Kumba Yala faiseur de roi

Le second tour de la présidentielle est prévu pour le 24 juillet. Qui des deux candidats en lice aura le soutien de l’ancien chef de l’État, dissuadé de retrouver coûte que coûte son fauteuil ?

Publié le 4 juillet 2005 Lecture : 6 minutes.

Apparemment Kumba Yala a fini par entendre raison. Apparemment… Le 27 juin, Abdoulaye Wade l’a longuement reçu au Palais présidentiel de Dakar. « Vous êtes plus jeune que les autres. Vous avez un parti très bien organisé. N’hypothéquez pas vos chances pour l’avenir », lui a dit en substance le médiateur mandaté par l’Union africaine. Et une heure plus tard, devant la presse et en présence du chef de l’État sénégalais et des ambassadeurs accrédités à Dakar, Kumba Yala a cédé : « J’ai gagné les élections, mais dans l’intérêt de la paix et de la nation, j’accepte les résultats. » Officiellement, l’ancien numéro un bissauguinéen accepte donc son élimination au premier tour de l’élection présidentielle du 19 juin et laisse le champ libre à Malam Bacaï Sanha et João Bernardo « Nino » Vieira pour le second tour prévu pour le 24 juillet prochain.
Mais à Bissau, la capitale, beaucoup de gens doutent de la sincérité de l’ancien chef de l’État et s’attendent à un nouveau coup de poker de l’homme au bonnet rouge. Sans doute parce que, contrairement aux idées reçues, Kumba Yala est loin d’être le naïf, le personnage ubuesque, voire le simple d’esprit que certains imaginent. Certes, l’homme a beaucoup déçu pendant ses trois années au pouvoir (2000-2003). Il a usé trois Premiers ministres et plus de cent ministres. Il a menacé de suspendre le Parlement pendant dix ans et annoncé le limogeage de la moitié des fonctionnaires du pays. Surtout, il a oublié de les payer. Pas de quoi se rendre très populaire…
Élu avec 72 % des voix en janvier 2000, il n’a réuni que 25 % des suffrages le 19 juin dernier. Logique. Mais ce diplômé d’une faculté de philosophie de Lisbonne, latiniste et polyglotte, est un animal politique. D’abord idéologue de l’ex-parti unique, le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), il crée en 1992 le Parti de la rénovation sociale (PRS) et réussit à mettre « Nino » Vieira en ballottage à la présidentielle de 1994 sur un simple slogan : « Assez du parti-État. J’incarne le changement. » Après son renversement par l’armée en septembre 2003, tout le monde croit qu’il est fini. Deux ans plus tard, il est toujours là…
L’un des atouts de Kumba Yala, c’est sa base ethnique, celle des Balantes, qui représentent 25 % de la population et 60 % des militaires. Né dans une famille de paysans il y a 52 ans, Kumba Yala n’oublie jamais d’arborer son bonnet de laine rouge au cours de ses tournées électorales. C’est le signe distinctif des initiés de son ethnie. Et il ponctue chacun de ses discours de vieux dictons paysans qui mettent la foule en joie.
Mais sa carte maîtresse, c’est la jeune garde des officiers balantes. Tout se passe comme si, depuis son élection en 2000, il avait conclu un pacte de sang avec quelques dizaines de jeunes soldats sans scrupule ni états d’âme. En novembre 2000, le nouveau président s’oppose au chef d’état-major, Ansumane Mané, un Mandingue désireux de contrôler le processus démocratique. La légitimité des urnes contre celle des armes. Le chef de l’État s’attache les services d’un groupe de tout jeunes soldats et sous-officiers qui tendent une embuscade meurtrière au héros de la guerre d’indépendance, accusé de tentative de putsch. Son corps est retrouvé criblé de balles avec des traces de coups et les côtes brisées. En 2003, plusieurs membres de cette jeune garde partent au Liberia pour servir dans la force multinationale dépêchée par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).
En septembre de la même année, le chef d’état-major, le général Verissimo Correia Seabra, en profite pour déposer en douceur Kumba Yala – avec la bénédiction de la majorité des Bissauguinéens et de la communauté internationale, à commencer par la Cedeao. En octobre 2004, les représailles sont sanglantes. À peine rentrés de Monrovia, les jeunes officiers montent une (fausse) mutinerie. Objectif : Verissimo. Ils le cueillent à l’état-major. « Nous te tuerons comme tu nous as donné l’ordre de tuer Mané », lui disent-ils. Ils l’emmènent dans un local de la marine. Quelques heures plus tard, le corps de Verissimo Correia Seabra est retrouvé avec de multiples traces de balles, de coups de couteau et de coups de crosse…
