« Nous ne décevrons pas »

Chômage, lutte contre la corruption, coopération chinoise, procès de Charles Taylor… La présidente du Liberia, Ellen Johnson-Sirleaf, est sur tous les fronts et n’évacue aucun des dossiers qui attendent son pays et le continent.

Publié le 5 juin 2007 Lecture : 9 minutes.

Depuis qu’elle a emménagé à Mansion House, le 16 janvier 2006, à Monrovia, Ellen Johnson-Sirleaf promène ses petits pas de femme tranquille aux quatre coins du globe. Chine, Japon, États-Unis et, récemment encore, France, Allemagne À ses pairs qui la reçoivent régulièrement, elle répète avec le même pragmatisme et les mêmes yeux rieurs que son pays de 3 millions d’habitants, mis à genoux par quatorze années d’une guerre civile parmi les plus sanglantes du continent, a besoin d’eux. Sa réputation d’honnêteté, son franc-parler et l’ancienneté de son engagement politique n’y sont sans doute pas étrangers. « Mummy », comme la surnomment ses compatriotes en référence à ses 68 ans, inspire confiance. Lors de la conférence des donateurs, en février à Washington, les bailleurs de fonds ont multiplié, non sans zèle, les promesses d’annulation de dette. Il est bien vu d’aider le Liberia, et Ellen Johnson-Sirleaf le sait.
Abandonné par la communauté internationale, à commencer par les États-Unis, au plus fort des massacres perpétrés par Charles Taylor et ses jeunes miliciens, le pays a aujourd’hui l’occasion rêvée de se faire pardonner. Aider le bon élève des pays en développement vaut mieux que soutenir le chef d’une dynastie pétrolière Et, surtout, si ce bon élève est dirigé par une personnalité politique d’expérience (elle est notamment passée par la Banque mondiale et le ministère des Finances, de 1980 à 1985, sous le président William Tolbert), qui, de surcroît, est la première femme africaine démocratiquement élue à la tête d’un État
Nicolas Sarkozy ne s’y est pas trompé : Ellen Johson-Sirleaf a été le premier chef d’État africain reçu à l’Élysée, le 24 mai, par le nouveau président français. Elle non plus ne s’y est pas trompée : elle a arraché à son hôte une promesse de soutien au prochain sommet du G8 (du 6 au 8 juin, en Allemagne) D’un voyage à l’autre, le discours de cette missionnaire jamais angélique ne varie pas d’un mot : « Nous avons besoin de tout, alors, aidez-nous. Nous ne vous décevrons pas. »

Jeune Afrique : Lors de votre investiture, le 16 janvier 2006, vous avez déclaré que tout, au Liberia, était prioritaire : santé, éducation, infrastructures, sécurité Qu’en est-il aujourd’hui ?
Ellen Johnson-Sirleaf : Certains dossiers évoluent dans le bon sens. Nous avons réussi à programmer la scolarité pour tous, et le taux de scolarisation a augmenté de 40 %. La plupart des nouveaux élèves sont d’ailleurs des filles. Des progrès ont été enregistrés dans les infrastructures. Il y a désormais de l’eau et de l’électricité à Monrovia, et la rénovation des routes est en cours. Sur le plan économique, les embargos sur le bois et les diamants ont été levés, nous sommes éligibles à l’Agoa(1) et avons rempli nos engagements devant le Fonds monétaire international. Nous avons aussi obtenu des promesses de réduction de dette et espérons entrer dans l’initiative PPTE(2) [pays pauvres très endettés, ndlr] dans les douze à dix-huit mois à venir. J’ai demandé au président français Nicolas Sarkozy et à la chancelière allemande Angela Merkel de nous apporter leur soutien sur ce dossier.

la suite après cette publicité

Reste l’emploi, un grand défi
Oui, certainement. Le chômage est un problème chronique préoccupant. Il y a un grand nombre de jeunes qui ont besoin d’un emploi. Pour leur trouver du travail, nous devons créer un environnement attractif pour le secteur privé. Cela prend du temps, car nous avons notamment renégocié tous les contrats de concessions minières et forestières. Nous en avons même annulé certains. Mais nous sommes en train d’en passer d’autres. J’espère qu’à la fin de l’année les projets agricoles, miniers et forestiers seront plus nombreux et créeront des emplois.

