Opération « mains propres » ou chasse aux sorcières ?

Engagée il y a quelques semaines, la campagne anticorruption ne faiblit pas. Même si certains trouvent qu’elle vire parfois au règlement de comptes.

Publié le 4 juillet 2005 Lecture : 4 minutes.

« Une opération mani pulite ? Dites plutôt une campagne de règlements de comptes au sein du sérail algérien ! » Ce dirigeant de l’opposition, aujourd’hui en retrait de l’activité politique, affiche le plus grand scepticisme à l’égard de la campagne de lutte contre la corruption engagée ces dernières semaines par les autorités algériennes (voir J.A.I. n° 2317). Et pourtant…
Les services de sécurité multiplient les arrestations contre les hommes d’affaires véreux, la justice ouvre des dossiers tous azimuts alors qu’un projet de loi relatif à la prévention et la lutte contre la corruption fait actuellement l’objet de débats à l’Assemblée nationale. « L’époque de l’impunité est révolue, nul ne peut être désormais au-dessus de la loi », affirmait en mai dernier Tayeb Belaiz, le garde des Sceaux.
Fini donc, vraiment fini, le temps de l’impunité ? Pour l’heure, les faits semblent donner raison au ministre de la Justice. Qu’on en juge ! Le wali (« préfet ») de Blida, Mohamed Bouricha, qu’on dit pourtant proche de Bouteflika, est sommé de démissionner pour cause de scandale financier tandis que son fils est écroué pour trafic de véhicules. Nordine Bedoui, le wali de Médéa, anciennement à la tête de la wilaya d’Oran, protégé et protecteur de hauts personnages de l’État, est cité par un journal arabophone dans une affaire de dilapidation de biens fonciers. Un troisième haut fonctionnaire, l’ex-wali d’Oran, Bachir Frik, écope de huit ans de prison pour détournement de logements.
Et la liste est encore longue : Messaoud Hadji, un richissime promoteur immobilier, par ailleurs patron de deux journaux arabophones, est sous mandat de dépôt, un conseiller à la présidence, Mourad Sassi, a été interpellé dans une affaire de corruption et de trafic d’influence avant d’être remis en liberté, une quarantaine de magistrats font l’objet d’enquêtes administratives et, last but not least, une centaine de maires ou d’adjoints sont poursuivis pour prévarication. Et les autorités promettent de nouvelles procédures dans un proche avenir.
Pour lutter contre la corruption qui gangrène le monde des affaires et de la politique, le président Bouteflika avait martelé, à maintes reprises, sa volonté de doter le pays d’un arsenal juridique susceptible d’éradiquer le fléau. Seulement les actes n’avaient pas suivi, et les propos du chef de l’État n’avaient jamais dépassé le stade de la profession de foi. Les choses ont changé, a affirmé Ahmed Ouyahia, le chef du gouvernement, devant les membres du Sénat, le 10 juin dernier. La lutte, contenue dans le programme politique du président de la République, sera durable et n’épargnera personne, pas même les agents des mairies, explique-t-il. Oui, mais voilà, telle qu’elle est menée aujourd’hui, cette campagne « mains propres » est assimilée à une chasse aux sorcières, voire à un règlement de comptes politique dans les hautes sphères de l’État. Il n’en est rien, soutient Ahmed Ouyahia. « Ni le chef du gouvernement, ni le ministre de la Justice, ni même le ministre des Finances n’ont utilisé l’expression « campagne mains propres » », se défend-il.
Cette mise au point ne suffit pas à rassurer Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN (Front de libération nationale), parti membre de l’alliance présidentielle. Fraîchement dégagé de ses obligations de ministre des Affaires étrangères, Belkhadem a donc repris sa liberté de parole. Et il en use fréquemment. Convaincu que son parti fait les frais d’une déstabilisation politique orchestrée par le parti rival, le RND (Rassemblement national démocratique), dont le patron n’est autre qu’Ahmed Ouyahia, persuadé que les élus du FLN sont victimes de quelques machinations judiciaires visant à les discréditer au sein de l’opinion publique, Belkhadem dénonce. « Nous sommes pour l’application de la loi, mais contre cette campagne mains propres », clame-t-il.
Certes, des dizaines d’élus de ce parti sont visés par des enquêtes judiciaires, et certains croupissent en prison depuis plusieurs mois. Mais la lutte contre les abus de pouvoir, les passe-droits et la concussion ne visent pas uniquement les élus du FLN. « Tout fonctionnaire de n’importe quelle institution, du simple agent jusqu’au plus haut responsable, est concerné par cette loi. Les délits de corruption sont passibles de vingt ans de prison », indique le ministre de la Justice.
Le gouvernement saura-t-il convaincre de ses bonnes intentions ? Pari difficile. « Tout le monde sait que des ministres, des hauts cadres de l’État et des enfants de la nomenklatura sont mouillés dans l’affaire Khalifa. Et qui a payé jusqu’à présent ? De simples cadres emprisonnés et qui attendent depuis de longs mois d’être jugés », affirme un avocat de la cour d’Alger.
Alors, qu’en est-il au juste de cette opération mani pulite à l’algérienne ? « Du spectacle, estime l’ancien Premier ministre Ahmed Benbitour. C’est la mauvaise gestion qui favorise la corruption. Et cette mauvaise gestion est le produit de l’intervention excessive de l’État dans les affaires privées ainsi que du manque de transparence dans les opérations publiques. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires