Dans l’enfer de Merdj Ouamane

À l’issue d’une bataille de près de trois semaines, l’un des principaux groupes affiliés à al-Qaïda a été neutralisé, début avril, par les forces de sécurité près de Béjaïa. Récit.

Publié le 5 juin 2007 Lecture : 6 minutes.

« Le jour, raconte Mounir, un jeune ouvrier agricole, on n’entendait que le crépitement des kalachnikovs, le vrombissement des bulldozers, les cris des soldats et les vociférations des tangos [combattants islamistes, NDLR]. Le soir, on voyait les hélicos tournoyer dans le ciel avant de lâcher leurs bombes, dans un fracas assourdissant. Nous avons vécu l’enfer, mais aujourd’hui, tout est fini. Il ne reste plus un seul terroriste dans le coin, presque tous les habitants, qui avaient pris le large pour échapper aux fusillades, sont rentrés chez eux. »
Fin mars et début avril, plusieurs milliers de militaires ont ratissé les environs du village de Merdj Ouamane, dans la région d’Oued Amizour, à deux pas de Béjaïa, dans l’est du pays. Ils étaient convaincus que l’ex-Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), aujourd’hui rebaptisé al-Qaïda au Maghreb islamique, y avait installé son QG. Aujourd’hui, au-delà du poulailler de Mounir, c’est, à perte de vue, un spectacle de désolation. La forêt de chênes et les oliveraies ne sont plus qu’un champ de cendres d’où émergent quelques troncs calcinés. Le terrain, naguère escarpé, a été déblayé, nivelé par les pelleteuses. Des casemates qui servaient de refuge aux jihadistes, il ne reste que des amas informes de planches et de boue séchée. Seules restent debout quelques « fortifications » bricolées par les militaires avec des troncs d’arbres et des blocs de béton armé. On a peine à croire que cette paisible bourgade, avec ses anciennes fermes coloniales vouées à la culture des agrumes, de la vigne et de l’olivier, a servi de base de commandement à l’un des plus importants groupes terroristes encore en activité en Algérie. Et pourtant

Des mois durant, au nez et à la barbe des services de sécurité, les maquisards se sont patiemment implantés dans les montagnes d’Oued Amizour, où ils ont fini par installer leur QG. Ils ont creusé la terre, abattu des arbres et construit des abris de fortune assez vastes pour héberger une quarantaine d’hommes. Ils y ont acheminé des armes et des vivres en quantité, établi des lignes de communication. C’est à partir de ce repaire, entre autres, qu’Abou Moussab Abdelwadoud, de son vrai nom Abdelmalek Droukdel, l’émir national de l’ex-GSPC, et ses acolytes planifiaient et exécutaient leurs attaques contre les ?policiers, gendarmes, « patriotes » et gardes communaux.
« Rarement l’armée algérienne aura engagé autant de moyens pour venir à bout d’un groupe terroriste », commente un spécialiste des questions sécuritaires dans un quotidien algérois. Depuis le référendum sur la concorde civile, en septembre 1999, puis la mise en uvre de la politique de réconciliation nationale, tout se passait comme si la lutte antiterroriste n’était plus la priorité numéro un des autorités. Tout a changé depuis le ralliement – fût-il symbolique – du GSPC à al-Qaïda, dont il a très vite adopté les méthodes.
Dirigée par un général de la 5e Région militaire, l’opération de Merdj Ouamane a mobilisé plus de cinq mille hommes, parachutistes (les fameux « Bérets rouges »), policiers, gendarmes et gardes communaux, appuyés par des hélicoptères de combat (d’origine sud-africaine) et des drones de reconnaissance. « Nous avons frappé un grand coup, confie un officier, sous le couvert de l’anonymat. Cette opération nous a redonné le moral, même s’il reste des activistes dans la région. Il nous faut mettre la main sur d’autres repentis qui souhaitent bénéficier de la politique de réconciliation nationale, exploiter les renseignements qu’ils veulent bien nous donner et passer ensuite à l’action. » Bien entendu, une opération antiterroriste réussie commence le plus souvent par un « tuyau » opportunément fourni. Celle de Merdj Ouamane ne fait pas exception à la règle.

