Sucre amer

Quatre-vingts clichés pour décrire l’enfer des Haïtiens employés dans les champs de canne de Saint-Domingue.

Publié le 5 juin 2007 Lecture : 2 minutes.

« Esclaves au paradis. » L’intitulé de l’exposition proposée à Paris par Céline Anaya Gautier a de quoi faire frémir. Alors que, le 10 mai, on a commémoré l’abolition de l’esclavage, voilà que cette jeune photographe nous propose une réflexion sur la persistance du phénomène en République dominicaine.
Soleil, rhum et mérengué À première vue, ce pays a tout d’un nouvel eldorado. Derrière le décor de carte postale se cache pourtant une réalité effarante. Chaque année, des milliers de Haïtiens passent clandestinement la frontière dominicaine pour travailler dans les plantations de canne à sucre qui jouxtent les luxueux complexes hôteliers.
Céline Anaya Gautier a séjourné à deux reprises dans les bateys, les baraquements où logent les coupeurs de canne, les braceros. En s’immergeant dans leur quotidien, la photographe est parvenue à capturer la très grande précarité dans laquelle vivent ces bêtes de somme qui reçoivent, en guise de salaire, à peine plus de 1 euro par jour. Dans leurs campements de fortune, les braceros n’ont accès ni à l’eau ni à l’électricité. Encore moins aux soins. Susceptibles à tout instant d’être expulsés, ils doivent également faire face à la xénophobie. Leurs enfants, pourtant nés sur le territoire dominicain, ne sont reconnus par aucun des deux gouvernements et sont, de ce fait, apatrides.
En attirant l’attention sur le sort réservé à ces migrants, l’exposition « Esclaves au paradis », composée de 80 clichés et agrémentée d’archives sonores (coupe de la canne, chants), événement activement relayé par les médias et soutenu par Amnesty International, risque cependant d’attiser le ressentiment des Dominicains à l’égard des Haïtiens.
La situation dans laquelle vivent ces travailleurs est certes inacceptable. Mais peut-on pour autant parler d’esclavage ? Le chercheur haïtien Jean-Marie Théodat, tout en saluant le travail de l’artiste, s’interroge sur la pertinence de l’utilisation de ce terme : « La démarche de Céline Anaya Gautier est très courageuse. Elle a le mérite d’alerter l’opinion publique sur les atteintes aux droits de l’homme dont sont victimes ces migrants haïtiens. Cependant, en utilisant le mot esclavage à outrance, on privilégie le sensationnalisme au détriment du raisonnement scientifique. En découle un risque réel de dilution des responsabilités historiques des uns et des autres dans le développement de la traite et de l’esclavage. »
Plutôt que d’« esclave », Jean-Marie Théodat préfère donc parler de « zombie social », puisque « le propre des bateys est de déshumaniser l’homme ».
La situation des braceros haïtiens en République dominicaine ne résulte pas d’un esclavage institutionnel, comme cela a pu être le cas à l’époque du Code noir, mais de pratiques mafieuses. Ceux à qui profite le crime savent bien que le meilleur moyen de rendre un homme corvéable à merci est de le maintenir dans une précarité absolue.
Au final, ce ne sont pas des esclaves au sens propre du terme que Céline Anaya Gautier nous donne à voir à travers ses clichés. Ce sont des descendants de Toussaint-Louverture, des citoyens de la première nation noire libre, qui, pour survivre, ont accepté de renoncer à leur liberté. Car, comme le constate Jean-Marie Théodat, « si l’on donnait la possibilité à ces exilés de retourner dans leur pays, ils n’en feraient rien. Si l’on ouvrait les frontières, ce sont les Haïtiens restés au pays, et confrontés à une précarité absolue, qui se précipiteraient en République dominicaine ».

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