La méthode Cellou Dalein Diallo

En quatre mois, le Premier ministre a obtenu du chef de l’État, jusqu’ici fermé à tout dialogue avec l’opposition ou les bailleurs de fonds, des concessions qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait pu lui arracher.

Publié le 4 avril 2005 Lecture : 6 minutes.

Beaucoup d’observateurs lui prédisaient un rôle purement protocolaire, à l’image du très lisse Lamine Sidimé, à la tête du gouvernement de mars 1999 à février 2004. Mais Cellou Dalein Diallo, Premier ministre de Guinée depuis le 9 décembre 2004, est en passe de déjouer ce pronostic. En cent vingt jours à la primature, il a « arraché » au président Lansana Conté des concessions certes mineures, mais que ses prédécesseurs se sont échinés à obtenir, en vain. Mesures d’assainissement économique, dialogue avec l’opposition, reprise des contacts interrompus de longue date avec les bailleurs de fonds… Cellou Dalein Diallo a simultanément ouvert divers fronts dans un pays mal en point, où tout ou presque relève de l’urgence. Dès son entrée en fonction, il annonce la suppression de la procédure de gré à gré dans l’attribution des marchés publics : « Désormais, nous utiliserons des appels d’offres pour toutes nos commandes, afin de rétablir la transparence dans la passation des marchés publics et l’équité entre les opérateurs économiques. Nous voulons préserver l’administration de toute suspicion qu’un régime de discrimination peut alimenter. » Il obtient (tout le monde se demande comment) l’accord de Conté pour casser le monopole détenu par la Société guinéenne d’exportation des produits agricoles et miniers (Sogepam), dirigée par l’homme d’affaires Elhadji Mamadou Sylla, un fidèle parmi les fidèles du chef de l’État. Puis il s’attaque à la branche locale de la Société générale de surveillance (SGS), une multinationale spécialisée dans la sécurisation des recettes douanières, dont il refuse de renouveler le contrat avec l’État, arrivé à expiration le 31 décembre 2004.
Pour mobiliser les recettes, il se tourne vers les administrations financières, effectue des visites remarquées à la direction nationale des douanes, puis à celle des impôts, fixe des objectifs mensuels sur la base desquels les responsables de ces deux structures devront être évalués : 65 milliards de francs guinéens (FG), soit un peu plus de 11 milliards de F CFA pour la première ; 27 milliards de FG pour la seconde.
Fruits de ces premiers signaux forts à l’intention des partenaires extérieurs : un premier séjour à Conakry du vice-président de la Banque mondiale, Shengman Zhang, suivi de celui d’une délégation de l’Union européenne (UE) conduite par le Suédois Hans Dahlgren. Les 14 et 15 mars, cette dernière mission a pris acte des engagements du Premier ministre pour arrêter deux importantes décisions : le déblocage, après des années de gel de la coopération, d’une enveloppe de 100 millions d’euros destinés à financer des projets sociaux, et la prise en charge par l’Europe du coût de la construction de deux routes, l’une reliant le pays à la Guinée-Bissau, l’autre au Sénégal. Autant de gestes de l’UE qui sont comme un encouragement aux efforts déployés pour décrisper le climat politique. Dès le 6 janvier, le Premier ministre a en effet rencontré les leaders de l’opposition, à commencer par les plus importants réunis au sein du Front républicain pour l’alternance démocratique (Frad). Il s’est engagé à garantir leur sécurité, a plaidé pour la reprise d’un dialogue politique ouvert à tous et annoncé la création d’une commission chargée de mettre en oeuvre la libéralisation des ondes…
Comme pour mieux rassurer, il obtient le départ de « l’expert en complots » de son gouvernement. Le 8 mars est limogé le ministre de la Sécurité, Moussa Sampil, celui-là même qui a fait détenir les opposants Sidya Touré puis Antoine Soromou sous la fallacieuse accusation de « tentative de déstabilisation du régime ».
Le secret de ce qu’on pourrait appeler la méthode Cellou Dalein Diallo tient à sa capacité à surfer pour arriver à ses fins. Et les circonstances ne l’ont pas desservi : « Après le choc du départ de François Lonsény Fall de la primature, assure un membre de l’entourage de Conté, les  »émeutes de la faim » d’août 2004 ont convaincu le chef de l’État que le pays dérapait et qu’il fallait agir. C’est ce qui l’a contraint à nommer un nouveau Premier ministre et à le laisser faire pour tenter d’endiguer une dérive de plus en plus dangereuse pour son régime. »
