Renaissance italienne

Il y a trois ans, on ne donnait pas cher de la peau du groupe turinois. Aujourd’hui, les bénéfices et l’espoir sont revenus. Grâce à Sergio Marchionne.

Publié le 5 juin 2007 Lecture : 5 minutes.

« Toute Fiat doit exprimer une émotion italienne. » Ce principe, Sergio Marchionne commence par l’appliquer à sa personne. Cheveux longs jetés en arrière, lunettes sans monture, pull ouvert sur chemise au col libéré de cravate, l’administrateur délégué de la Fabricca Italiana Automibili Torino ne ressemble pas aux autres patrons automobiles. Pour lui, regarder son reflet dans une glace n’est pas un défaut. À condition de ne pas y passer des heures. Car Sergio Marchionne a mieux à faire de ses journées : sauver Fiat, tout simplement.
Cet avocat de 54 ans est venu tard à l’automobile. Avant d’être appelé à la tête du groupe Fiat en 2004, il était contrôleur de gestion. Un profil à la mode depuis que les constructeurs cherchent à rétablir leur marge en rognant sur les coûts. Marchionne était donc attendu sur ce terrain. Il a surgi ailleurs : « Dans une industrie aussi compétitive, je crois au succès des approches peu orthodoxes. » Marchionne, élevé au Canada, est profondément italien. Dans le style, dans l’âme. À la différence de Carlos Ghosn (Renault), cet épicurien aime l’automobile, ses formes, ses plaisirs. Alors, pour redresser un empire Fiat donné pour décadent et promis au même destin que Rome, il a misé sur l’automobile.
Fiat croulait sous les dettes. Pour se défaire de cette pression, Marchionne vend les branches périphériques. Adieu compagnies d’assurances, chaînes de magasins, moteurs d’avion, et participations éparses qui donnaient au patricien Giovanni Agnelli le sentiment de tenir toute l’Italie dans sa main. Il réussit aussi un joli coup avec General Motors. Du temps de son expansion, le géant américain avait croqué 20 % de Fiat. Le contrat stipulait que le reste devait suivre. Mais les pertes de Fiat effraient GM. Marchionne plaide le préjudice subi par la fiancée délaissée et obtient 1,5 milliard d’euros de dédit Enfin, il se retourne vers son premier actionnaire, la famille Agnelli, qui détient 30 % des parts, et lui demande de croire en Fiat en augmentant le capital de l’entreprise.
Rassuré sur ce front, il s’attaque au mal des groupes qui ont longtemps vécu sur un pied élevé. Il y avait trop de bureaux chez Fiat, trop de réunions et d’intrigues de couloir. Marchionne va à l’essentiel. À chaque haut cadre qu’il reçoit les jours qui suivent sa prise de fonctions, il pose la même question : « Quelle erreur avez-vous commise pour que Fiat en soit arrivé là ? » Apparemment, toutes les réponses ne l’ont pas satisfait : 2 000 des 20 000 cols blancs de Fiat doivent quitter l’entreprise.
Mais surtout, Sergio Marchionne remet les talents au service de l’automobile. Les patrons de cette industrie savent désormais réduire les dépenses. La différence se fait ailleurs : sur le produit. En ce domaine, la technique est allemande, la perfection japonaise. Mais il existe, dans la mémoire de l’automobile, une élégance typiquement italienne. Marchionne réveille cette ferveur assoupie. Il rappelle aux grands stylistes italiens, Pininfarina, Giugiaro, combien ils doivent à Fiat. Va aussi chercher chez BMW l’Américain Stephenson, auteur des lignes de la Mini, lui fait miroiter Ferrari, puis l’oriente sur la nouvelle Fiat 500, dont il veut faire « la Mini du peuple ».
