La déchirure

Les Marocains se disent : les Algériens ne sont pas comme nous. Et ils vont jusqu’à les assimiler aux Français.Les Algériens, eux, ne supportent pas chez les Marocains le baisemain protocolaire. Ils le jugent ridicule et dégradant.

Publié le 5 avril 2005 Lecture : 3 minutes.

A l’image de cette accolade entre Abdelaziz Bouteflika et Mohammed VI lors
du sommet de la Ligue arabe le 22 mars à Alger, les relations entre Algériens
et Marocains ont quelque chose de particulier, d’étrange et, pour tout
dire, d’unique. Les deux pays ne sont pas amis, loin s’en faut, mais ils ne sont
pas non plus tout à fait ennemis. Depuis l’indépendance algérienne, la frontière
a été plus souvent fermée qu’ouverte. On a fait le compte : vingt et un ans, contre
dix-neuf. Les deux armées se sont affrontées directement par deux fois, au cours
de la « guerre des Sables » en octobre 1963, puis à Amgala en janvier 1976,
mais elles ont toujours su raison garder.
Bien entendu, le conflit du Sahara a suscité entre les deux pays une inimitié
de trente ans, mais les responsables de part et d’autre ont su avec la même
constance éviter l’irréparable. La stratégie des murs élaborée par Hassan II avait précisément pour finalité de restreindre les affrontements entre les Forces armées royales (FAR) et le Polisario, et le roi prenait soin d’informer Houari Boumedienne sur son tracé, qui ne devait pas être trop proche de la frontière entre les deux pays. Côté algérien, le soutien essentiel au Polisario est demeuré dans certaines limites, évitant en particulier tout recours au terrorisme. Tout au long de la crise algérienne, alors que le pays faisait face à l’islamisme armé, le royaume n’a pas jeté d’huile sur le feu. Même esprit de responsabilité à Alger lorsque le Maroc, à sont tour, a dû affronter le terrorisme djihadiste.
Cette retenue dans l’hostilité, cette louable volonté de ne pas insulter l’avenir auraient dû, en bonne logique, porter leurs fruits et déboucher sur la réconciliation. Ce n’est pas le cas. On a assisté à des retrouvailles au temps de Chadli et de Hassan II, puis, après l’éviction du président algérien, tout espoir de réconciliation s’est évanoui. Abdelaziz Bouteflika a assisté aux funérailles de Hassan II et il a envoyé pour l’anniversaire de la déposition de Mohammed V (20 août 1953) une lettre très prometteuse, et même lyrique. Avant de tenir à New York des propos jugés désobligeants à l’endroit du Maroc. De part et d’autre, les médias versent volontiers dans la vindicte quand ce n’est pas dans la désinformation avec d’autant plus d’aisance qu’ils ont de leur voisin une
méconnaissance nourrie de clichés réducteurs. Et pour cause. Rarissimes sont les journaux algériens ou marocains qui éprouvent le besoin de dépêcher des reporters de l’autre côté de la frontière.
Au fil des ans, et sans tenir apparemment le moindre compte des souhaits de leurs opinions publiques, beaucoup plus enclines qu’eux-mêmes à la fraternité maghrébine, les deux régimes se résignent au mauvais voisinage, voire s’y installent. Leurs relations obéissent à une loi infantile et dérisoire : lorsque l’un ouvre une porte, l’autre la ferme. Le 30 juillet 2004, le Maroc a levé le visa imposé aux ressortissants algériens après l’attentat de l’hôtel Atlas-Asni à Marrakech en août 1994, mais il avait « oublié » d’en informer au préalable les Algériens. Lesquels s’abstiennent, jusqu’à présent, d’appliquer la réciprocité en ouvrant leurs frontières La réconciliation ne figure plus que dans les constructions des diplomaties européenne ou américaine, et, si elle devait de nouveau être à l’ordre du jour, ce serait soit grâce à une forte pression extérieure, soit la résultante d’une volonté politique simultanée tant à Alger qu’à Rabat.
À cet égard, les gestes comptent certes beaucoup, et celui d’un roi au volant de sa voiture dans les rues d’Alger a quelque chose de réconfortant et de symbolique pour ceux qui croient encore au Maghreb. Mais quatre décennies de « je t’aime, je te hais » ne peuvent qu’inciter à la prudence: il faudra bien plus que cela pour qu’Algériens et Marocains apprennent enfin à se parler.

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