Chefs d’entreprise et fières de l’être

Elles sont de plus en plus nombreuses à entrer dans le monde du travail. Animées d’un esprit de conquête, quelques-unes se lancent dans le monde périlleux des affaires. Et s’unissent pour mieux réussir.

Publié le 5 juillet 2005 Lecture : 4 minutes.

Elles se disent fières de leur réussite professionnelle. Algériennes, mais résolument modernes, Françoise, Mansoura et Djamila sont chefs d’entreprise privée. Il y a une douzaine d’années, elles ont créé l’association Seve (Savoir et vouloir entreprendre), un club qui regroupe une centaine de femmes d’affaires. Sa mission : assister celles qui débutent afin de les aider à s’inscrire dans un processus de développement durable. « Nous rencontrons les mêmes difficultés, sans pour autant nous estimer plus ou moins privilégiées que les hommes, affirme Françoise. La réussite n’est que le résultat du travail et des compétences personnelles. » Si le nombre d’Algériennes en activité croît régulièrement, celui des femmes qui ont choisi d’investir dans le privé reste en deçà des performances enregistrées dans les pays voisins, le Maroc et la Tunisie. Dans une Algérie où l’égalité entre les sexes est loin d’être acquise, en dépit de la promulgation, en avril 2005, d’un code de la famille plus favorable à la cause féminine, créer une entreprise, pour une femme, relève encore du parcours du combattant.
Françoise Agli, une Franco-Algérienne, a plongé dans le monde des affaires en 1969, en compagnie de son mari. Installée à Biskra, une oasis située dans le Sud, sa famille exploite une grande palmeraie. « Nous avons engagé nos fonds propres à une époque où l’État tolérait à peine le privé ; la mode était au socialisme et au collectivisme. Bien sûr, les banques n’accordaient aucun prêt à ce genre d’initiative », dit-elle. N’empêche, la réussite viendra à force d’abnégation et de sacrifices. D’autres palmeraies seront implantées et l’entreprise s’est dotée d’une chaîne de conditionnement de dattes. « Nous avons davantage ciblé le créneau de l’exportation, parce que le marché est certes difficile, mais porteur », ajoute Françoise. Mais des difficultés liées à la lourdeur des procédures bancaires conjuguées à des ennuis judiciaires avec des clients étrangers pourraient bien avoir raison de l’entreprise. « Son avenir reste suspendu à une décision de justice, indique-t-elle. C’est pour éviter aux autres mes propres erreurs, pour encourager les femmes et les soutenir dans leur combat que je milite au sein de cette association. Nous sommes là pour faire bouger les choses. »
Faire bouger les choses, tel est également le credo de Mansoura. Sortie de l’université d’Alger avec un diplôme d’ingénieur, elle intègre en 1993 une société d’informatique à Kouba, sur les hauteurs de la capitale. À l’époque, le quartier a la réputation d’être un fief islamiste. « J’étais la seule femme dans l’entreprise. Malgré les brimades et les menaces des fanatiques, je n’ai jamais abdiqué. Je n’ai pas porté le voile, je ne me suis pas cloîtrée chez moi », raconte-t-elle fièrement. Parce qu’elle est devenue indispensable à son entreprise, parce qu’elle a pris conscience de son savoir-faire, Mansoura a décidé de sauter le pas. Elle crée sa propre société d’informatique avec son frère, introduit pour la première fois le système Linux en Algérie, défend ses projets face aux administrations, notamment l’armée, et s’impose comme un partenaire incontournable. « Il fallait tout le temps se battre contre tout. Contre les institutions de l’État, car elles ne font pas confiance au privé, contre les hommes parce qu’ils restent machistes, contre les banques parce que leur système de gestion est archaïque, sans oublier de se battre contre les terroristes qui refusent que les femmes travaillent et que les filles aillent à l’école », souligne Mansoura. Aujourd’hui, sa société représente la marque Sun Informatique en Algérie, et elle savoure sa réussite dans la discrétion. Pas de luxe tapageur ni de signe extérieur de richesse.
Ne pas se décourager, ne pas se résigner. Ces mots, que de fois Djamila Belaiboud les a prononcés depuis 1971, date à laquelle elle décide, avec son mari, de créer une entreprise de décoration. « Nous avions des ateliers à Alger, et les affaires ont plutôt bien marché jusqu’au milieu des années 1980. Mais le monopole de l’État nous a tués. » En 1986, l’entreprise s’arrête. Djamila retourne à ses fourneaux pour en ressortir quatre ans plus tard. En 1990, elle se lance dans la restauration et ouvre Le Petit Palais, dont la renommée fait vite le tour de la capitale. Aujourd’hui à la tête d’une maison de traiteur qui emploie une douzaine de personnes, Djamila avoue embaucher des femmes « par esprit de solidarité. Même si je n’ai rien contre les hommes ».
Trois expériences, trois fortunes diverses, mais une même volonté : celle de faire avancer la cause des femmes dans le monde du travail. Dans ce domaine, beaucoup reste à faire. Selon le Conseil national économique et social (CNES), le taux d’analphabétisme féminin est passé de 85 % en 1962 à 35 % en 2002. Seules 14 % des femmes occupent un emploi salarié. La fonction publique demeure le plus grand employeur, puisque près de 43 % des femmes actives y travaillent. Et combien sont-elles à la tête de leurs propres entreprises ? « Nous n’avons pas de chiffres exacts, affirme Françoise. Mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel est dans l’instauration d’un climat propice aux investissements. Il faut procéder aux réformes qui permettront aux hommes et femmes d’affaires, algériens et étrangers, d’investir sans crainte. » Lors de la dernière réunion entre syndicats, patronat et gouvernement, en mars 2005, une délégation de femmes chefs d’entreprise, conduite par Taya Ouzrout, la présidente de Seve, a siégé aux côtés de cinq autres organisations patronales. « C’est le signe que la cause des femmes avance », affirme Djamila. Aujourd’hui, Seve est représentée au sein de la Fédération mondiale des femmes chefs d’entreprise et de la Fédération des femmes d’affaires maghrébines.

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