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Tout commence par les aveux de deux jihadistes. Le premier est un repenti des maquis de Jijel, un ancien fief de la défunte Armée islamique du salut (AIS). Le second a été capturé les armes à la main, en septembre 2006, dans un quartier de Béjaïa. Très loquaces, les deux hommes fournissent aux enquêteurs une foule d’informations sur la vie dans les maquis, le moral des troupes et l’armement dont elles disposent. Ils leur révèlent surtout l’existence d’une importante base du GSPC dans la région d’Oued Amizour. Un important dispositif de surveillance est mis en place autour de Merdj Ouamane. Des suspects sont bientôt repérés. Ils se déplacent de nuit dans les montagnes boisées des environs, souvent en bicyclette comme s’ils voulaient éviter d’attirer l’attention. Les écoutes téléphoniques confirment la présence de nombreux jihadistes dans la région. Les services de sécurité décident d’intervenir, en ciblant d’abord les réseaux de soutien.
Notre officier raconte : « Avant de nous attaquer au noyau dur du groupe, nous avons entrepris de neutraliser les membres du premier cercle. Parmi eux figuraient des gérants de bars ayant pignon sur rue à Béjaïa. Et même, tenez-vous bien, des hommes connus pour boire comme des trous et fréquenter les putes. Nous soupçonnions depuis longtemps certains patrons de bistrot et même des chefs d’entreprise de verser un impôt révolutionnaire en échange d’une protection. Ceux qui refusent sont kidnappés et libérés contre une forte rançon. »
La première phase de l’opération achevée, l’armée déclenche les hostilités, à la fin du mois de mars. En dépit de l’ampleur des moyens déployés, elle se heurte à une farouche résistance. Djamel est un « patriote », un civil armé par le gouvernement pour participer à la lutte antiterroriste. À ce titre, il a participé à la bataille de Merdj Ouamane. « Aux abords de chaque casemate, dont l’entrée était dissimulée par d’épais branchages, raconte-t-il, les tangos avaient posté deux tireurs chargés, par des tirs sporadiques, de concentrer sur eux le feu des militaires. Parallèlement, ils utilisaient des fusils-mitrailleurs pour tenter d’ouvrir des brèches dans le dispositif que nous avions mis en place. Par petits groupes de quatre ou cinq, ils attaquaient, puis se repliaient dès que l’émir leur en donnait l’ordre. Manifestement, ils ne cherchaient pas à économiser leurs munitions, comme s’ils n’avaient aucun souci de ce côté-là. Parfois, ils balançaient des grenades. Lorsque les hélicoptères entraient en action, les tangos s’avançaient jusqu’à nos avant-postes, pour dissuader les pilotes de larguer des bombes qui auraient pu atteindre du même coup d’autres militaires. Pendant les accrochages, ils nous invectivaient et nous mettaient au défi d’aller les chercher jusque dans leurs casemates. »

Face à cette résistance inattendue, le siège s’éternise. Les combats se déroulant à proximité de plusieurs grands axes routiers, des milliers de badauds, des automobilistes de passage, assistent en direct au « spectacle » – que certains vont jusqu’à filmer avec des caméscopes ou des téléphones portables. Soucieux de limiter leurs pertes, les militaires prennent tout leur temps. D’autant que les sentiers permettant d’accéder au repaire des jihadistes ont tous été minés ou piégés avec des bombes artisanales.
Tout le périmètre est encerclé par l’armée, qui installe de gros projecteurs sur des camions pour éclairer, la nuit venue, la colline. « Même cernés, les tangos n’ont jamais cessé de se battre, se souvient Mourad, un autre patriote. Parfois, on aurait dit qu’ils étaient drogués. À un moment, l’un de leur chef, l’émir Soheib, s’est avancé vers nos lignes, les bras en croix. Bravade, suicide, baroud d’honneur ? Une balle lui a fracassé la tête. Chaque fois qu’un tango était abattu, les paras rampaient jusqu’à son cadavre, lui attachaient les pieds et le tractaient vers l’arrière à l’aide d’un engin de chantier. Même mort, un terroriste peut parler… »
Au total, une trentaine de jihadistes ont été éliminés, parmi lesquels Soheib Abou Abderrahmane, le bras droit d’Abdelhamid Saadaoui, l’émir de la zone II du GSPC. Une grande quantité d’armes ont été récupérées et des documents apparemment importants saisis. Une mine d’informations pour les enquêteurs de l’Antiterroriste.

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