Contrairement à ce qu’il prétend, Kumba Yala n’est, donc, sans doute pas le gentil civil perdu dans un monde de brutes. L’homme qui, dans ses jeunes années, a suivi des cours de marxisme à Berlin-Est et conduit une délégation du PAIGC à Moscou, n’ignore rien des méthodes de prise du pouvoir. Quand c’est nécessaire, il n’hésite pas à utiliser la violence. Au fil des années, il s’est constitué une garde prétorienne. Depuis leurs « faits d’armes », ses fidèles ont pris du galon. Aujourd’hui, Anicete Na Flaque est colonel, Bauté Iamta Naman est major, et Marcelino Insam est capitaine. Après l’assassinat du général Verissimo, ils auraient peut-être pu prendre l’état-major, donc le pouvoir. Mais peu éduqués et encore jeunes – la trentaine – ils ont préféré laisser la place à un ancien de la guerre d’indépendance, le général Tagmé Na Wai. Du coup, depuis novembre 2004, on ne sait plus très bien qui commande.
Dans la nuit du 24 au 25 mai dernier, Kumba Yala tente un putsch. Il est même accusé d’avoir fait irruption dans le Palais présidentiel avec quelques dizaines de fidèles. Le général Tagmé Na Wai s’y oppose. Après quatre heures de flottement, le coup échoue. Mais presque personne n’est sanctionné. En tant que candidat, l’ancien président bénéficie d’une immunité politique. Et la plupart de ses compagnons d’aventure restent libres ou sont libérés au bout de quelque temps. Bref, chacun sait que le coup peut se reproduire à tout moment. Le 24 juin, à l’annonce des résultats du premier tour, les partisans de Kumba Yala sont fous de colère. Ils descendent dans la rue. La police tire. Bilan : au moins trois morts. Aujourd’hui, Tagmé Na Wai et son état-major sont plus que jamais tiraillés entre les partisans de la neutralité et ceux de Kumba Yala. Un autre officier supérieur, le chef d’état-major de la marine José Américo Bubo Na Tchuto, attend son heure. Et tous les matins, les habitants de Bissau se réveillent en se demandant ce que va leur réserver la journée…
Fait nouveau. Depuis le début de cette année, l’homme au bonnet rouge doit compter avec un partenaire imprévu : les femmes. Elles s’appellent les soldadas da paz – les « soldates de la paix ». À chaque fois que le calendrier électoral est menacé, elles se réunissent par centaines dans la capitale sur la place des Héros-Nationaux, le pagne noir et la bougie à la main. À leur tête, Macaria Barai, une femme d’affaires spécialisée dans le transfert d’argent. Rien ne l’arrête. Après la dernière tentative de putsch de Kumba Yala, en mai dernier, elle n’a pas hésité à organiser un rassemblement pacifique. Du jamais vu. « La population ne doit pas oublier que c’est nous qui avons le pouvoir. Les gens ne doivent plus avoir peur. Nous devons imposer notre choix », dit-elle. Au lendemain de ce putsch raté, le siège du parti de Kumba Yala a également été mis à sac par des manifestants. Preuve que les partisans de l’ex-président ne sont plus les seuls à tenir la rue.
Kumba Yala est donc à la croisée des chemins. Il peut choisir l’épreuve de force. Sans être sûr de gagner. Il peut aussi décider, comme le lui conseille Abdoulaye Wade, de calmer le jeu et de peser sur le deuxième tour. Avec 35 % des voix au premier tour, le candidat du PAIGC Malam Bacai Sanha paraît bien placé pour l’emporter. Mais avec près de 29 % des suffrages, l’ancien chef de l’État, Nino Vieira, n’est pas loin. À qui Kumba Yala peut-il apporter son soutien ? Certes, il nourrit un vieux contentieux avec Nino depuis la présidentielle de 1994. Mais la hache de guerre a été enterrée en 1999, au lendemain de la fuite de ce dernier. En revanche, depuis la présidentielle de 2000, il est en lutte permanente avec Malam Bacai Sanha. Va-t-on alors vers un ticket Nino Vieira-Kumba Yala ? Avec le philosophe au bonnet rouge, difficile de faire un pronostic. « Notre victoire aux prochaines élections est aussi certaine que Noël en décembre », disait-il dans un de ces aphorismes qu’il a écrits et publiés en 2003, quand il était au pouvoir. Aujourd’hui, ses compatriotes espèrent simplement qu’il est revenu sur terre.

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