Frédéric Mitterrand se met en scène

Publié le 5 juin 2007 Lecture : 3 minutes.

Vous souvenez-vous de La Rose pourpre du Caire, ce film de Woody Allen dans lequel un acteur, plantant ses partenaires au milieu d’une scène, sort d’un film, traverse l’écran et enjambe les fauteuils de la salle de cinéma pour rencontrer une spectatrice (Mia Farrow) transie d’admiration ? Dans Le Festival de Cannes, c’est Brad P. qui, un soir, sort de son cadre et débarque à l’improviste dans la chambre d’hôtel de Frédéric Mitterrand. La star est « en tee-shirt immaculé, jean serré et mocassins noirs aux pieds nus comme un jeune Américain très clean qui viendrait de prendre sa douche et qui aurait encore les cheveux ébouriffés par sa serviette ». Le second, un peu gêné dans son pyjama en pilou, n’en est pas moins enchanté de cette apparition qui, assure-t-il, se produit de temps à autre, à l’insu de tous. C’est leur secret, à Brad et à lui. Jusqu’à ce qu’un importun frappe à la porte, que Frédéric se lève pour voir ce qui se passe dans le couloir et que Brad, qui s’était nonchalamment assis sur le lit, en profite pour s’éclipser en passant par le balcon. Regagnant son monde, celui du cinéma, et laissant Frédéric désemparé. Seul. Une fois de plus.
Seul à être gagné par la tristesse à l’annonce de la mort de la flamboyante Rita Hayworth, en plein Festival de Cannes, alors que les convives continuent de festoyer. Seul à se souvenir que la villa Pierre-Grise abrita un temps le roi Zog d’Albanie, ses fantasques surs et son épouse Géraldine. Seul à s’intéresser, dans le brouhaha et au milieu des paillettes, au sort d’un Monténégro redevenu indépendant. Seul à évoquer des ombres disparues – réalisateurs fourvoyés, actrices désespérées, amis de passage – dont la vie ou l’uvre, fussent-elles brèves ou fugaces, continuent à le hanter.
Dans La Mauvaise Vie (Éd. Robert Laffont, 2005) déjà, roman-vrai et véritable chef-d’uvre, Frédéric Mitterrand se racontait, sans fard. De son enfance délaissée aux mains de gouvernantes à ses premiers émois homosexuels, de son admiration pour Françoise Sagan ou Catherine Deneuve (jamais nommée, toujours présente) aux plaisirs vénéneux des amours tarifées, des maisons closes parisiennes aux bordels thaïlandais, il traçait de lui un autoportrait sans complaisance, où la grâce de l’écriture et l’envoûtante scansion des phrases donnaient de la pudeur aux tourments de la chair, transcendant tout ce qui aurait pu paraître cynique ou choquant.
Le Festival de Cannes revient, sur un mode mineur, sur ce royaume de la nostalgie, sur la géographie du cinéma que Frédéric Mitterrand n’a cessé d’aimer, de Claudia Cardinale, Brigitte Bardot et Silvana Mangano en robes d’été, souriant aux caméras d’un festival noir et blanc, à la révélation de l’édition 2006, Une jeunesse chinoise de Lou Ye.
Entre images d’archives et l’édition 2006, où il est venu sur la Croisette pour présider un jury d’enseignants, Frédéric Mitterrand, tour à tour spectateur, acteur, metteur en scène nous fait partager ses enthousiasmes et ses dépits dont le sens de l’autodérision vient toujours à bout. Ce qui nous vaut de truculents passages sur ceux qui gravitent autour de cette fête du septième art, des analyses fouillées sur les films en compétition, où il raille tous les conformismes avec une tendresse désabusée. Rosse parfois, aigre jamais. Mitterrand se raconte des histoires, mais ne se fait pas un film, se met en scène mais sans affectation, tantôt à l’écart du bourdonnement des rumeurs, tantôt goûtant avec délectation à ces mêmes frivolités. « J’ai la nostalgie active », constate-t-il. Sans doute est-ce pour cela que nous l’aimons.

Le Festival de Cannes, de Frédéric Mitterrand, éd. Robert Laffont, 258 pages, 19 euros.

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