Comment améliorer le climat des affaires ?
Le système judiciaire est l’un de nos points faibles. Il nous faut plus de juges, et nous devons les attirer par de meilleures rémunérations. Le cadre légal est aussi à revoir. Certaines lois sont contradictoires, d’autres redondantes. Nous avons mis en place un comité de réforme.

La Chine a récemment annoncé son intention d’investir 20 milliards de dollars sur trois ans en Afrique. Comptez-vous en bénéficier ?
Bien sûr, nous avons besoin de cet argent ! Nous espérons qu’une partie pourra aller dans le secteur minier. Mais nous coopérons déjà avec la Chine. Nous avons discuté de la création d’une zone franche pour transformer nos matières premières et créer de la valeur ajoutée.

Plus généralement, que pensez-vous de la présence chinoise sur le continent ?
La Chine apporte des ressources additionnelles à l’Afrique. Elle lui permet aussi d’avoir un plus grand nombre de partenaires, et le continent en a besoin. Il faut que nous sortions des tête-à-tête exclusifs. À chaque pays de gérer cette relation au mieux de ses intérêts, en matière d’emploi par exemple. Car vous savez que bien souvent, quand les entreprises chinoises s’installent en Afrique, elles viennent avec leur propre force de travail et ne font appel à aucune main-d’uvre locale. Il faut être sûr d’obtenir quelque chose en échange de nos ressources naturelles.

la suite après cette publicité

Le fait de ne pas disposer d’une majorité, ni à l’Assemblée ni au Sénat, vous gêne-t-il dans vos réformes ?
Certainement. Ne pas avoir de majorité implique de négocier et de faire des compromis en permanence, ce qui rend votre travail plus difficile. Mais c’est ainsi, nous devons nous en accommoder. Nous essayons de travailler avec les uns et les autres, de répondre à certaines de leurs conditions et d’avancer.

Que deviennent ces milliers d’ex-combattants qui n’ont connu que la guerre ? Le DDRR (désarmement, démobilisation, réinsertion, réintégration) avance-t-il assez vite ?
Nous rencontrons des difficultés avec le DDRR. Le désarmement et la démobilisation se sont relativement bien passés. Mais la réinsertion et la réintégration sont beaucoup plus compliquées, car il faut former les anciens combattants et leur donner les moyens de retourner dans leur communauté. Nous nous heurtons à des problèmes de financement. Il y a environ 30 000 personnes qui n’ont pas encore bénéficié d’une formation. Nous essayons de trouver une solution.

la suite après cette publicité

Le procès de l’ancien président Charles Taylor doit s’ouvrir le 4 juin, à La Haye, aux Pays-Bas. Son spectre hante-t-il toujours le Liberia ?
C’est presque du passé. Il y a encore un petit groupe de loyalistes qui continuent de cultiver sa mémoire, en collant des affiches, en organisant des débats à la radio. C’était prévisible. Taylor a dominé le pays pendant si longtemps. Mais la majorité des Libériens veulent oublier cette période et se tourner vers l’avenir. Nous n’avons pas encore la possibilité d’offrir un emploi à ces nostalgiques. C’est leur principale préoccupation aujourd’hui.

Quelles relations entretenez-vous avec vos voisins immédiats, la Sierra Leone, la Guinée et la Côte d’Ivoire ?
Nous avons de bonnes relations avec tous nos voisins. Nous essayons de réactiver l’Union du fleuve Mano, qui regroupe la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone. J’ai participé au récent sommet de Conakry [les 29 et 30 avril, ndlr], qui lui a été notamment consacré. Le président ivoirien Laurent Gbagbo était présent. Il nous a indiqué que son pays pourrait rejoindre l’Union. Ce serait l’opportunité pour les quatre États de se remettre à travailler ensemble et de trouver un terrain de coopération et d’intégration régionale.

La Guinée et la Côte d’Ivoire traversent des zones de turbulences. Craignez-vous que cela ne déborde sur le Liberia ?
S’il y a des tensions en Guinée et en Côte d’Ivoire, s’il y a des risques de conflits, cela nous affectera, ?c’est évident. Nos frontières sont poreuses et, de part et d’autre, les populations sont les mêmes. Au sommet de Conakry, nous avons décidé d’établir des rapports plus formels entre nos différentes agences de sécurité et de renseignements. Leurs personnels doivent se rencontrer et échanger régulièrement des informations pour être à même de gérer n’importe quelle menace.

