Ils ont choisi le christianisme

Même s’il reste très marginal, voire anecdotique, par comparaison avec l’Algérie* et le Maroc, le phénomène des conversions prend ici aussi quelque consistance. Rencontre avec ces Tunisiens touchés par le message du Christ.

Publié le 4 juillet 2005 Lecture : 8 minutes.

« Dans la cathédrale de Tunis, il y a beaucoup de va-et-vient. […] Il est indéniable que les visites des Tunisiens à la cathédrale sont en augmentation : il s’agit surtout de jeunes curieux d’en savoir plus sur l’Église et de comprendre le sens de notre présence dans une terre qui, a priori, est musulmane. » Cette phrase est extraite du témoignage d’un certain LM, « missionnaire travaillant à Tunis », publié par l’agence de presse Fides, le 20 février dernier. Pour en savoir plus sur ce que cet ecclésiastique a qualifié, assez prudemment du reste, de « nouvel intérêt pour l’Église de la part des Tunisiens », nous nous sommes rendu chez Paul Geers, Père blanc d’origine belge vivant dans le pays depuis quarante-sept ans, qui nous a reçu dans son bureau, près de l’église de La Goulette, station balnéaire au nord de Tunis.
« Il y a trente ans, si un Tunisien musulman m’avait dit qu’il voulait devenir chrétien, j’en aurais été très choqué. Les conversions étaient rares, et les musulmans exprimaient rarement des doutes sur leur religion. Aujourd’hui, en Tunisie comme ailleurs, on assiste à un regain d’intérêt pour le christianisme », nous a déclaré le père Geers, économiste de son état, qui a travaillé pendant vingt ans au ministère tunisien des Finances. Avant d’ajouter : « Pour devenir chrétien, il ne suffit pas d’en faire la profession de foi. Il faut aussi se faire baptiser. Or la plupart des musulmans qui se convertissent aujourd’hui pensent qu’il suffit de croire en Jésus pour devenir chrétien. Certains se contentent même de lire la Bible et l’Évangile, qui prennent ainsi, dans leur vie, la place qu’occupait le Coran. »
Quel est le profil de ces convertis ? Réponse du religieux : « Il y a de tout : des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux, des riches et des pauvres, des Tunisois et des gens du bled, des hauts fonctionnaires et même des bonnes ne connaissant pas un mot de français. » Bien qu’ils appartiennent à toutes les couches de la société et qu’ils aient eu des parcours différents, ces gens ont nombre de points communs : ils sont venus au Christ de manière spontanée. Rares, en tout cas, sont ceux qui ont été convertis par des missionnaires. La plupart ont découvert le christianisme à travers des lectures, des émissions religieuses à la radio, notamment la chaîne en arabe de Radio Monte-Carlo (RMC), ou à la télévision (comme les chaînes Miracle, Sat 7 et, surtout, Al-Hayat, chaîne arabophone diffusant à partir de Chypre), voire sur des sites Internet.
Tous ont été rejetés, dans un premier temps, par leurs familles, collègues et voisins. Certains ont perdu leur travail, d’autres leurs conjoints. Quelques-uns ont même été jetés à la rue par leur propriétaire. Mais leurs vies ont pu finalement reprendre un cours plus ou moins normal… en marge de la société. Ce statut de minoritaires ne leur pose pas problème : ils le revendiquent même comme une preuve supplémentaire de la solidité de leur foi. Ils ressemblent en cela aux premiers chrétiens d’Afrique du Nord comme saint Augustin ou les écrivains carthaginois Cyprien et Tertullien, dont ils aiment d’ailleurs se réclamer.
S’ils ne se cachent pas vraiment, ces convertis évitent de s’afficher dans la cathédrale de Tunis. Jaloux de leur indépendance, ils se méfient des organisations et préfèrent se réunir dans les petites églises (comme celle de la rue Charles-de-Gaulle) ou dans les « églises maisons ». Ne se reconnaissant dans aucune des communautés chrétiennes traditionnelles (catholique, orthodoxe, protestante et anglicane), ils se proclament plutôt évangélistes.
Combien sont-ils ? En l’absence d’étude, il est difficile d’avancer des statistiques fiables. On parle cependant d’un peu plus 500 personnes : une toute petite communauté dans un pays qui compte 10 millions d’âmes. Encore ce chiffre doit-il être pris avec précaution, car une conversion n’est pas toujours définitive, certains revenant, au bout de quelque temps, à leur religion initiale. Aussi ne peut-on parler de conversion qu’après une dizaine d’années de pratique ininterrompue de la nouvelle religion. Combien sont dans ce cas ? Pas très nombreux en vérité.
Samedi 25 juin, à l’église anglicane Saint-Georges, construite en 1901, à La Hafsia, quartier populaire à la lisière de la Médina de Tunis : une centaine de fidèles assistent à un service religieux évangélique. Prédication, prière et chants liturgiques. Le service est assuré en arabe par des pasteurs tunisiens. Les fidèles aussi, dans leur majorité, sont des Tunisiens. Ils s’appellent Imed, Anouar, Mériem, Fatma, Yacine, Nassim, Moez…
Certains se sont convertis il y a plus de vingt ans. D’autres, il y a quelques années seulement. C’est le cas de Imed Dabbour, 36 ans, professeur d’histoire, devenu pasteur évangéliste, l’un des rares à accepter de décliner son identité. Comment cet enfant de Sidi Bouzid, dans le Sud, qui a fréquenté le koutteb (« école coranique ») et appris par coeur des sourates du Coran, a-t-il rencontré le Christ ?
En 1982, Imed reçut, par la poste, un exemplaire de l’Évangile en français. Il se mit aussitôt à le lire, par simple curiosité, sans en comprendre grand-chose, car son français était encore rudimentaire. Des années plus tard, il lut, en arabe, les ouvrages d’écrivains chrétiens libanais comme Jibran Khalil Jibran et Mikhaïl Nouaïma, qui l’ont marqué, mais pas au point de le détourner de l’islam. Vers le milieu des années 1990, le jeune homme partit en Suisse, où résidait l’un de ses frères. Là-bas, il fit la connaissance d’un Égyptien chrétien, visita plusieurs églises et se remit à lire l’Évangile, en arabe cette fois. La révélation du Christ changea bientôt sa vision du monde et sa vie.
Cependant, l’annonce de sa conversion fut un choc pour sa famille. Seul son père, plutôt libéral, l’a admise. Sa mère, analphabète, en devint malade. Son frère aîné le traita de chien et lui cracha au visage. Ses plus proches amis n’ont pas tardé à se détourner de lui, quand ils ne l’ont pas insulté. « Au lycée, mes collègues se sont aussi ligués contre moi. Certains, qui se disaient athées, sont devenus de fervents défenseurs de l’islam, raconte Imed. Je me suis senti seul et vulnérable, car j’étais considéré non seulement comme un mourtad [« renégat »], mais comme un khaîn [« traître »]. »
Sa foi dans le christ n’a pas faibli pour autant. Avec le temps, les choses sont rentrées dans l’ordre. Sa famille accepte mieux son choix. L’un de ses frères l’a même suivi sur cette voie, puis une soeur, qui s’est mariée à un haut fonctionnaire converti au christianisme. À La Manouba, quartier populaire à l’ouest de la capitale, jadis fief des islamistes, ses voisins n’ignorent pas qu’il est pasteur évangéliste, que son épouse est chrétienne et que le couple organise des cérémonies religieuses chez lui. Et ils semblent s’en accommoder. Conclusion d’Imed : « Pris séparément, les Tunisiens sont assez tolérants. C’est quand ils sont réunis qu’ils cessent de l’être. »
Ancien gauchiste et militant syndicaliste, MBR – ses initiales – a longtemps cherché sa voie entre rationalisme, matérialisme dialectique et islamisme, avant de se convertir au christianisme en 1980. « J’étais assoiffé de spiritualité. Je me suis intéressé d’abord à l’islam, ma religion et celle de mes parents. Je n’y ai pas trouvé ce que je cherchais : l’amour, la paix, la fraternité », raconte ce quinquagénaire qui exerce une profession libérale.
Un jour, en écoutant sur RMC une émission religieuse animée par un prêtre égyptien, il eut comme une révélation. Les paroles du religieux semblaient lui être directement adressées. Il ne tarda pas à se convertir. L’un de ses frères lui emboîta le pas des années plus tard, puis sa mère, « une femme analphabète, mais douée d’une grande sensibilité ». Ses cinq autres frères et soeurs n’ont jamais vraiment compris sa démarche, mais ils se sont gardés de le rejeter. Ses trois enfants, qui ont été baptisés, se disent chrétiens, lisent l’Évangile et assistent parfois aux services religieux à l’église, tout en suivant les cours d’éducation islamique au lycée. Quant à son épouse, selon lui « très matérialiste », elle n’a pas réussi à le détourner de sa foi. Ils sont, d’ailleurs, séparés.
L’itinéraire de Yacine est plus étonnant : ancien agent de banque, il était musulman pratiquant et sympathisant du mouvement islamiste Ennahdha, non reconnu. Ce qui lui valut d’être condamné par contumace à un an de prison, en 1991, avant d’être arrêté peu de temps après. Les six mois passés en détention l’ont amené à repenser sa vie. Il s’est senti abandonné de tous et, d’abord, d’Allah. La prison lui a aussi fait découvrir le vrai visage des dirigeants d’Ennahdha : « Ils ont tous les défauts de ceux qu’ils combattent », dit-il.
À sa libération, Yacine a eu du mal à repartir : il devait pointer plusieurs fois par jour au poste de police du quartier. Sa famille, qui recevait régulièrement la visite des agents de l’ordre, n’en pouvait plus. « J’étais malheureux et désespéré. J’ai même envisagé le suicide », raconte-t-il. Un jour, le jeune homme a été subjugué par des chants liturgiques chrétiens diffusés par RMC. Un prêche de Reda Adly, un prêtre égyptien, diffusé par la même chaîne, l’a beaucoup ému. Il se mit alors à lire l’Évangile et s’intéresser au christianisme. Les sites évangélistes sur Internet l’ont aidé dans sa quête.
En 1998, cet enfant unique prit son courage à deux mains pour annoncer sa conversion à ses parents. Il fut aussitôt renvoyé de la maison. Une jeune femme a accepté de se lier à lui. « Elle pensait pouvoir me réconcilier avec l’islam. Notre relation a duré trois ans. À la fin, elle m’a quitté », raconte Yacine. Et les policiers ? « Ils m’ont interpellé plus d’une fois dans la rue, comme ils font souvent avec les nouveaux convertis. Ils essayent maintenant de me faire revenir, non pas à l’islamisme, mais à l’islam », répond-il avec un sourire malicieux.
On pourrait multiplier les témoignages. Leurs parcours diffèrent, convergent et se recoupent en plusieurs endroits… Ils ressemblent à ceux d’autres convertis dans d’autres régions du monde. Mais ils n’expliquent pas pourquoi de plus en plus de Tunisiens optent aujourd’hui pour le christianisme. Nous avons posé la question au père Geers. Selon lui, la Tunisie a connu, sous le règne d’Habib Bourguiba (1956-1987), une période de « déspiritualisation ». Or, explique-t-il, les gens ont besoin de spiritualité. D’où le retour actuel à la religion, à l’islam comme au christianisme. « Certains musulmans nous demandent de leur parler de Jésus. Il ne s’agit pas chez eux d’un reniement de la foi islamique, mais d’un besoin de connaissance du christianisme », conclut le babas – comme on appelle ici les ecclésiastiques -, avec une prudence compréhensible.

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