Sans panache…

Publié le 4 avril 2005 Lecture : 4 minutes.

Paul Wolfowitz est donc, depuis le jeudi 31 mars, de par la seule volonté de George W. Bush, président en titre de la Banque mondiale.
Les Européens, qui ne voulaient pas de lui, auraient pu, très poliment, demander à Washington de présenter un autre candidat. Il leur suffisait de se prévaloir de la jurisprudence créée par l’Amérique de Bill Clinton lorsqu’elle a récusé, il y a tout juste cinq ans, un candidat européen à la direction générale du FMI (et demandé que les Européens en présentent un autre plus en harmonie avec le poste).
Les Européens auraient pu, mais ils n’en ont pas eu le courage, et n’étaient, sur le sujet, ni unis ni désintéressés.
Voici l’histoire, peu connue, du comportement de leurs dirigeants dans cette affaire. C’est très médiocre et, vous verrez, de nature à justifier le peu de cas que l’on fait à Washington de « la vieille Europe ».

1. Nous avons écrit que George W. Bush n’a pas consulté, ni même informé, ses « alliés » européens, sauf quelques-uns, juste avant de rendre public, le 16 mars, le nom de Paul Wolfowitz comme son candidat à la présidence de la Banque mondiale.
Il s’avère que Condoleezza Rice, lors de son passage à Londres fin février, a informé et consulté – en tête à tête – Tony Blair, qui lui a promis son soutien… et son silence.
Il n’en a donc pipé mot à qui que ce soit : ni à son ministre des Finances et alter ego, ni à son ministre des Affaires étrangères, ni à son ministre du Développement – ni à aucun de ses homologues européens !
Secret total pendant plus de quinze jours, et lorsque, le 16 mars, l’Amérique a rendu public le nom de son candidat, Tony Blair s’est empressé de donner son accord, rendant ainsi impossible tout « front du refus » européen.
On est complice ou on ne l’est pas.

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2. Cela pour Tony Blair, dont on savait qu’il était un inconditionnel de George W. Bush. Mais les autres Européens se sont-ils mieux comportés ? Vous allez voir que non.
Ayant courageusement renoncé à s’opposer à Paul Wolfowitz, ils ont, sans conviction, le 30 mars, au cours d’une rencontre à Bruxelles, tenté de l’obliger à déléguer une partie de ses pouvoirs à un vice-président… européen. Généreux, Jacques Chirac lui a donné à choisir entre deux banquiers français, Jean-Pierre Jouyet et Jean-Pierre Landau.
Manoeuvre sans panache qui a permis à Paul Wolfowitz de se montrer plus multilatéraliste que ceux qui lui reprochaient de ne pas l’être assez, de se donner le beau rôle tout en les « envoyant paître ». « J’ai l’intention de rechercher dans le monde entier les meilleurs talents pour doter la Banque d’une haute direction véritablement multinationale », leur a-t-il répondu.

3. Que Jacques Chirac et ceux des Européens qu’il a entraînés se ridiculisent est leur affaire et celle de leurs citoyens-électeurs.
Mais qu’ils ne tentent plus de nous faire croire qu’ils sont d’authentiques défenseurs d’un monde multipolaire, les promoteurs d’une aide au développement plus généreuse et de relations entre le Nord et le Sud plus équilibrées.
En un éditorial indigné, le Financial Times a qualifié d’insulte européenne (au Tiers Monde) cette minable tentative de partage du pouvoir à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international entre Américains et Européens :
« Ces multilatéralistes tant vantés que sont les Européens n’ont jamais eu le moindre scrupule à exercer leurs droits féodaux dans les institutions internationales. On n’est donc guère surpris d’apprendre la proposition qu’ils ont faite aux États-Unis après l’attribution de la présidence de la Banque mondiale à Paul Wolfowitz : un Européen approprié – qui, ce n’est pas non plus une surprise, serait un Français – à la vice-présidence. […]
Ce que les Européens ont proposé est un pur et simple partage des postes clés des institutions de Bretton Woods : un Européen directeur général et un Américain directeur général adjoint au FMI, un Américain président et un Européen vice-président à la Banque mondiale.
Dans la foulée, ils déplaceraient l’actuel numéro deux de la Banque, le très respecté Chinois Sheng-man Zhang. Ainsi, même un citoyen du plus important pays en développement du monde, qui connaît a fortiori la plus grande réussite économique, est jugé indigne d’être le commandant en second de la principale institution chargée du développement dans le monde. »

Je reviens à Paul Wolfowitz, dont je pense que c’est un homme sensible, intelligent et cultivé. Le guerrier destructeur de ces trois dernières années est tout à fait capable de se muer en bon banquier du développement et, une fois de plus, la fonction aura transformé son homme…
Ce n’est donc pas sa personne qui nous a fait réagir si négativement à sa nomination. Mais le fait qu’un monsieur qui ne nous inspire aucune confiance, que notre sort n’intéresse pas, l’ait sorti de son chapeau après avoir décidé – seul – que c’était l’homme qu’il nous fallait.

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