Le temps des narcos

Nouadhibou, plaque tournante du trafic des stupéfiants entre l’Amérique du Sud et l’Europe ?

Publié le 5 juin 2007 Lecture : 5 minutes.

Jamais une affaire de trafic de stupéfiants n’avait autant focalisé l’attention des autorités et de l’opinion. « La Mauritanie se réveille en sursaut et prend conscience d’une réalité difficile », commentait un éditorialiste à Nouakchott, le 2 mai, au lendemain de la saisie de 629 kg de cocaïne pure sur le tarmac de l’aéroport international de Nouadhibou, la capitale économique du pays. Certains s’interrogent : et si, pour les parrains internationaux de la drogue, la Mauritanie était devenue un « pays relais » ?

La coke venait du Venezuela, via Recife, à la pointe nord-est du Brésil. Elle avait été transportée à bord d’un petit avion Cessna 441 Conquest piloté par deux Belges. Pour permettre au bimoteur de parcourir d’une traite les 4 800 km qui séparent Recife de Nouadhibou, l’équipage avait désossé l’intérieur de l’appareil afin d’y entasser trente-trois bidons de 90 litres de carburant. Le ravitaillement a donc eu lieu en vol.
La veille, un hélicoptère avec à son bord deux ressortissants français avait atterri à Nouadhibou. « Il devait acheminer une partie de la livraison en Europe », assure une source policière. Le reste devait être, dans un premier temps, stocké par les membres mauritaniens du réseau, avant de prendre le même chemin. L’intervention des forces de sécurité a donc tout fait capoter. « Ayant été alertés à temps, nous avons pris nos dispositions », a commenté, trois semaines plus tard sur les ondes de Radio Mauritanie, le commissaire Mohamed Abdallahi Ould Adda, directeur de la sûreté de l’État, qui chapeaute l’enquête en sa qualité de directeur par intérim de la police judiciaire.
Les membres de l’équipage ont pourtant eu le temps de décharger leur cargaison, puis, voyant surgir des voitures de police, de redécoller en catastrophe. Manquant de carburant, l’appareil s’est posé à 125 km de là, sur la route goudronnée reliant Nouadhibou à Nouakchott. Ses occupants ont été rapidement récupérés par des complices locaux, avant de s’évanouir dans la nature. Apparemment, ils auraient réussi à gagner le Sahara occidental.
Le lendemain, on découvre avec stupéfaction que les Mauritaniens mis en cause dans le trafic ne sont pas tous de petits dealers anonymes. Et que certains sont même des célébrités. C’est le cas de Sidi Mohamed Ould Haidalla, le fils aîné de l’ancien président Mohamed Khouna Ould Haidalla, aujourd’hui en fuite. Selon la police, il était le cerveau du groupe.
Le nom de Ch’bih Ould Cheikh Melainine, le président du Front national, une petite formation de gauche, a également été cité, ce qui a amené certains médias à conclure, un peu vite, à sa culpabilité. Celui-ci n’est pas n’importe qui : incarcéré sous Ould Taya, il s’était vu attribuer par le Parlement européen, en 2003, un « passeport pour la liberté ». Cela ne l’a pas empêché d’être interrogé, assigné à résidence pendant la durée de l’enquête, puis déféré devant la justice, cette dernière décidant finalement de classer son dossier sans suite et de le libérer.
Au total, sept personnes, dont les deux Français et un Marocain, ont été inculpées par le parquet de Nouadhibou pour « association de malfaiteurs, trafic de stupéfiants, complicité de blanchiment d’argent et terrorisme ». Des mandats d’arrêt internationaux ont été lancés contre cinq de leurs complices, dont Ould Haidalla et les deux pilotes belges, qui seront jugés par contumace. Interpol aurait, dit-on à Nouakchott, apporté une précieuse assistance technique aux policiers et aux magistrats chargés du dossier.
Les saisies opérées depuis le déclenchement de l’affaire donnent une idée de l’importance du trafic. Outre les 630 kg de cocaïne, d’une valeur de plus de 14,9 millions d’euros, les autorités ont en effet mis la main sur 2 avions, 5 voitures de luxe, 9 conteneurs bourrés de marchandises diverses et pas mal d’argent liquide. Dans l’un des conteneurs en provenance d’Espagne saisis sur le port de Nouadhibou, les policiers ont notamment découvert 820 000 euros dissimulés dans un 4×4 flambant neuf. À l’exception de l’hélicoptère et du bimoteur, tout appartenait – ou était destiné – à Sidi Mohamed Ould Haidalla. « L’argent et les conteneurs saisis sont à coup sûr des contreparties versées dans le cadre d’opérations antérieures », estime un expert espagnol.

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Prises de court par cette affaire (qui survient quelques semaines après l’investiture du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi), les autorités mauritaniennes se sont engagées à faire « toute la lumière » à son sujet, selon la formule consacrée. Le 23 mai, le chef de l’État a même ordonné la mise en place d’une commission d’enquête spéciale, dont le rôle, précise-t-on à Nouakchott, est de découvrir les éventuelles défaillances et/ou dysfonctionnements qui ont permis au cerveau présumé de l’affaire et à ses complices belges de s’échapper.
L’opposition applaudit, mais demande davantage. « Il est indispensable de nommer une commission d’enquête parlementaire », plaide Me Mohamed Mahmoud Ould Lemat, le président du groupe du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) au Parlement. Lors d’une récente rencontre, les leaders de cette mouvance avaient déjà fait part au chef de l’État de leurs inquiétudes. « Ce n’est que la partie visible de l’iceberg », soutiennent-ils. À leurs yeux, la Mauritanie court le risque de « devenir un État narcotrafiquant » doté d’une police et d’une administration « infiltrées et corrompues au plus haut point », dont la seule chance de s’en sortir serait de faire appel « à l’assistance et au soutien de la communauté internationale ».
Représentant spécial des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest, le Mauritanien Ahmedou Ould Abdallah partage cette analyse. « Les trafiquants disposent de moyens plus importants que ceux des États africains. Quand ils s’implantent quelque part, il est difficile de les en déloger », a-t-il averti, lors d’une conférence de presse le 26 mai, à Dakar. Le responsable onusien a noté, au cours des derniers mois, une augmentation du trafic des stupéfiants dans la sous-région, notamment en Mauritanie, au Niger et au Burkina. Une situation d’autant plus « dangereuse » que les États concernés sont « fragiles ». On veut croire que Miguel Angel Moratinos, le ministre espagnol des Affaires étrangères, Mohamed Benaïssa, son collègue marocain, et Nuno Severiano Teixeira, le ministre portugais de la Défense, qui ?se sont succédé à Nouakchott du ?24 au 28 mai, ont bien reçu le message.
Comment en est-on arrivé là ? Les spécialistes sont unanimes. Face aux contrôles de plus en plus sévères imposés en Europe aux produits en provenance d’Amérique latine, les « narcos » font, depuis plusieurs années, transiter la drogue par l’Afrique de l’Ouest. Pendant le long règne d’Ould Taya – où l’« enrichissez-vous » de Guizot était érigé en dogme -, ils ont porté leur choix sur la Mauritanie, « trop grande pour être surveillée efficacement, trop pauvre pour résister aux bakchichs et trop innocente pour attirer les soupçons », comme le dit amèrement un journal de Nouakchott.

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