Quand « Nollywood » s’affiche à Milan

Grâce à la vidéo, le Nigeria est devenu le premier producteur de films au monde. Un choc pour les cinéastes réunis dans la ville italienne du 14 au 21 mars.

Publié le 4 avril 2005 Lecture : 5 minutes.

Miracle à Milan est le titre d’un des films les plus connus du néoréalisme italien de l’après-guerre. Mais, cette année, le véritable « miracle », pour les cinéastes africains francophones, a été d’apprendre, en cette ville prédestinée, que leur continent détenait le record mondial de la production de films ! Et cela, loin devant le continent nord-américain et le sous-continent indien !
Lors du Festival du cinéma africain qui, du 14 au 21 mars, fêtait sa quinzième édition, une rétrospective a été consacrée à la vidéoproduction, de plus en plus prolifique, de films populaires tournés avec de tout petits budgets, essentiellement au Nigeria. Surnommée « Nollywood », cette industrie connaît un tel succès qu’elle atteint aujourd’hui le chiffre de 1 000 à 1 200 films produits annuellement (contre 800 pour « Bollywood », la production de Bombay, en Inde). Des films tournés à bon marché où coexistent tous les genres : le film d’action à l’américaine, la comédie ou l’évocation de croyances magiques populaires, avec une préférence pour le mélodrame familial – le moins coûteux à réaliser. Leurs protagonistes sont sujets à d’extraordinaires persécutions, à d’invraisemblables coups du sort ou à de gigantesques catastrophes, avec un thème récurrent : la stérilité de la femme. Dans le cinéma du Sud chrétien, c’est souvent un pasteur qui offre un soutien et exorcise les démons qu’affronte le héros ou l’héroïne. Dans le Nord haoussa et musulman, c’est un imam qui servira de guide spirituel.
À Milan ont été découverts plusieurs films parmi les plus représentatifs : à commencer par Living in Bondage (« Vivre en esclavage »), de Kenneth Nnebué, un immense succès qui a déclenché en 1992 le boom de l’industrie vidéo au Nigeria. Son sujet ? Un des thèmes dominants de Nollywood : la prospérité de l’élite bourgeoise de Lagos serait liée à des pratiques occultes et surtout à des rituels comprenant des sacrifices humains, combattus par l’exorcisme chrétien. Également présentées à Milan, les épopées traditionnelles font appel à un passé mythique où abondent forces surnaturelles et sortilèges, tel Igodo, Land of the Living Dead, de Don Pedro Obaseki et Andy Amenechi. Malgré la faiblesse de ses moyens (et un côté « kitsch » inhérent à la majorité de la production nigériane !), ce film dégage une magie naïve et populaire qui rejoint, par moments, celle du célèbre Yeelen du Malien Souleymane Cissé. Car, dans l’ensemble d’une production très médiocre, commencent à pointer quelques talents, comme celui de Tunde Kelani qui réussit, dans Saworoide, une allégorie politique où le spectateur reconnaît sans peine l’ex-dictateur sanguinaire Sani Abacha et l’actuel président Olusegun Obasanjo.
Aujourd’hui, paradoxalement, Nollywood considère la piraterie vidéo comme le fléau numéro un, alors que c’est elle qui lui a donné naissance : toute sa diffusion repose sur une infrastructure créée pour pirater les films américains, indiens et chinois de Hong Kong. Cela explique le coût très bas imposé aux productions : on tourne très vite et pas cher, en une semaine, puis on vend un maximum de copies originales en deux semaines, avant que n’arrivent les copies pirates, et on s’empresse d’entamer un autre film. Car aucun droit d’auteur n’est respecté : les diffuseurs « officiels » reproduisent beaucoup plus que prévu, les pirates à leur tour dupliquent et vendent sans contrôle, les chaînes de télévision retransmettent sans acquitter de droits, et les exportateurs revendent les films sans autorisation.
À la suite de Nollywood, des industries vidéo ont prospéré au Ghana et au Kenya. Quelques spécimens de cette production étaient également présentés à Milan, démontrant que, dans ce dernier pays, les films vidéo n’ont malheureusement plus de relation avec les cultures et les croyances populaires africaines, mais se contentent de copier les comédies sentimentales d’Hollywood.
L’électrochoc provoqué par la révélation des vidéo-films anglophones n’a pas empêché les cinéastes francophones de faire bonne figure à Milan : notamment par la confirmation de la bonne santé du cinéma burkinabè (avec les longs-métrages Ouaga Saga, de Dany Kouyaté, et La Nuit de la vérité, de Fanta Regina Necro). Et la confirmation de l’irrésistible avancée du cinéma marocain, avec de vraies réussites, comme les longs-métrages L’Enfant endormi, de Yasmine Kassari, et Le Grand Voyage, d’Ismaël Ferroukhi. Le cinéma tunisien, autrefois à l’avant-garde du Maghreb, semble stagner : il n’a présenté qu’un documentaire, Sur les traces de l’oubli, de Raja Amari, et un court-métrage, Visa, d’Ibrahim Letaïef (Tanit d’or des dernières journées cinématographiques de Carthage) – tous deux, il est vrai, de bonne facture. Malgré un cinéma encore sinistré, l’Algérie a brillé avec Al Manara, de Belkacem Hadjadj, un film consacré à la guerre civile, qui a remporté le prix parallèle Cité de Venise.
Côté palmarès officiel, le septième art africain a fini par pâtir, comme on pouvait s’y attendre, de la récente ouverture de la compétition à l’Asie et à l’Amérique latine. Présidé par le Nigérian Wole Soyinka, Prix Nobel de littérature, le jury a décerné le Grand Prix à un film du Kazakhstan, Le Chasseur, de Serik Aprymov, et le deuxième prix à Whisky, de l’Uruguayen Juan Pablo Rebelio, l’Afrique n’arrivant qu’en troisième position avec L’Enfant endormi, mais se rattrapant avec le meilleur court-métrage de fiction, Le Jour de la mère, de Tsitsi Dangaremba (Zimbabwe), et les meilleurs documentaires, Alit deuxième Paris, d’Idryssou Mora Kpai (Bénin-Niger), et Brown, de Kali Van Der Merwe (Afrique du Sud).
À l’issue de la table ronde consacrée au boom de la vidéo populaire anglophone, où les tenants francophones d’un cinéma africain de qualité n’ont pas manqué de faire entendre leur différence, on ne pouvait qu’admirer la maîtrise du doyen sénégalais Sembène Ousmane, l’un des rares cinéastes qui aient réussi à concilier cinéma militant et cinéma populaire. Son dernier film, le remarquable Moolaadé, avait ouvert le festival. Révolté par le fait que le public africain soit condamné à n’être que le consommateur passif des images des autres, n’avait-il pas déclaré : « Navets pour navets, je préfère encore que ces navets soient africains. » Message reçu cinq sur cinq, et qui a donné naissance à… Nollywood.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires