Les tribulations d’un Libyen en Algérie

Après le Sommet de la Ligue arabe, le « Guide » a prolongé son séjour à Alger de quelques jours. On a beau être averti, il réussit toujours à surprendre.

Publié le 4 avril 2005 Lecture : 3 minutes.

Les Algériens avaient été prévenus. Le « Guide » de la Jamahiriya, Mouammar Kadhafi, assisterait bien au Sommet de la Ligue arabe, les 22 et 23 mars. « Cependant, précisait le 20 mars Mohamed Gueddaf Eddam, cousin et émissaire du colonel auprès d’Abdelaziz Bouteflika, le frère « Guide » souhaiterait prolonger son séjour dans votre pays. Il a l’intention de mieux appréhender l’expérience algérienne. »
Ce n’était pas une première. Ni en Algérie ni ailleurs en Afrique. Kadhafi a, par le passé, prolongé des visites officielles, sans en avertir le protocole, imposant le maintien d’un dispositif de sécurité et provoquant un chamboulement dans l’activité institutionnelle. C’est donc en sachant tout cela que le président algérien donne son accord. Gueddaf Eddam tente alors d’organiser l’agenda du séjour algérois de Kadhafi : discours devant les deux Chambres du Parlement, rencontres avec les partis politiques, avec le mouvement associatif féminin, et visite à l’Académie interarmes de Cherchell (le Saint-Cyr local) ainsi qu’à la division maintenance de l’Armée nationale populaire (ANP), véritable fleuron de l’industrie militaire, située à Béni Merad, dans la banlieue de Blida.
On a beau être averti, Kadhafi réussit toujours à surprendre. Aux partis politiques, il demande de se fondre tous au sein du Front de libération nationale (FLN, ex-parti unique) qui a « fait ses preuves ». De toute manière, prédit-il, la notion d’État-nation est révolue, l’avenir appartient aux grands espaces géopolitiques dans lesquels les élections seront superflues. Boudant ostensiblement les islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas, pourtant membre de l’alliance présidentielle), Kadhafi a été lui-même boycotté par les trotskistes du Parti des travailleurs (PT de Louisa Hanoune, une vingtaine de députés). Pas question de se déplacer pour des inepties, a-t-on laissé entendre dans l’entourage de Louisa Hanoune. D’autant plus que la classe politique algérienne a encore en mémoire la fameuse sortie de Kadhafi durant une visite à Alger, dans les années 1980, quand il déclarait devant les élus du peuple : « La Révolution algérienne est une montagne qui a accouché d’une souris. »
Les leçons du « Guide » ont déclenché tour à tour hilarité et désapprobation, mais Kadhafi a été quelque peu déçu par le manque de réactivité de ses auditoires. Ses provocations n’ont provoqué que peu de débats. Voire pas du tout. Même quand il a envoyé aux Algériens : « Au lieu de vous préparer à signer un traité d’amitié avec la France, vous devriez exiger des indemnités pour tout ce que vous avez enduré. » Il faut dire qu’en matière d’indemnisations, Kadhafi en connaît un rayon. Autre exemple : « Si le peuple aime Bouteflika, pourquoi la Constitution devrait l’empêcher de se représenter ? » Quand il a prononcé cette phrase, un ange a durablement volé dans la salle.
Outre les écarts diplomatiques dont il a l’habitude, avec cette fois-ci des attaques en règle contre l’Arabie saoudite, mettant dans l’embarras la diplomatie algérienne, Kadhafi s’est distingué en bousculant l’agenda officiel. Bouteflika a dû renoncer à inaugurer, comme prévu, la Conférence sur les réformes de la justice. Il se rattrapera en prononçant un discours pour la clôture des travaux, après le départ du « Guide ». Le Parlement a été contraint de reporter de vingt-quatre heures le débat sur deux projets de loi. Les membres du Conseil national du FLN, réunis le 27 mars, ont dû interrompre leurs travaux pour se rendre sous la tente du « Guide », dressée aux abords du Sheraton, à une trentaine de kilomètres du lieu de leur réunion.
Le 29 mars, après neuf jours passés dans la capitale algérienne, Kadhafi a, enfin, consenti à reprendre son avion, au grand soulagement de ses hôtes. Il n’est pas reparti les mains vides. En plus des présents offerts, ici et là, Kadhafi peut désormais orner sa tente d’un diplôme honoris causa décerné par l’Université d’Alger. Le recteur a affirmé, sans rire, que ce geste était destiné à sanctionner « l’apport du « Guide » à l’humanité »…

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