Nkunda est-il dangereux ?

Plusieurs mois après la mise en place de nouvelles institutions démocratiques, l’est du pays reste le théâtre de violences récurrentes. Et le rôle du général dissident, suspecté de sombres desseins, suscite controverses et interrogations.

Publié le 5 juin 2007 Lecture : 6 minutes.

Quand le général dissident Laurent Nkunda, 40 ans, éternue, le Kivu (est de la République démocratique du Congo) tremble. Il le sait et ne rechigne pas à jouer là-dessus. En janvier, le Rwanda voisin a conduit une médiation entre lui et des officiels congolais. Résultat : ses troupes ont été « mixées », autrement dit intégrées à l’armée nationale, mais pas brassées, c’est-à-dire ni délocalisées ni soustraites à son commandement. S’il est vrai que d’autres troupes, comme la Garde présidentielle et les Maï-Maï, ont échappé au brassage, ce régime de faveur a été mal vécu dans le Kivu. Certains n’ont pas hésité à qualifier la démarche du président Joseph Kabila d’acte de « faiblesse », d’autant que Nkunda, qui fait toujours l’objet d’un mandat d’arrêt, est soupçonné de « servir les intérêts du Rwanda ».
N’empêche, les forces « mixées » ont, depuis, lancé des attaques contre les miliciens des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR). Et ont commis, en outre, des exactions contre des civils accusés de soutien aux rebelles hutus rwandais. Kinshasa a, depuis peu, fait marche arrière. Nkunda n’est plus fréquentable. « C’est un criminel dont la justice doit s’occuper », n’hésite pas à affirmer un membre de l’entourage présidentiel. Selon un ministre congolais, « Nkunda est en train de faire du chantage comme tout le monde l’a fait tout au long de la transition. L’époque où l’on multipliait les amnisties est révolue. Aujourd’hui, il nage à contre-courant. Ce qu’il fait n’est pas nouveau. Il menace de faire la guerre ? C’est un fonds de commerce pour se positionner et nous empêcher de stabiliser le pays. » Mais l’homme est-il vraiment dangereux ?
Tutsi congolais, Laurent Nkundabatware de son vrai nom, plus connu sous le diminutif de Nkunda, est né deux fois. Une première fois en 1967 dans le territoire de Rutshuru. Des études à l’université de Kisangani – qu’il n’aurait pas achevées – l’amènent à enseigner la pédagogie et la psychologie dans un lycée du Masisi. Il naît une seconde fois en 1994, quand il apprend à faire le coup de feu au Rwanda. C’est l’époque du génocide des Tutsis et de l’arrivée massive de Hutus dans le Kivu. Nkunda s’engage alors dans l’armée du Front patriotique rwandais (FPR) et bénéficie d’une formation militaire accélérée. En 1996, il participe à la guerre de Laurent-Désiré Kabila contre le Zaïre du maréchal Mobutu. Deux ans plus tard, il se retrouve dans la rébellion du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) contre le même Kabila devenu chef de l’État congolais.
En 2002, au moment tous les belligérants acceptent de dialoguer en vue d’une issue pacifique du conflit, l’ex-enseignant prend ses distances et se prépare à jouer une nouvelle partition en se retranchant avec plusieurs milliers d’hommes sur les collines du Masisi. Imprenable, il se transforme en chef de guerre redouté, « un roitelet qui règne sur une portion de territoire dont les richesses lui profitent », selon un analyste de l’organisation non gouvernementale de prévention des conflits International Crisis Group. En 2004, Nkunda commet son premier haut fait d’armes. Il se rend maître, quatre jours durant, de Bukavu, chef-lieu du Sud-Kivu. Et s’autoproclame défenseur de la minorité tutsie du Congo. « Avant la prise de Bukavu, le Rwanda ne le prenait pas au sérieux, affirme un observateur. Depuis, il a le soutien politique de Kigali. »
Fin 2006, après s’être emparé de Sake, il tente de marcher sur Goma. Seule une intervention vigoureuse de la Mission de l’Organisation des Nations unies au Congo (Monuc) empêche la chute de la capitale du Nord-Kivu. Actuellement, le général insurgé dispose d’environ six mille hommes, peut-être sept mille grâce aux recrutements qu’il a effectués à la faveur du « mixage » de ces derniers mois. Selon Sylvie Van den Wildenberg, porte-parole de la Monuc dans le Nord-Kivu, des Rwandais qui ont regagné leur pays il y a quelques semaines « ont expliqué qu’ils avaient été recrutés dans différentes préfectures du Rwanda dès le début 2007, avec la promesse de trouver un emploi civil au Congo. Toutes ces recrues n’ont pas pu être engagées à l’insu des autorités rwandaises, ajoute la porte-parole. Ce qui pose sérieusement la question de la position de Kigali par rapport aux risques de déstabilisation dans l’est de la RDC. »
Père de sept enfants, Laurent Nkunda est marié à une femme originaire de Kisangani (province Orientale), qui vit actuellement à Gisenyi (Rwanda). Éleveur, il est propriétaire d’une grande ferme et d’un important cheptel dans le Masisi. Pour des raisons de sécurité, disent ses proches, « il se déplace beaucoup entre ses multiples résidences et quartiers généraux » à travers les territoires qu’il contrôle, « conscient qu’on peut avoir sa peau à tout moment ». Il est décrit comme un homme « très sobre, qui ne boit pas, ne fume pas, très réfléchi, fier de ses origines et de ses galons, aimant les débats idéologiques ». Loin des mondanités, il propose toujours à ses invités du lait de vache ou des sodas.

Pasteur évangélique à ses heures, Nkunda dirige chaque matin une prière collective. Les dimanches, il lui arrive même de prêcher dans les églises. Mais le militaire ne lit pas que la Bible. « Il dévore beaucoup d’autres ouvrages pour s’instruire, affirme un de ses collaborateurs. Et lit souvent les Mémoires du général de Gaulle. » Nkunda est un homme cultivé. On le dit polyglotte. « Il parle le français, l’anglais, le kinyarwanda, le nande, le swahili, le lingala et un peu de tshiluba. » Considéré par certains habitants des zones où il opère comme un gage de sécurité, Nkunda reçoit des dons en nature ou en espèces venant d’hommes d’affaires ou d’éleveurs. Sans compter les taxes prélevées en son nom et des avantages tirés des ressources minières de la région. De quoi entretenir ses troupes Souvent en tenue militaire, « il aime exhiber ses galons de général parce qu’il y tient beaucoup », souligne un proche.
À l’en croire, il se bat pour garantir la sécurité des Tutsis congolais, qui seraient, selon lui, menacés. Et, pour cela – ou à cause de cela -, pas question d’aller servir ailleurs. Une attitude qui lui attire l’antipathie des non-rwandophones, qui voient volontiers en lui un pion du Rwanda. « Nous ne défendons pas une communauté précise, prétend René Abandi, son porte-parole. Mais nous refusons la discrimination qui consiste à nier la qualité de Congolais aux rwandophones. Nous sommes la première rébellion entièrement nationale. » En réalité, Nkunda se croit investi d’une mission quasiment divine : « sauver le Congo ». En quête de respectabilité, ?le chef de guerre se dirige vers la politique. En 2006, ?il fonde le Congrès national pour la défense du peuple ?(CNDP), mais ne participe à aucune élection.
Mais l’une de ses principales préoccupations reste l’amnistie qui lui permettrait d’échapper au mandat d’arrêt lancé contre lui depuis sa désertion de l’armée et l’insurrection militaire à Bukavu en 2004. Ses ennemis l’accusent également d’avoir participé à la répression brutale d’une mutinerie à Kisangani en 2002. Des témoins affirment toutefois qu’il n’est arrivé que deux jours après les violences, qui ont fait 160 morts. Nkunda cherche donc une réhabilitation. Il l’attend toujours.
Début mai, le général a accusé Kinshasa de ne pas avoir tenu ses engagements. « Les hommes que nous avons mis à la disposition de l’armée ne sont pas entièrement pris en charge, dénonce René Abandi. Nous attendons toujours la commission politique qui doit statuer sur le cas de notre parti. La convention tripartite sur le retour des réfugiés rwandophones n’est pas signée. » En outre, Nkunda souhaiterait que le « mixage » soit étendu au Sud-Kivu et aux officiers de l’armée. En réalité, Kinshasa a rempli une partie du contrat. Un nombre important de réfugiés est rentré dans le Kivu. Les unités mixées ont mené ensemble des opérations contre les rebelles des FDLR.

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Ces derniers mois, le « mixage » a renforcé son emprise sur ce territoire, dont les ressources minières ne sont pas négligeables. Mais selon International Crisis Group, la menace que représente Nkunda reste confinée au Petit Nord (les territoires de Rutshuru, Masisi, Walikale) Le conflit ne peut être que local, malgré des incidences régionales évidentes. Les actions menées par le général insurgé contre les FDLR ont tout de même provoqué le déplacement de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Et des centaines de morts.
Entre un général insurgé qui menace de revenir à la case départ et un gouvernement qui affirme avoir mis fin au processus de « mixage », la situation devient schizophrénique.

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