Meurtrière pudibonderie

L’administration américaine entend soumettre son aide financière dans la lutte contre le VIH à des normes morales.

Publié le 4 avril 2005 Lecture : 3 minutes.

Le sexe tue partout, et particulièrement en Afrique. Mais la pudibonderie s’avère tout aussi mortelle. Dans son programme de lutte contre le sida, George W. Bush insiste sur l’abstinence et la fidélité, reléguant au troisième rang l’utilisation hypothétique de préservatifs. Cette solution bien-pensante, tout droit sortie des officines religieuses de la Maison Blanche, a des conséquences meurtrières sur le sol africain.
En Afrique, le mariage tue les jeunes femmes tout autant que la promiscuité. Kero Sibanda habite un village zimbabwéen. Son mari travaillait dans une ville lointaine, et elle le soupçonne d’y avoir côtoyé une autre femme, même s’il revenait la voir tous les deux mois. « Je lui demandais de mettre un préservatif, m’explique-t-elle. Mais il refusait. Je ne pouvais rien y faire. » Le mari de Sibanda est mort il y a deux ans. Apparemment du sida. Aujourd’hui, son épouse craint d’avoir été contaminée et d’avoir transmis le VIH à leur jolie petite fille de deux ans, Amanda.
Encourager l’utilisation générale de préservatifs masculins et féminins peut permettre d’éviter de telles tragédies. C’est contre le mépris sciemment entretenu à l’endroit de ce malheureux bout de latex qu’il faut se battre (un proverbe local dit : « Qui voudrait manger un bonbon avec son emballage ? »). Un marketing bien ciblé peut y parvenir. On l’a constaté partout : les campagnes de lutte contre le sida centrées sur l’utilisation du préservatif ont porté leurs fruits, de la Thaïlande à l’Ouganda en passant par le Cambodge ou le Sénégal. Finalement, les préservatifs n’incitent pas plus au sexe que les parapluies ne provoquent la pluie.
Le triptyque fondamental pour contrer la pandémie est universellement reconnu : abstinence, fidélité, préservatif. Mais l’administration Bush préfère la dualité et a tendance à mettre de côté le troisième élément. Les lignes directrices des nouveaux programmes financés par le gouvernement américain à destination des jeunes le stipulent clairement : ils doivent pratiquer l’abstinence ou, pour les adeptes de la liberté sexuelle, y revenir. À Livingstone, en Zambie, j’ai visité « Couloirs de l’espoir », une organisation américaine qui réussit bien son travail de prévention auprès des prostituées et des camionneurs. Mavis Sitwala, orpheline et prostituée, doit nourrir ses cinq frères et soeurs et son enfant. Elle explique que les camionneurs paient 1 dollar la passe avec préservatif, contre 4 dollars sans. « Il y a des jours où vous avez besoin d’argent pour la nourriture et le loyer. Donc on n’a pas le choix. »
Demander à Sitwala de pratiquer l’abstinence est une solution qui a peu de chances d’aboutir. Mais encourager l’utilisation de préservatifs peut sauver sa vie, tout comme celles de ses clients et de leurs femmes. De fait, les programmes américains reconnaissent qu’il faut inciter les prostituées à se protéger – mais se gardent bien d’étendre cette recommandation à la population entière. En ce moment, les priorités de l’administration Bush évoluent. Mais le Centre américain pour la santé et l’égalité des sexes souligne que, dans plusieurs pays déjà, les États-Unis ont retiré leur financement aux programmes qui insistent sur l’utilisation des préservatifs.
L’ironie de l’Histoire, c’est que le plan de Bush pour enrayer la pandémie en Afrique – financièrement plus ambitieux que ceux des gouvernements précédents – pourrait rester dans l’Histoire, puisqu’il lutte contre l’un des fléaux les plus mortels de notre temps. Selon le taux de prévalence actuel au Zimbabwe, 85 % des jeunes de 15 ans mourront un jour du sida.
Je souhaite profondément que Bush se débarrasse des idéologues et écoute les conseils de vrais experts, à l’instar de la jeune Loveness Sibanda. Elle aussi habite au Zimbabwe. Elle a 26 ans, et son mari travaille à Bulawayo, la deuxième ville du pays, où elle a entendu dire qu’il voyait une autre femme. Il revient régulièrement et demande à coucher avec elle sans préservatif. Aujourd’hui, elle redoute ses visites. La Maison Blanche estime sans doute qu’elle a le droit et le devoir de prêcher la fidélité, de manière totalement déplacée, à des femmes comme Sibanda et de pontifier sur la vertu en prônant une pruderie idéologique qui risque de condamner à mort des millions d’autres Sibanda. Hypocrites !

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