Comprendre les Maghrébins
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Il m’arrive parfois de me retrouver dans un débat où on me somme d’expliquer le Maghreb. C’est une tâche qui me dépasse. Certes, il y a des chiffres, il y a des statistiques, mais ils servent davantage à embrouiller les choses qu’à les éclaircir.
Cela me rappelle un de mes condisciples – un certain Touhami – qui voulait écrire un mémoire sur l’agriculture marocaine au début des années 1980. À l’époque, il n’y avait pas d’Internet ni de mail électronique, je le signale aux plus jeunes des auditeurs, donc il fallait aller sur place, hanter les bibliothèques, prendre des rendez-vous avec toutes sortes de gens qui peut-être savaient quelque chose.
Bref, Touhami débarque à Rabat, il va dans les ministères, il va à la campagne, il arpente les couloirs de l’Institut de statistiques. Après quelques semaines de rude labeur, il est de retour à Paris pour montrer au professeur le résultat de ses recherches. Il entre dans le bureau, pose quelques feuillets remplis de chiffres sur le bureau et, à côté, il pose un volumineux carnet bourré de notes.
– Qu’est-ce que c’est que ça ? demande le professeur.
– Ça, Monsieur, ce sont des chiffres, répond Touhami. Il y en a beaucoup. On ne sait pas ce qu’ils valent. Ils ne sont pas fiables, ils changent tout le temps. Des organismes divers m’ont donné des chiffres qui se contredisent. Et ça, dit-il en désignant le carnet, c’est un recueil de blagues.
Le professeur est stupéfait.
– Comment ça, un recueil de blagues ?
Touhami est imperturbable.
– Oui, Monsieur, des blagues, des anecdotes, des proverbes locaux. Toutes sortes de choses que j’ai entendues à la campagne, dans les douars, dans les souks, parfois autour d’un bon couscous chez l’habitant. Et je me suis aperçu, de retour à Paris, que tous les chiffres que j’avais amassés n’expliquent aucunement l’agriculture marocaine.
Touhami tapote le carnet de blagues.
– En revanche, lisez-moi ça et vous comprendrez tout.
Le professeur est dubitatif. Il lui semble que ce jeune Marocain qui lui fait face insulte la Science avec un grand S. Ou peut-être est-il fou. Mais enfin, il accepte de jeter un coup d’oeil sur le carnet. Quelques jours après, le professeur croise Touhami sur la place de la Sorbonne. Il l’aborde avec un grand sourire.
– Dites-moi, vous avez raison. Votre « herméneutique par la plaisanterie » – c’est comme cela que parlent les professeurs -, ça marche ! Je comprends maintenant les Marocains ! En plus, j’ai bien rigolé…
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