La réforme tant attendue

Le système bancaire peine à s’affranchir de la tutelle étatique, et la lenteur des transactions demeure un frein à l’activité économique. Pour y remédier, l’accélération du processus de libéralisation s’impose.

Publié le 5 juillet 2005 Lecture : 5 minutes.

Le système bancaire algérien, héritage de l’économie planifiée, souffre encore de graves lacunes et de sérieux dysfonctionnements. Évoquée à maintes reprises depuis le début des années 1990, période d’entrée de l’Algérie dans l’économie libérale, la réforme bancaire tarde à voir le jour. Pourtant, ministres, dirigeants de banques publiques et privées, experts algériens et spécialistes étrangers formulent le même avis : cette réforme est urgente. En avril 2005, à l’occasion du premier anniversaire de sa réélection, le président Bouteflika a poussé un cri de colère à propos des retards accumulés dans la mise en oeuvre de ces changements avant de lancer un avertissement : « Depuis 1999, on entend parler de réformes bancaires, mais il n’y a eu que de la gabegie. Le retard n’est plus acceptable dans ce secteur. J’attends des dirigeants des banques qu’ils accélèrent la réforme bancaire pour offrir à notre économie un cadre propice à la croissance et à l’investissement. Il n’est pas acceptable que plus de 10 milliards de dollars dorment dans les banques alors que le pays a besoin de financer ses investissements », a-t-il déclaré. Que reproche-t-on au juste à ce système bancaire tant décrié ?
Vincent Michi et Joseph Pagop-Noupoué, respectivement consultant et avocat pour le compte du cabinet d’audit américain Ernst & Young, soulignent que « malgré l’implantation de nombreuses banques étrangères (arabes, européennes et américaines) le système bancaire reste quasiment identique à celui du début des années 1990. Les banques ne sont sollicitées que pour des opérations pour lesquelles leur intervention est indispensable, les autres étant réalisées à travers les circuits informels ou parallèles ». Un rapport exhaustif, récemment élaboré par ce cabinet, détaille les carences et les failles du marché financier et bancaire du pays. Il énonce cinq facteurs de blocage :
1. Le monopole exercé par les banques publiques. Elles représentent 87,5 % du total de l’actif, contre 12,5 % pour les banques privées. S’il est vrai que de nombreuses banques étrangères se sont installées en Algérie au cours de ces dix dernières années, à l’exemple de la Société générale, BNP Paribas, Citibank, Natexis Algérie, leur part de marché reste presque insignifiante. Le public continue de dominer le secteur en termes d’actifs et de crédits à l’économie.
2. Des procédés et techniques obsolètes en ce qui concerne les méthodes de paiement et de communication. Ils se signalent par une lourdeur dans la procédure d’évaluation des crédits, un déficit de management, des délais de traitement des demandes de financement ainsi que des décisions de financement fondées davantage sur des garanties que sur l’analyse des risques de projets.
3. La faiblesse des crédits à moyen et long terme en dépit d’une forte disponibilité des liquidités. Parce que les autorités exercent une pression sur les dirigeants de banques, parce que ces derniers doivent subir constamment des interventions venant de différents cercles du pouvoir, les responsables de banques refusent du coup de prendre des risques dans l’octroi des crédits aux entreprises privées.
4. Les délais dans le traitement des chèques et des transferts de fonds interbancaires trop longs.
5. Une qualité des services de base médiocre et un accueil très mal apprécié par la clientèle. Dès lors, il n’est pas étonnant de constater que l’une des clés du succès de la défunte Khalifa Bank auprès des Algériens demeure, sans conteste, la qualité de l’accueil réservé au client.
Un consultant international travaillant avec plusieurs banques publiques algériennes livre un diagnostic encore plus sévère. « L’État continue à être dirigiste et interventionniste, dit-il. Certains responsables se plaignent que les banques soient devenues des annexes du ministère des Finances. Cela ne peut plus fonctionner ainsi dans une économie libérale. Par ailleurs, à force de faire une chose et son contraire, ces établissements souffrent d’une indigestion de réformes. » Comment faire pour imposer le changement, dans cette jungle qui n’arrange ni les banquiers, ni les clients, ni les hommes d’affaires et les gouvernants ?
Depuis le dernier remaniement ministériel, intervenu en mai 2005, le gouvernement s’est résolument engagé à donner un coup d’accélérateur à cette réforme. Le nouveau ministre des Finances, Mourad Medelci, a donc opéré d’importantes nominations à la tête de quatre banques publiques, une dizaine de jours après sa nomination. Ce mouvement a touché les PDG de quatre banques publiques : la BADR (Banque algérienne du développement rural), le CPA (Crédit populaire algérien), la CNEP (Caisse nationale d’épargne et de prévoyance) ainsi que la BEA (Banque extérieure d’Algérie). Le ministre a annoncé que d’autres mesures verraient bientôt le jour.
Le paiement bancaire informatisé et modernisé devrait être mis en oeuvre à la fin de l’année 2005. Ce processus d’informatisation, affirme le premier argentier du pays, va « permettre aux citoyens de toucher leurs chèques dans les plus brefs délais ». Une petite révolution, pour ainsi dire, lorsqu’on sait qu’en Algérie le paiement accuse des retards considérables. « Il n’est pas normal, en effet, qu’un chèque mette quatre semaines à être compensé, alors qu’un maximum de quatre jours est requis », affirme Lachemi Siagh, expert financier et président du cabinet Strategica. Un haut cadre de la BADR renchérit : « Parfois, la période peut dépasser trente jours, voire plus. Il faut admettre, ajoute-t-il, que nous avons un système archaïque dans la gestion du flux financier. »
L’absence du paiement électronique pénalise autant le particulier que les entreprises. Seules quelques institutions commencent à délivrer des cartes de crédit, et les cartes de retrait internationales ne sont acceptées que dans les hôtels de standing de la capitale. Fait nouveau à Alger : une carte interbancaire vient d’être mise en place à titre expérimental auprès de certains établissements. On peut retirer du liquide à partir d’un distributeur, régler ses achats dans les magasins et payer les notes de restaurant. Lancée au mois d’avril, cette expérience devrait attendre plusieurs mois, voire des années, avant d’être généralisée.
Autre mutation indispensable au mode de fonctionnement des banques : l’introduction de la compensation électronique interbancaire. Elle sera opérationnelle à partir de janvier 2006, selon un responsable d’une banque publique. Pour lutter contre le marché informel, véritable fléau qui gangrène l’économie algérienne (l’informel représenterait plus de 17 % de la production du pays), de nouvelles mesures seront prises au cours des prochains mois. La manipulation de l’argent liquide sera rigoureusement contrôlée, et le retrait en espèces limité à 50 000 dinars (570 euros), dans toutes les banques. En outre, tout chèque supérieur à cette somme devra impérativement être barré. Et la pratique qui consiste à endosser un chèque au profit d’une tierce personne sera supprimée.
Reste le grand chantier de la privatisation des banques publiques. Intervenant le 22 juin dernier sur les ondes de la radio nationale algérienne, le ministre des Finances s’est voulu catégorique : les banques étrangères peuvent acquérir la majorité du capital détenu par le public. « Elles ont souvent exigé d’avoir 51 % du capital des banques publiques. Pendant un certain temps, nous avons tenu à maintenir 51 % du capital à l’État. En décidant d’accepter de vendre 51 % du capital des banques, nous venons de lever l’un des éléments de blocage de la situation », a-t-il affirmé. Un tabou vient d’être brisé. La nouvelle devrait réjouir les responsables des établissements étrangers ainsi que les institutions internationales, qui n’ont de cesse d’inciter les autorités algériennes à ouvrir la voie aux privatisations. La réforme est en marche.

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