L’ONU au pilori

Après avoir été épinglés pour abus sexuels, les Casques bleus sont aujourd’hui accusés de passivité face aux exactions commises sur les civils.

Publié le 4 avril 2005 Lecture : 3 minutes.

De toutes celles que les Nations unies ont déployées à travers le monde, la Monuc (Mission des Nations unies en République démocratique du Congo) est certainement la plus ambitieuse. Avec un budget annuel de près de 1 milliard de dollars et un effectif de plus de 16 500 Casques bleus, le corps expéditionnaire onusien dispose de moyens énormes pour s’acquitter d’une mission qui l’est tout autant : pacifier un territoire d’une superficie de 2,3 millions de km2, sur lequel coexistent plus de 250 ethnies différentes et s’affrontent de multiples groupes armés.
Mais comme hier sur d’autres théâtres d’opérations, notamment dans les Balkans ou en Sierra Leone, des Casques bleus déployés dans l’ex-Zaïre sont accusés depuis quelques mois d’abus sexuels sur mineures (40 % de la centaine de cas rapportés, qu’il s’agisse de viols ou de prostitution). Un scandale qui a largement dépassé les frontières congolaises, pour rebondir à New York le 24 mars. Ce jour-là, Kofi Annan a remis à l’Assemblée générale une série de recommandations issues d’un rapport rédigé par l’ambassadeur de Jordanie à l’ONU, le prince Zeid Ra’ad Zeid al-Hussein, pour tenter de mettre fin à l’exploitation sexuelle des populations locales par les personnels de la Monuc.
Chargé par le secrétaire général d’étudier cette question explosive, le diplomate jordanien propose d’appliquer à toutes les catégories de personnels des missions de paix de l’ONU – soldats, personnels civils et de police – les règles de l’Organisation édictées en 2003 prohibant tout contact sexuel avec les populations locales. Le document réclame par ailleurs un effort particulier pour sensibiliser les Casques bleus à leurs devoirs.
Autre recommandation, qui va au-delà de la simple prévention : la mise sur pied d’unités d’experts chargés d’enquêter sur les accusations d’abus sexuels dont pourraient faire l’objet les personnels en mission. Basées à proximité des zones d’activité, elles devraient être composées de spécialistes des crimes sexuels et disposer de moyens modernes d’investigation. Zeid al-Hussein invite d’ailleurs les pays fournissant des troupes à traduire en justice les éléments accusés de crimes sexuels. Un civil français des services de logistique de la Monuc a déjà été remis à la justice de son pays. Mis en examen pour pédophilie, il a été incarcéré à Fleury-Mérogis et risque une peine de vingt ans de prison.
Enfin, le rapport prône l’application de sanctions financières contre les coupables pour alimenter un fonds d’indemnisation des victimes et prendre en charge les enfants nés de liaisons forcées. Et prévoit des mesures pour rendre les conditions de vie des personnels moins austères, grâce notamment à l’accès gratuit à Internet et à l’installation de lignes téléphoniques subventionnées « de façon à faciliter les contacts avec la famille et les amis », et à rompre leur isolement.
En abordant le sujet en Assemblée générale, Kofi Annan veut résolument mettre un terme aux agissements criminels de certains Casques bleus. Mais outre les problèmes de moeurs impliquant quelques-uns de ses membres, la Monuc continue de susciter des commentaires autrement désobligeants. Ainsi de ce rapport interne qui circule sous le manteau depuis la mi-mars. Il dénonce pêle-mêle les dysfonctionnements dans la chaîne de commandement et l’attentisme des troupes, accuse directement les Casques bleus d’avoir échoué dans leur mission de protection de la population congolaise : « L’échec des forces de l’ONU pendant la crise [de Bukavu, dans le Sud-Kivu] a entaché la mission d’impuissance et de lâcheté », peut-on y lire.
Depuis son déploiement en 1999, la Monuc s’est vu de manière récurrente reprocher son impuissance, comme à Kisangani, puis à Bunia, où elle a assisté à des massacres sans bouger. Même attitude à Bukavu en juin 2004, lorsqu’un groupe de soldats dissidents dirigés par le général Laurent Nkunda a pris le contrôle du chef-lieu du Sud-Kivu. Les 800 Casques bleus présents ne se sont pas interposés, malgré l’assassinat d’un grand nombre de civils.
Pour les uns, les troupes de la Monuc sont alors restées dans les limites strictes de leur mandat. Pour les autres, elles auraient dû appliquer les dispositions du chapitre vii de la Charte de l’ONU, qui autorisent le recours à la force pour se défendre ou pour protéger la population civile. « À elles de prouver qu’elles ne sont pas là que pour compter les points entre belligérants, conclut un diplomate en poste à Kinshasa. Il y va de leur crédibilité. »

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