En attendant la révolution

Avec l’arrivée de l’Internet en Afrique, nombre d’entreprises, d’administrations et de particuliers se sont équipés d’ordinateurs. Mais les prix du matériel neuf freinent aujourd’hui l’expansion du marché.

Publié le 5 juin 2007 Lecture : 6 minutes.

L’accès du continent aux technologies de l’information et de la communication (TIC) est aujourd’hui tout relatif. Mais s’il existe encore de fortes disparités d’un pays à l’autre, on ne peut nier que depuis plusieurs années l’outil informatique effectue une meilleure pénétration. Hier encore peu mature, ce marché connaît une réelle expansion sous l’impulsion des évolutions de l’Internet et de la téléphonie. En Afrique, peut-être plus qu’ailleurs, l’ordinateur n’est plus un simple outil d’entrée et de sortie de données. Fini le temps de la « machine à écrire sophistiquée » tant décriée. Le PC représente désormais un enjeu stratégique pour les entreprises, un outil de développement pour les États et une ouverture unique sur le monde pour les particuliers.
Depuis son arrivée et sa percée sur le continent, au milieu des années 1990, Internet ne cesse de stimuler la croissance et la demande en équipements et matériels. Partout dans les villes, les cybercafés (ou cyberpubs, parfois « cyberthés ») se multiplient et ne désemplissent pas. Alors que, selon de nombreuses études, l’achat d’un ordinateur constitue souvent une priorité pour les ménages nord-africains, les entreprises s’équipent à leur tour, soucieuses de conquérir de nouveaux marchés. À la faveur des progrès constants des technologies, la demande devrait donc logiquement croître au cours des prochaines années. À condition toutefois de lever deux obstacles majeurs : le manque d’infrastructures et le prix. Deux facteurs qui freinent à eux seuls la politique de généralisation de l’informatique prônée par la grande majorité des gouvernements africains. Internet se développe certes, mais il n’est d’aucun intérêt si les infrastructures disponibles ne permettent pas de fluidifier le trafic ou si le parc informatique est obsolète. Or trop nombreux sont encore les États à recourir à une connexion via le Réseau téléphonique commuté (RTC, modem téléphonique) qui nécessite l’installation, parfois problématique, d’une ligne fixe. Et trop nombreuses encore sont les structures dotées d’un parc trop vieux, ne permettant pas l’intégration d’applications récentes. « Internet s’étend, mais le problème de la lenteur et des infrastructures persiste. La fracture numérique existe entre les pays eux-mêmes. Le Maroc est très avancé alors que d’autres sont à la traîne. La réduction de la fracture est une question de moyens. La technologie est là, mais les projets sont limités », explique un expert.
Exception faite de l’Afrique du Sud et, dans une moindre mesure, des pays du Maghreb, le continent ne possède aucune industrie informatique. Il est donc nécessaire d’importer les équipements et les solutions pour un coût très onéreux. Ce facteur explique en partie que le ratio ordinateur/habitants n’excède pas 8 % dans une majorité de pays et que le nombre d’internautes reste de loin supérieur à celui des abonnés. On en dénombrait 1,6 million en 2006 au Kenya contre seulement 320 000 abonnés présents sur un marché très concurrentiel où des dizaines de fournisseurs d’accès (Internet Service Provider ou FAI) rivalisent d’offres afin de réduire les coûts. Les internautes, eux, surfent depuis le millier de cafés ayant ouvert leurs portes dans le pays. Autre exemple, l’Algérie compte 35 000 abonnés contre 750 000 internautes qui profitent des connexions de plus de 6 000 cyberespaces. Le problème du coût est donc posé. Alors que le continent se dote progressivement de hautes technologies, les équipements nécessaires à leur utilisation sont surtaxés. Ainsi, un ordinateur acheté 900 euros en France est vendu 1 800 voire 2 000 euros une fois arrivé à Ouagadougou. Les programmes internationaux ayant vocation à réduire la fracture ne parviennent que partiellement à juguler ce phénomène, puisqu’ils ne profitent qu’aux administrations. Malgré la forte présence des bailleurs multi- et bilatéraux dans ce domaine, lesquels sont relayés par un tissu actif d’organisations de solidarité