Il faut toutefois se garder ici des illusions d’optique. La création d’un nouveau modèle est une uvre longue. Les Fiat sorties récemment étaient conçues avant l’arrivée de Marchionne. Mais il a libéré les intentions : jamais les Alfa n’avaient été si belles (Brera, 159), les Fiat si sensuelles (Grande Punto, Bravo), ou si mutines (Panda, Sedici). Et, au total, ne s’étaient si bien vendues. Car Fiat a su rester dans son périmètre de légitimité en gardant des prix raisonnables. Résultat : une diffusion mondiale en hausse de 17 % en 2006. Les profits sont ainsi revenus, après six années de déficit. L’action Fiat en a doublé, après avoir divisé sa valeur par cinq entre 2001 et 2005.
Les milieux boursiers accordent peu d’importance aux courbes d’un modèle. Leur confiance retrouvée salue un autre pan du travail de Marchionne. Aux grandes alliances qui ont défrayé la chronique dans les années 1990, il préfère les coopérations ponctuelles, qu’il a multipliées. Le 4×4 Sedici est la copie du Suzuki SX4. La future Ford Ka reprendra la plate-forme de la Panda. La prochaine gamme des petits utilitaires Fiat sera coproduite avec Peugeot-Citroën. Tata va construire les Fiat destinées au marché indien, et Fiat monter en Argentine les 4×4 Tata diffusés en Amérique du Sud.
Marchionne a ainsi pris soin de mettre plusieurs fers au feu, alors que ses prédécesseurs avaient perdu gros en misant sur un marché sud-américain bientôt frappé par la crise. Car il sait que la pérennité d’un groupe Fiat encore trop dépendant de l’Italie, qui représente 50 % de ses ventes européennes, passe par l’internationalisation. Mais son but, à travers le pari stylistique dont témoignent les derniers modèles italiens, est d’augmenter le prix que le public est prêt à payer pour une Fiat : « Je veux restaurer la valeur du Made in Italy. Quand vous achetez un jeans, la marque italienne est rarement la moins chère »
Avec la nouvelle Fiat 500, qui sera lancée le 4 juillet, cinquante ans exactement après son illustre aînée, l’opération semble en bonne voie : tout en elle annonce une future voiture culte. Elle ne sera pas chère, environ 11 000 euros : « Mais si vous désirez une Fiat 500 à 20 000 euros avec intérieur cuir, jantes chromées et prise iPod, vous l’aurez. »
Ferrari, joyau du groupe, ne s’est jamais si bien porté : 5 800 modèles vendus en 2006, record historique. Maserati, installé juste un cran plus bas, devrait profiter de cet élan. Reste deux soucis pour Marchionne. D’abord, Alfa Romeo. Le style est toujours aussi racé, les moteurs émettent encore la note métallique d’une Alfa. Ce n’est qu’une illusion : les éléments mécaniques viennent de la banque d’organes de General Motors. Ainsi, le spider Brera est une insulte faite à la lignée des petites sportives italiennes, légères et vives. Il pèse plus de 1 500 kg, avec son châssis Saab et des moteurs Holden dont Alfa a juste ennobli la sonorité. À l’avenir, Fiat devra se garder de pareilles erreurs : une Alfa doit être viscéralement italienne. Sinon, à quoi bon ?
Ensuite, Lancia. Il n’en reste rien : 120 000 voitures vendues en 2006, dont 80 % en Italie. Lancia n’a pas connu l’équivalent de la 156, qui a sauvé Alfa en 1997. La Lybra était fade, la Thesis prétentieuse. Marchionne a donné une dernière chance à Lancia en puisant dans le passé de la marque deux de ses icônes. Le coupé Fulvia avait accompagné les années 1970, la Delta la décennie suivante. Ces noms vont revenir au catalogue Lancia d’ici à 2009.
Le péril est encore dans la demeure : avec 2 millions de voitures par an, le groupe Fiat n’a pas atteint la taille critique qui lui permettra de préserver son indépendance. Mais déjà, en l’espace de trois ans, Sergio Marchionne a ramené l’automobile à l’italienne sur le devant de la scène.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires