Et si Marx avait raison ?

Publié le 5 juillet 2005 Lecture : 3 minutes.

Les capitalistes vont-ils vendre la corde qui servira à les pendre, comme le prophétisait Karl Marx ? Le 22 juin, la Cnooc (Chinese National Offshore Oil Corporation), troisième groupe pétrolier chinois, conseillée et financée à hauteur de 3 milliards de dollars par JP Morgan et Goldman Sachs, a lancé une OPA hostile de 18,5 milliards de dollars sur Unocal, le groupe pétrolier californien. Le prédateur chinois maîtrise toutes les ficelles de l’art des fusions-acquistions : surenchère de 2,5 milliards de dollars par rapport à l’offre de l’américain Chevron, paiement en cash et non en titres, engagement de conserver les 6 500 emplois et recours à la société de relations publiques qui assura la campagne de George W. Bush. La même semaine, Haier, numéro un chinois de l’électroménager, lançait une contre-offre hostile de 1,28 milliard de dollars sur l’américain Maytag, propriétaire de la marque Hoover, convoité, là encore, par un autre américain, Ripplewood.
Venant d’un pays considéré comme « l’atelier du monde », tout juste bon à assembler des baskets, cette double offensive a surpris. L’élève a dépassé le maître au jeu en vigueur à Wall Street. Washington, pris au piège de sa propre logique capitaliste, n’imaginait pas que par un effet boomerang de la mondialisation les Chinois s’attaqueraient à ses fleurons.
Une offensive qui n’a rien à voir avec le rachat amical par le chinois Lenovo de l’activité micro-ordinateurs d’IBM, leader mondial de l’informatique, pour 1,75 milliard de dollars. Une acquisition validée par le Comité des investissements étrangers (CFIUS). Si les actionnaires d’Unocal plébiscitaient l’offre chinoise, l’opération serait soumise à ce même comité, comme l’ont réclamé quarante et un membres du Congrès, arguant du fait que la possession de ressources naturelles est une question de « sécurité nationale ». Ce qu’a accepté, beau joueur, le patron de la Cnooc. Mais nul ne s’y trompe. La première bataille entre une société privée chinoise, cotée à la Bourse de Hong Kong et de New York, et une multinationale américaine préfigure en fait la confrontation avec le gouvernement, toujours officiellement communiste, de Pékin, qui détient 70 % de la Cnooc.
En lançant une OPA hostile, la Chine cherche à sécuriser son approvisionnement en énergie (elle importe 40 % de son pétrole). En cas de succès, cette acquisition permettrait à la Cnooc d’augmenter de 80 % ses réserves, à 4 milliards de barils, réserves situées principalement en Thaïlande et en Indonésie.
En Amérique, l’exaspération est à son comble. Pékin tarde à réévaluer sa devise, ce qui, soit dit en passant, rendrait les cibles américaines encore moins chères. Et se voit accusé d’utiliser l’OMC (Organisation mondiale du commerce) comme un cheval de Troie. Mais Washington redoute les rétorsions chinoises en cas de veto. D’autant que la décision appartient in fine au président des États-Unis, le CFIUS n’ayant qu’un avis consultatif. Seule solution pour éviter l’escalade et préserver le mythe de la libre compétition : que Chevron, d’une capitalisation cinq fois plus importante, surenchérisse sur la Cnooc. Mais jusqu’ici, l’américain se refuse à surpayer Unocal au nom de l’intérêt national, se prévalant auprès des actionnaires de celle-ci, qui se prononceront le 10 août, de la rapidité de son offre. Chevron raisonne en termes de résultat alors que la Cnooc exécute la stratégie chinoise. Une menace qui n’a rien à voir avec le défi économique des Japonais dans les années 1980, la question de Taiwan et la militarisation chinoise opposant inéluctablement Washington et Pékin.

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