Au sommet de l’Union africaine à Accra, en juillet prochain, le dossier des conflits, comme celui du Darfour, sera de nouveau à l’ordre du jour. Que faire pour que l’institution soit plus efficace ?
Puisqu’il est établi que l’Afrique doit résoudre elle-même ses conflits, c’est à elle de définir des mécanismes pour y apporter des réponses efficaces. Il faut que des forces militaires prêtes à intervenir dès que nécessaire soient entraînées dans les différents pays de l’UA. Mais il faut aussi que nos partenaires soient prêts à apporter un soutien logistique aux interventions. Au Darfour, l’UA a envoyé 7 000 Casques blancs sous-équipés et on se demande pourquoi ça ne marche pas ! L’Afrique veut prendre ses responsabilités, mais elle doit en avoir les moyens. Aujourd’hui, le déploiement et l’entretien des forces de l’organisation dépendent pour beaucoup des bailleurs de fonds. Plus généralement, l’UA elle-même compte seulement sur quelques pays membres qui ont des ressources, comme le Nigeria et l’Afrique du Sud, pour boucler son budget.

Il n’y a pas que les conflits qui restent un sujet de préoccupation, la démocratie a aussi du mal à trouver droit de cité, notamment au Zimbabwe. Comment voyez-vous l’après-Mugabe ?
Il y aura des élections et un nouveau président au Zimbabwe. Espérons qu’il sera plus attentif aux besoins de son peuple et qu’il favorisera la naissance d’une société plus ouverte et plus démocratique, pour permettre au pays de sortir du gouffre. Peut-être dans un an ou deux. Pas plus j’espère. Il faut proposer au président Mugabe une retraite digne, avec un statut de citoyen éminent. C’est un problème que nous avons en Afrique, et pas seulement au Zimbabwe. Même dans mon pays, nous avons besoin d’un cadre pour que le pouvoir se transmette pacifiquement et légalement. Une fois que c’est acquis, une grande partie des problèmes liés à la longévité au pouvoir peut être résolue.

Briguerez-vous un second mandat ?
Laissez-moi d’abord terminer le premier ! Il est trop tôt pour parler du second.

Pensez-vous qu’une femme aborde la fonction présidentielle avec plus de maturité qu’un homme ?
La femme donne la vie, sa sensibilité est donc différente. Elle est plus attentive, elle est plus portée au partage. Mais, pour être présidente, une femme doit avoir toutes les qualités d’un leader, le même niveau de compétence, d’engagement et de courage qu’un homme, voire davantage. C’est la base. Ensuite, bien sûr, la sensibilité féminine donne une autre dimension à la fonction. C’est une bonne chose.

Quelles relations entretenez-vous avec les États-Unis ?
De très bonnes relations. Les États-Unis sont notre premier partenaire. Ils participent à la formation de notre nouvelle armée et soutiennent nos efforts de développement. Je m’entends très bien avec le président Bush, je l’ai vu deux fois en un an. J’ai également rencontré son épouse. Le courant passe aussi avec le Congrès. La présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, est venue au Liberia. Grâce à elle, j’ai été invitée à m’exprimer à la session conjointe du Congrès [qui réunit les deux Chambres, celle des représentants et le Sénat, ndlr]. Nous sommes heureux d’avoir ce double partenariat aux États-Unis. Aux yeux de Washington, nous faisons ce que nous avons à faire. Pour l’Union européenne aussi. Nous entretenons de bons rapports avec la France, le Royaume-Uni et d’autres membres de l’UE. Je pense que la façon dont je dirige mon pays et la compétence de mon équipe sont appréciées. Pour tout vous dire, je crois qu’il y a une manifestation de sympathie à l’endroit du peuple libérien. Il a souffert, il mérite mieux. Nos partenaires l’ont compris.

1. African Growth and Opportunity Act, loi américaine qui incite les États africains à ouvrir leur marché en échange de compensations.
2. Processus des institutions de Bretton Woods qui conduit à l’annulation de la dette extérieure.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires