étant soumises au vote de l’Assemblée nationale – destinées à renforcer la cohésion nationale, lutter contre la pauvreté, la corruption et les problèmes interethniques et interreligieux. Certains leaders d’opinion, comme le Prix Nobel de littérature 1986 Wole Soyinka, la voyaient comme une Conférence nationale souveraine telle qu’il s’en est tenu dans de nombreux pays africains au début des années 1990. Ils ont imaginé qu’elle allait permettre de remettre toutes les structures du pays à plat et que ses décisions prendraient force de loi. Ces personnalités ont été déçues par la tournure pragmatique, voire partisane, prise par la NPRC et l’ont rapidement boycottée.
Ces ratés du départ n’ont pu que conduire à des blocages à l’arrivée. C’est ce qui s’est passé, le 14 juin, lorsque les délégués des États du delta du fleuve Niger, producteurs de pétrole, ont décidé de boycotter les travaux de la Conférence pour protester contre la limitation à 17 % de l’allocation spéciale dérivée des bénéfices de la production pétrolière. Une fois de plus, le partage de cette rente pose problème. Les représentants du Sud estiment que leurs populations locales doivent être mieux indemnisées et veulent porter cette compensation à 25 %, pour atteindre 50 % d’ici à cinq ans.
Le président Obasanjo a rencontré toutes les parties et tenté de trouver un compromis. Les délégués du Sud, réunis dans l’État de Rivers afin de consulter les représentants des différentes communautés du Grand Sud et du sud-est du pays, maintiennent qu’un pourcentage inférieur à 25 % est inacceptable. L’explication de cette fermeté est historique. La région du delta du Niger était, autrefois, divisée en deux zones, l’Ouest et l’Est, qui – avec le Nord – constituaient l’État fédéral indépendant du Nigeria tel qu’il s’est défini au lendemain de l’indépendance. Les constitutions de 1960 et de 1963 prévoyaient que « la Fédération verse à chaque région une somme représentant 50 % des royalties perçues sur l’extraction des ressources de leur sous-sol ». Cette loi est restée en vigueur jusqu’à l’arrivée des militaires au pouvoir en 1966. La guerre civile dite du Biafra a réduit ce pourcentage à zéro. La paix revenue, il est remonté à 1 % puis à 3 % jusqu’à ce que la Constitution de 1999 fixe le revenu minimum à 13 %.
Au fil du temps, la production pétrolière du Nigeria a augmenté de façon considérable. Aujourd’hui, toute la région du Sud-Est connaît une importante dégradation de son écosystème, qui entraîne des problèmes dans l’agriculture et en pose d’autres en matière de santé publique. Les fermiers ont été expropriés des terres arables, les zones de pêche sont dévastées par la pollution générée par les barges de forage, les torchères empoisonnent quotidiennement l’atmosphère de tout le littoral… Bref, loin d’être une bénédiction, la production pétrolière n’est pas sans présenter de réels dangers pour les communautés locales.
Normal, a priori, qu’elles exigent une juste compensation. Mais elles veulent également que leur poids économique ait une traduction politique. Les précédents régimes militaires ont permis la concentration des richesses entre les mains de la classe dirigeante, alors quasi exclusivement composée de Nordistes. Pour la NPRC, l’heure est aujourd’hui au rétablissement d’un juste équilibre entre ressortissants du Nord et du Sud devenu le premier producteur de pétrole d’Afrique, avec 2,5 millions de barils par jour en 2004. Car pas moins de 70 % des 130 millions de Nigérians vivent en dessous du seuil de pauvreté et deux tiers d’entre eux habitent les zones rurales du nord du pays.
Par ailleurs, dans les États fédérés du Sud, producteurs de brut, il est de notoriété publique que les fonds provenant de la compensation financière sont en grande partie détournés par les responsables, à tous les échelons de l’administration. Ce qui alimente la frustration des populations et a donné lieu, en septembre 2004, à une rébellion contenue à grand-peine par le président Olusegun Obasanjo. Autant dire que si la NPRC veut être un succès, c’est sur ce point capital de la rente pétrolière qu’elle doit désormais travailler.

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