La vague black-beur

Une centaine de Français d’origine maghrébine ou subsaharienne brigueront un siège de député lors du scrutin des 10 et 17 juin. Une petite révolution, même si moins d’une dizaine seulement sont en position de l’emporter.

Publié le 5 juin 2007 Lecture : 6 minutes.

Les Français s’apprêtent, selon toute vraisemblance, à offrir à Nicolas Sarkozy une confortable majorité à l’Assemblée nationale, les 10 et 17 juin, à l’occasion des élections législatives. Portée par la « vague bleue », l’Union pour un mouvement populaire (UMP), le parti présidentiel, devrait disposer de 350 à 400 élus. Le Parti socialiste (PS), lui, tentera de « limiter la casse » : Ségolène Royal est arrivée en tête dans 200 des 577 circonscriptions. Le mode de scrutin, majoritaire à deux tours, constitue un sérieux handicap pour les partisans du « troisième homme », François Bayrou. Le Mouvement démocrate (MoDem), sa nouvelle formation, va devoir batailler pour remporter quelques sièges, et, sauf accords locaux de désistement avec la gauche entre les deux tours, il aura bien du mal à parvenir au seuil des vingt députés nécessaire à la constitution d’un groupe parlementaire. Le Front national (FN), en perte de vitesse, risque pour sa part de ne compter aucun élu dans l’hémicycle du Palais-Bourbon. Comme en 2002.

Une forteresse imprenable Si, à l’échelle nationale, l’identité du vainqueur ne fait aucun doute, sur le plan local, en revanche, les législatives présentent quelques configurations assez intéressantes. L’une des nouveautés réside, cette année, dans l’apparition d’une petite centaine de « candidats de la diversité » représentant les minorités visibles, c’est-à-dire les Françaises et Français issus des immigrations maghrébine et subsaharienne. Moins d’une dizaine sont en position de l’emporter. C’est peu. Mais qu’un seul le soit constituerait déjà une petite révolution : ce serait tout simplement une première ! En mai 2002, au lendemain de la réélection de Jacques Chirac, une brèche avait été ouverte avec l’entrée au gouvernement de Tokia Saïfi (secrétaire d’État au Développement durable) et de Hamlaoui Mekachera (secrétaire d’État aux Anciens Combattants). En juin 2004, Kader Arif avait conduit victorieusement la liste socialiste aux élections européennes dans une circonscription du Sud-Ouest. En septembre 2004, à l’occasion d’un renouvellement partiel, le Sénat s’était timidement ouvert à la diversité en accueillant Bariza Khiari (PS) et Alima Boumediene-Thierry (Les Verts). Mais l’Assemblée, elle, était restée une forteresse imprenable.
La classe politique française, frileuse et conservatrice, s’est longtemps accommodée de cette situation, pourtant symptomatique des dysfonctionnements profonds du « modèle républicain d’intégration ». Et il aura fallu que les banlieues s’embrasent, pendant les folles semaines d’octobre-novembre 2005, pour qu’elle prenne enfin conscience, à droite comme à gauche, de l’urgence qu’il y avait à assurer une meilleure représentation des minorités. Le déroulement de la campagne présidentielle a témoigné d’un début d’inflexion. Il a été marqué par l’émergence de nouveaux visages, ceux de Rachida Dati, porte-parole du candidat Nicolas Sarkozy, et (dans une moindre mesure), de son alter ego socialiste, Najat Belkacem-Vallaud. Les législatives pourraient permettre d’amplifier ce frémissement.

la suite après cette publicité

Place aux femmes Le plus souvent en position de challengeurs dans des circonscriptions clés, les candidats « issus de la diversité » font déjà parler d’eux. À Lyon, dans la 3e circonscription du Rhône, le sociologue Azouz Begag, ancien ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances, passé avec armes et bagages du côté de François Bayrou, défie le chirurgien Jean-Michel Dubernard, figure régionale de l’UMP. Dans la 4e, Najat Belkacem-Vallaud défend les chances du PS face à l’ancien ministre de la Justice Dominique Perben, dans un duel a priori très déséquilibré. En région parisienne, à Saint-Denis, le judoka Djamel Bouras porte les couleurs du MoDem, et tentera, comme la socialiste Rose Gomis (voir portrait p. 35), de déboulonner le sortant, le communiste Patrick Braouezec.
Une nette tendance se dégage : les femmes sont surreprésentées parmi les candidats de la diversité. « Aujourd’hui, les partis sont incités à mettre en avant des femmes jeunes et d’ascendance étrangère, explique le monsieur Élections d’une grande formation politique. Cela leur permet à la fois de se plier aux obligations de la loi sur la parité, de montrer que le renouvellement des cadres est engagé et d’envoyer des signaux en direction des communautés black et beur. Ils s’imaginent aussi que les femmes passent sans doute mieux auprès de l’électorat traditionnel Bleu, blanc, rouge. C’est de la discrimination à rebours, mais ça se vérifie : Rachida Dati, la nouvelle garde des Sceaux, est une des ministres les plus populaires du gouvernement Fillon. »

Le PS a reçu le message
De tous les grands partis, c’est le PS qui a fait le plus d’efforts pour promouvoir la diversité en son sein. Au total, une vingtaine de circonscriptions ont été gelées par François Hollande en juin 2006 pour les candidats issus de l’immigration. Le PS a semble-t-il fini par entendre les reproches récurrents émanant des Blacks et de Beurs lassés d’être instrumentalisés puis cantonnés dans les rôles peu gratifiants d’« Africains » ou d’« Arabes de service ». « C’est d’abord au niveau des élites franco-maghrébines que le phénomène de distanciation avec la gauche a été perceptible, analyse un vieux militant parisien d’origine algérienne, qui a été de tous les combats de la gauche depuis la fameuse marche des Beurs de 1983. Les gens ont commencé à regarder du côté de la droite, pour voir s’il n’y avait pas davantage d’opportunités. » La sociologie a fait le reste. Ceux qui avaient réussi en affaires et s’étaient embourgeoisés sont devenus naturellement plus sensibles aux thèses libérales. La droite, sentant le vent tourner, s’est lancée dans une offensive de charme en direction des Beurs et de la communauté musulmane du temps où Lionel Jospin était Premier ministre. Jacques Chirac, autant par inclination personnelle que par calcul politique, a multiplié les gestes symboliques, comme la visite à Bab el-Oued, le quartier d’Alger dévasté par les inondations, en 2001. Ses sympathies proarabes étaient connues. C’est finalement Nicolas Sarkozy qui a rendu le meilleur service à la gauche, en agissant comme un épouvantail

Grincements de dents Ségolène Royal, qui a vu qu’elle avait une carte à jouer en banlieue, a réconcilié les jeunes des quartiers avec la gauche. Mais les vieux réflexes ont la vie dure, et, au niveau local, certains traînent encore les pieds et supportent mal de devoir renoncer à une investiture pour céder la place à un candidat de la diversité. Michel Charzat, député-maire du 20e arrondissement de Paris, a ainsi maintenu sa candidature dissidente contre l’avocate antillaise George-Pau Langevin, désignée par les instances fédérales. Un geste d’indiscipline qui a entraîné son exclusion du parti. Malek Boutih, l’ancien président de SOS Racisme, parachuté dans la 4e circonscription de Charente, a dû, lui aussi, composer avec les mouvements d’humeur d’une base réticente.
Outre Boutih, tangent, deux jeunes candidates ont de vraies chances de l’emporter le 17 juin sous les couleurs du PS : l’Auxerroise Safia Otokoré, proche de Ségolène Royal, parachutée dans la 11e circonscription des Yvelines, à Trappes-Élancourt, et la fabiusienne Najwa Confaits, qui se présente au Havre. Cette ravissante juriste de 32 ans, née à Rouen de parents marocains (fassis), milite depuis treize ans. Secrétaire de section pendant deux mandats consécutifs dans le 5e arrondissement de Paris, elle a été repérée par Laurent Fabius, qui lui a proposé de retourner dans son département d’origine, et d’y préparer les législatives : « La 8e de Seine-Maritime englobe les quartiers nord du Havre, explique-t-elle. Elle est métissée, et mes origines, que je revendique, peuvent être un atout. Le sortant, Daniel Paul, un communiste, est en grande difficulté, car Marie-George Buffet n’y a recueilli que 4 % des voix au premier tour de la présidentielle. Ségolène Royal, elle, a réalisé 54 % au second tour. Cette campagne, c’est un beau challenge pour moi »
À droite, côté UMP, où l’on dénombrait 351 sortants, plus 9 apparentés, tous accrochés à leur fauteuil, les arbitrages se sont révélés forcément plus problématiques qu’au PS. Une dizaine de candidats de la diversité ont été investis, mais placés, le plus souvent, dans des circonscriptions « ingagnables » ou très difficiles, comme à Paris (voir les portraits de Jeannette Bougrab et Lynda Asmani p. 36). Un seul d’entre eux, le docteur Sélim Kacet, professeur de cardiologie à la faculté de Lille, serait en mesure d’être élu, dans la 8e circonscription du Nord, à Wasquehal. Initialement investi dans une localité voisine, Kacet a été « déplacé » in extremis par la direction nationale, pour permettre au député UDF, Francis Vercamer, qui s’était rallié à Sarkozy pendant la campagne, de garder son siège. Son arrivée inopinée à Wasquehal a provoqué le retrait de la course du député sortant, Gérard Vignoble, centriste également, mais resté fidèle à Bayrou. Vignoble, victime d’un grave accident vasculaire en 1999, s’était lié d’amitié avec Kacet – le médecin qui lui avait sauvé la vie – et ne pouvait concevoir de se battre contre lui. La mort dans l’âme, il a préféré renoncer.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires