Un sommet pour rien ?

On attendait de la réunion de Niamey qu’elle donne un coup d’accélérateur au processus d’intégration régionale. Peine perdue.

Publié le 4 avril 2005 Lecture : 4 minutes.

Laurent Gbagbo a-t-il des regrets ? Retenu par les funérailles de son père, il n’a pas participé à la 9e réunion ordinaire de la conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), le 30 mars, à Niamey. Représenté par son ministre de l’Économie et des Finances, Paul Antoine Bohoun Bouabré, le président ivoirien a été le grand absent de cette rencontre, à laquelle ont assisté six chefs d’État : Mamadou Tandja (Niger), Mathieu Kérékou (Bénin), Blaise Compaoré (Burkina), Henrique Pereira Rosa (Guinée-Bissau), Amadou Toumani Touré (Mali) et Abdoulaye Wade (Sénégal). La situation étant ce qu’elle est à Lomé, c’est le Premier ministre togolais, Koffi Sama, qui a représenté son pays à Niamey. Les huit pays membres de l’UEMOA étaient donc tous au rendez-vous pour un sommet considéré comme « très important ».
À l’ordre du jour : intégration économique dans la zone franc et réformes institutionnelles de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Deux sujets pas très aguichants, mais les ministres avaient bien préparé leurs dossiers et le contexte régional et international accentuait les enjeux. Outre les répercussions de la crise en Côte d’Ivoire, dont le PIB représente 40 % de celui de la sous-région, les discussions de couloirs, avant l’arrivée des présidents, portaient sur la sécheresse qui sévit dans plusieurs pays, les dégâts provoqués par les criquets en 2004, la flambée du pétrole, la chute des cours du coton, la hausse de l’euro par rapport au dollar et ses conséquences du fait de la parité fixe entre la monnaie européenne et le franc CFA. Sans oublier, bien sûr, le mouvement social au Niger, qui traduit le décalage entre les politiques menées par les gouvernements sur recommandation des institutions de Bretton Woods et les attentes de populations confrontées à une baisse de leur pouvoir d’achat. Bref, les motifs d’inquiétude n’ont pas manqué, et la conférence de Niamey était censée apporter quelques raisons d’espérer, d’autant que l’UEMOA affiche une croissance de 3 % seulement pour 2004, un chiffre nettement inférieur aux prévisions et aux 7 % nécessaires pour atteindre les Objectifs du millénaire et réduire de moitié la pauvreté d’ici à 2015 ; 45 % des 76 millions d’habitants de la zone UEMOA vivent en effet avec moins de 1 dollar par jour.
Dans son discours d’ouverture, le président Mamadou Tandja n’a pas masqué cette réalité, demandant que l’on donne une nouvelle impulsion au processus d’intégration régionale visant, à terme, à créer un marché commun et une union douanière. Pour ce faire, les pays ont conclu, le 1er janvier 2000, un « pacte de convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité » pour assainir les finances publiques et diminuer la dette extérieure, estimée à 14 191 milliards de F CFA, soit plus de 60 % du PIB régional. Définis sur le modèle européen, les critères de convergence sont destinés à limiter les déficits budgétaires, maîtriser l’inflation et porter la pression fiscale à 17 % du PIB. À ce jour, alors que le calendrier initial fixe l’échéance à décembre 2005, seul le Sénégal fait figure de bon élève, suivi du Mali, du Bénin et du Burkina. Arrivent ensuite le Niger, talonné par la Côte d’Ivoire, le Togo et la Guinée-Bissau, tous trois « en difficulté », selon Frédéric A. Korsaga, commissaire chargé des politiques économiques au sein de l’UEMOA, qui note la corrélation évidente entre les indicateurs économiques et la situation politique. Autre initiative lancée par l’organisation : le Programme économique régional 2004-2008 (PER), chiffré à plus de 850 milliards de F CFA, pour financer les investissements dans les infrastructures, améliorer la compétitivité du secteur privé et promouvoir le développement humain.
« Toutes ces décisions vont dans le bon sens, selon Frédéric Korsaga, encore faut-il une réelle volonté politique, car les difficultés sont devant nous avec la mise en oeuvre de ces mesures annoncées. » Le financement du PER pose toujours problème, la levée des barrières douanières coince, la libre circulation des personnes reste un objectif, mais la mise en place du visa communautaire tarde, et « les tracasseries aux frontières perdurent », selon Blaise Compaoré.
Autre gros dossier : la réforme de la BCEAO, avec notamment la création, clairement annoncée dans un projet de déclaration finale, d’un comité de politique monétaire, destiné à assurer l’indépendance de la Banque par rapport aux pouvoirs politiques. Après quatre heures de huis clos, il n’en a plus été question, les chefs d’État réclamant avant toute réforme « un audit institutionnel » de la BCEAO, d’ici trois à quatre mois. Une façon de repousser l’échéance… et de masquer quelques désaccords, alors que le gouverneur de la BCEAO, Charles Konan Banny, arrivera au terme de son mandat en décembre 2005. Interrogé avant le sommet, le président Abdoulaye Wade jugeait la politique de la BCEAO « trop restrictive » et demandait une baisse des taux directeurs pour lâcher du lest et donner du souffle à l’économie ouest-africaine. « On ne donne pas assez de crédits », a-t-il martelé plus tard, devant la nuée de micros qui l’attendaient au sortir du huis clos, avant d’ajouter que les réserves en devises de la BCEAO correspondaient à 117 % de la circulation monétaire dans la zone franc. Selon le président sénégalais, le franc CFA est donc suffisamment solide pour rejeter toute idée de dévaluation et baisser les taux sans risquer d’affaiblir la monnaie.
À n’en pas douter, la politique monétaire fait l’objet d’âpres discussions. En attendant de trouver un accord, les chefs d’État ont entériné la création d’une banque régionale de solidarité destinée aux microcrédits. Et reconduit Mamadou Tandja à la présidence de l’UEMOA, après deux mandats successifs. Un bilan bien maigre pour un sommet qui avait pour ambition de donner des signes encourageants afin de doper la croissance et d’augmenter les échanges intracommunautaires. Laurent Gbagbo n’a donc aucun regret.

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