internationale (OSI) et des fonds d’action sociale (FAS), le prix d’un matériel qui n’est pas complètement obsolète est donc encore dissuasif pour de nombreux particuliers. « Il y a quelques années, nous avions conduit un programme spécial pour que nos fournisseurs réduisent le prix des micro-ordinateurs, programme qui incluait également des financements adaptés. Mais l’opération n’a pas rencontré le succès escompté, ce qui prouve que même avec des tarifs préférentiels, l’accès à l’informatique est encore difficile », souligne Pascal Cesbron Lavau, directeur général de CFAO Technologies, filiale du groupe de distribution CFAO créée en 2002. Alors que l’accès à l’outil informatique est, comme dans le cas des énergies alternatives, une priorité affichée, les dispositifs mis en uvre, notamment une fiscalité avantageuse, sont inexistants. Même si la tendance progresse, posséder un ordinateur est encore un luxe réservé à une élite.
Il en va autrement des entreprises pour lesquelles l’informatique représente un enjeu clairement économique et stratégique. Le secteur est plébiscité depuis une dizaine d’années, là aussi à la faveur de la montée en puissance d’Internet. Conscientes du formidable apport de la Toile dans leur politique et leur gestion quotidienne, les entreprises se mettent d’autant plus facilement à niveau que l’Afrique dispose de la même offre de logiciels et de progiciels que les pays développés. Derniers arrivés : le système d’exploitation Windows Vista et le Pack Office 2007 du géant américain Microsoft. « La demande est moins importante qu’au Nord, mais le parc informatique tend à s’accroître dans les pays du Sud. Les entreprises ont bien compris qu’elles devaient répondre aux défis de la mondialisation », explique Pascal Cesbron Lavau. Automatiquement présente dans les filiales de grands groupes, qui assurent bien souvent elles-mêmes la formation de leur personnel, l’informatique d’entreprise touche également les petites et moyennes entreprises (PME) tournées vers l’international. Mais la part de celles qui n’ont pas encore pleinement conscience du formidable potentiel sous-tendu par les TIC est encore trop importante. D’autres, au contraire y ont recours, mais sans faire appel à un intégrateur qui puisse effectuer la maintenance, la mise à jour des applications et surtout garantir une parfaite adéquation avec les infrastructures existantes.
Très en vogue actuellement en Afrique du Sud, les logiciels libres ou open source pourraient inverser la tendance. Alors qu’un logiciel grève 20 % du coût de l’investissement informatique des entreprises, ils peuvent constituer un facteur décisif pour que l’Afrique rattrape son retard. Outre la levée de la contrainte qu’est la licence et la possibilité de réaliser des copies sans contraintes légales, ce type de logiciel permet à l’utilisateur des modifications et des améliorations pour mieux coller aux réalités de son activité. Enfin, le marché de l’outsourcing, dont certains pays se sont déjà fait une spécialité, n’est pas en reste puisqu’il stimule naturellement le secteur. De Dakar à Kampala en passant par Tunis, Casablanca ou Antananarivo, les pays africains souhaitent en effet faire de cette activité l’un des principaux leviers de la lutte contre le chômage. Pas moins d’un million d’emplois sont attendus à Nairobi d’ici à 2010 avec une hausse correspondante du parc informatique.
De plus en plus répandues, les nouvelles technologies mises en place lèvent parallèlement certains freins comme le filaire ou la difficulté d’installer des lignes spécialisées. Alors que l’Afrique recourt encore au bas débit via le RTC, de nouveaux procédés (haut débit avec ou sans fil, Voice on Internet Protocole, visioconférence, diffusion multimédia, etc.) rendent l’utilisateur plus autonome. À cela s’ajoutent les chantiers qui dotent le continent d’infrastructures lourdes comme la pose de câbles sous-marins, l’extension des réseaux en fibres optiques dans les centres urbains ou, à l’échelle continentale (câbles Sat 2 et 3), le câble de fibre optique à haute vitesse (Eastern African Submarine Cable System – Eassy) qui, dès cette année, doit relier les pays de la côte est africaine.

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