Au pied du mur

Le temps est compté aux acteurs de la crise. Au médiateur Thabo Mbeki, également, qui s’impatiente, rappelle à tout le monde que l’heure n’est plus aux manuvres dilatoires.Et, pour la première fois, brandit le bâton des sanctions.

Publié le 4 juillet 2005 Lecture : 7 minutes.

Même lieu, mêmes hommes, mêmes accords et même conclusion. À peu de choses près, il n’est sorti du sommet qui s’est tenu à la guesthouse de Pretoria les 28 et 29 juin que ce qui avait déjà été couché sur papier et signé par les cinq hôtes ivoiriens de Thabo Mbeki le 6 avril. Ces derniers ont pourtant quitté les hôtels chic de Pretoria et Johannesburg (où ils commencent à prendre leurs marques) l’esprit bien moins léger que trois mois plus tôt. L’atmosphère n’était plus à la détente lors du huis clos. Les membres des délégations qui accompagnaient les dirigeants se tenaient à distance les uns des autres dans le jardin jouxtant la salle de réunion, allant jusqu’à refuser un simple bonjour. Mais l’essentiel était peut-être sauf : Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié, Alassane Dramane Ouattara, Seydou Elimane Diarra et Guillaume Soro ont apposé leurs signatures au bas d’un document engageant à nouveau leur responsabilité – cette fois sous la menace de l’application sans délai de sanctions si les promesses n’étaient pas tenues.
Officiellement, Thabo Mbeki, le médiateur de l’Union africaine, les avait convoqués pour « faire le bilan » de l’accord de Pretoria I. Ce fut rapide. En quatre-vingt-dix jours, seuls deux des treize points du texte paraphé dans la capitale sud-africaine le 6 avril – inspiré des accords de Linas-Marcoussis de janvier 2003 et de ceux d’Accra III de juillet 2004 – ont été appliqués. En recourant à l’article 48 qui lui donne les pleins pouvoirs en situation exceptionnelle, Gbagbo a fini par accepter que les signataires de l’accord de Marcoussis puissent, s’ils le souhaitent, se porter candidat à la présidentielle. Sans que cela nécessite la révision de l’article 35 de la Constitution, qui formait jusqu’alors le noeud de la crise. Principal concerné : Alassane Dramane Ouattara. Le rétablissement dans leurs prérogatives des membres du Conseil d’administration de la Radiotélévision ivoirienne (RTI) a également été effectué.
En revanche, point de démantèlement des milices progouvernementales (enjeu numéro deux dans le texte de l’accord) et toujours pas l’ombre d’un début du processus de désarmement, démobilisation et réinsertion des combattants (DDR), alors que les chefs d’état-major des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) et des Forces armées des Forces nouvelles (FAFN) s’étaient retrouvés à la mi-mai pour établir un calendrier qui devait débuter le 27 juin. Les leaders des Forces nouvelles (ex-rébellion) avaient annoncé avant la date fatidique qu’ils ne rendraient pas les armes, estimant que Gbagbo n’avait pas honoré ses promesses.
Résultat : le médiateur s’est résolu à rappeler tout le monde à l’ordre. Sans prendre de nouvelles décisions, il a défini avec ses interlocuteurs un nouveau calendrier pour le début du DDR (les chefs d’état-major se retrouveront le 7 juillet) et le démantèlement des milices qui doit être effectif avant le 20 août. À Laurent Gbagbo, il a précisé de ne pas se servir de l’article 48 sans l’avoir consulté et obtenu son accord. Ce dernier, à la fureur de ses opposants, avait en effet usé dudit article pour laisser à l’Institut national des statistiques (INS) le soin de mettre à jour les listes électorales, mettant ainsi entre parenthèses la Commission électorale indépendante (CEI).
Ce n’est pas tout : Mbeki a également demandé que les lois sur la nationalité soient votées avant le 15 juillet. Si l’Assemblée nationale n’y parvient pas, lui se réserve, en tant que médiateur, le droit d’obtenir que le président Gbagbo agisse par ordonnances. Une procédure qui semble poser problème au clan du chef de l’État ivoirien. À peine sortis de la guesthouse, certains d’entre eux n’hésitaient pas à dénoncer le « court-circuitage » des institutions ivoiriennes. Mais Mbeki tient à ce que le texte sur la CEI entre en vigueur, par n’importe quel moyen, d’ici au 15 juillet pour que la Commission puisse commencer à fonctionner au plus tard le 31 juillet. C’est elle, et elle seule, qui a le pouvoir d’organiser le scrutin, dont le médiateur et ses hôtes n’ont pas voulu évoquer l’éventuel report au-delà du 30 octobre.
Le médiateur a été très clair : si l’échéancier présenté dans la « déclaration sur la mise en oeuvre de l’accord de Pretoria » n’était pas respecté d’ici à la fin août, il se sentirait dans l’obligation de sévir. Il n’hésitera plus à demander à l’Union africaine de prendre des mesures coercitives contre les récalcitrants, et recommanderait aux Nations unies d’appliquer les sanctions définies dans la résolution 1572 du 15 novembre 2004. Mais que ne les a-t-on brandies plus tôt ? Y recourir aujourd’hui signifie pour Mbeki, d’ordinaire personnellement réticent à user du bâton, que l’heure est grave.
Ses hôtes ne l’ont pas compris autrement. Illustration : l’ambiance plutôt détendue qui avait prévalu lors de la rencontre d’avril dernier s’est évanouie dans l’hiver de ce mois de juin sud-africain. Dans le huis clos de la réunion, on se regardait en chiens de faïence. Gbagbo feignant même d’ignorer les collaborateurs de ses adversaires. Depuis trois mois, les déclarations et les actes des uns et des autres ont montré que tous sont restés campés sur leurs positions, chacun reprochant à la partie adverse de ne pas en faire assez.
Le 29 juin au soir, bien qu’inquiets, les opposants de Gbagbo réunis au sein du G7 ne cachaient pas leur satisfaction et estimaient que Mbeki avait, une nouvelle fois, obtenu de Gbagbo ce qu’ils demandent depuis l’éclatement de la crise il y a bientôt trois ans. Reste que si l’on tient compte du texte constitutionnel ivoirien stipulant la publication des listes électorales trois mois avant le scrutin, la question se pose, lancinante, de savoir comment tenir l’échéance du 30 octobre. Même en respectant l’agenda Mbeki, l’établissement des listes électorales ne peut se faire tant que les milices sévissent.
Depuis le 6 avril, une ambiance de « paix armée » s’est installée au fil des jours. La tuerie de Guitrozon de début juin a montré au grand jour le danger qui menace la Côte d’Ivoire. L’épisode du port d’Abidjan, où les soldats de l’Onuci ont saisi, le 16 juin, un chargement de matériel militaire ainsi que 22 véhicules de type Jeep, est venu ajouter à l’inquiétude. Il survient au moment où le tout-Abidjan ne parle que d’insécurité grandissante, de réarmement. Au moment également où des allégations de plus en plus précises mettent en cause des sociétés de gardiennage qui stockeraient des armes. Au cas où… Les diplomates présents à Abidjan ne se cachent plus pour reconnaître que, du Nord au Sud, des armes continuent de parvenir aux combattants, qu’ils soient loyalistes, rebelles ou simples soldats de fortune.
Les belles résolutions de Pretoria ont donc peu de chances de rassurer les Ivoiriens qui n’y voient qu’une accalmie avant la tempête. Et que peuvent 1 200 hommes supplémentaires – que le Conseil de sécurité a décidé d’envoyer quelques jours seulement avant le huis clos de Pretoria – dans un pays de 16 millions d’habitants coupé en deux ? Qu’attend l’ONU pour nommer son « monsieur Élections », censé chapeauter le processus électoral et dont la nomination a été demandée voilà trois mois déjà ?
Le pessimisme ambiant rend de moins en moins réaliste la tenue d’élections en octobre. Pourtant, dès le début de la rencontre, Thabo Mbeki a précisé qu’il était hors de question d’envisager déjà, contrairement à ce que certains membres du G7 auraient souhaité, une éventuelle période de transition. Il entend mettre la pression pour voir les accords appliqués, a-t-il déclaré à ses cinq invités.
L’espoir renaît. Et comme au lendemain de la signature du document du 6 avril, à Abidjan, ils sont encore nombreux à y croire et à considérer ce huis clos de Pretoria comme celui de la dernière chance. Si les acteurs ne la saisissaient pas, il reviendrait à la communauté internationale de prendre ses responsabilités et de placer le pays sous sa propre tutelle. On n’en est pas encore là. Plus, non plus, aux échafaudages nés du sentiment de blocage total qui commençait à occuper le débat à Abidjan. Même le constitutionnaliste et leader du Parti ivoirien des travailleurs (PIT), Francis Wodié, s’y était mêlé. « Chaque camp, n’hésitait-il pas alors à affirmer le 23 juin, veut profiter de la chienlit généralisée. Le temps des élections n’est pas encore arrivé. Pour leurs ambitions politiques, ils sont prêts à se déchirer, à déchirer la Côte d’Ivoire en quatre morceaux. » Pour lui aussi, une seule solution : un gouvernement de transition. Comment autrement reconstruire, physiquement et institutionnellement, un pays en lambeaux ? Comment concevoir que des élections ordinaires puissent se tenir dans des circonstances extraordinaires ? Des propos, déjà entendus dans la bouche de membres de l’Alliance des houphouétistes, qui ont été perçus par certains comme une incitation à la mise sous tutelle du chef de l’État, dès maintenant ou au 30 octobre.
Faudra-t-il, après Pretoria en avril, Pretoria en juin, se retrouver encore une fois dans la capitale sud-africaine en août, contraints cette fois-ci d’envisager une telle solution ? Les délais trop courts, une situation d’insécurité qui ne permet pas aux candidats d’envisager de battre campagne normalement, des mentalités, surtout, qui ne sont pas prêtes à accepter le jeu démocratique, ni d’un côté ni de l’autre : Pretoria III pourrait être déjà en route. Précédé de sanctions ?

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