De fait, Conté est quelque peu groggy, quand, fin avril 2004, Fall profite d’une mission pour annoncer, à Paris, sa démission du poste de Premier ministre auquel il a été nommé deux mois plus tôt. À l’appui de sa décision, il évoque alors la fermeture totale de Conté aux mesures urgentes d’assainissement (notamment celles touchant aux privilèges des businessmen proches du palais) et au dialogue tant avec l’opposition qu’avec les partenaires étrangers. À en croire plus d’un membre de son entourage, cet événement a éveillé chez le chef de l’État la nécessité de lâcher un peu de lest. D’autant que, de l’avis même de Cellou Dalein Diallo au moment de prendre fonction, le contexte était « catastrophique », marqué par « une crise économique et politique sans précédent ». Une inflation en croissance exponentielle, qui a atteint 28 % fin 2004, a causé des émeutes en août, quand la population a attaqué et pillé les camions de riz, l’aliment de base dont le prix a atteint des niveaux insupportables.
Ce n’est pas tout : le Premier ministre doit également sa relative marge de manoeuvre à sa capacité à dialoguer avec Conté. « Cellou sait parler à un chef », martèle à l’envi le président guinéen à ses proches. Ministre dans tous les gouvernements successifs depuis 1996, cacique du parti présidentiel dont il est le ténor en Moyenne-Guinée, ce Peul réservé à la courtoisie atavique, intelligent, aborde le chef de l’État avec respect, le vouvoie, ne s’assoit que quand on l’y invite. De sa voix faible et rassurante, il ne porte jamais la contradiction au chef. Même s’il ne partage pas les vues du président, il les approuve d’abord, avant de revenir à la charge par des explications et amener ce dernier, quasiment anesthésié, à changer d’avis. La méthode a fait ses preuves dans le dossier de la Sogepam. À la différence de François Lonsény Fall, qui s’est frontalement attaqué à ce mastodonte, pour se voir rabrouer devant Elhadji Mamadou Sylla, son successeur au poste de Premier ministre a usé de douceur pour arriver au résultat escompté.
Il serait toutefois prématuré d’en déduire que la Guinée vient d’avoir un Premier ministre en mesure d’agir sur le quotidien de ses compatriotes. Lesquels vivent trop dans l’urgence pour se satisfaire d’effets d’annonce. Ils entendent juger sur pièces. Dans son discours d’orientation prononcé le 8 février devant l’Assemblée nationale, Cellou Dalein Diallo s’est engagé à mettre en oeuvre des « mesures d’urgence » pour relever « quatre grands défis : rétablir les équilibres macroéconomiques ; améliorer la performance des services publics chargés de la fourniture de l’eau, de l’électricité et du téléphone ; lutter contre le VIH-sida ; améliorer la qualité de la gouvernance et lutter contre la corruption ». Ces chantiers ambitieux tardent à trouver un début de réalisation. Les syndicats, qui ont accepté une trêve sociale pour l’accompagner, pourraient commencer à s’impatienter. Et la population à glisser peu à peu dans la désillusion.
Mais la plus grave menace pour le Premier ministre s’appelle peut-être Elhadji Mamadou Sylla. Les deux hommes, qui se vouent une sourde inimitié, croisent le fer par journaux interposés depuis plusieurs semaines. En cause : 22 millions de dollars qui auraient été indûment pris à la Banque centrale par l’homme d’affaires. La querelle, portée par certains sur le terrain ethnique, tarde à être tranchée par le chef de l’État. Doté des pouvoirs que confèrent l’argent et la proximité avec le chef de l’État, Sylla est en outre à la tête de l’Udibag, un groupe de pression qui réunit tous ceux qui comptent dans le pays soussou – celui de Conté. Aura-t-il le dernier mot sur le Premier ministre ? Perdra-t-il le duel pour tomber de son piédestal ?
Entre la guérilla qui l’oppose à l’homme le plus riche du pays, les coups bas dans son propre camp politique, les difficultés économiques et la lassitude de la population, le plus dur est à venir pour Cellou Dalein Diallo. Continuera-t-il à jouir d’une certaine marge de manoeuvre ? Lansana Conté le laissera-t-il libre de donner toute sa mesure ?

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires