Dans l’arène des grands

Harry Olympio et Nicolas Lawson n’entendent pas laisser l’issue de la présidentielle du 24 avril se jouer entre le candidat de la majorité et celui de l’opposition « radicale ». Et se lancent dans la bataille.

Publié le 4 avril 2005 Lecture : 4 minutes.

« Le 24 avril, il n’y aura pas quatre candidats, mais deux plus deux prétendants à la présidence », affirme un observateur politique togolais. Aux côtés des grosses pointures que sont le fils du président défunt, Faure Gnassingbé, et le candidat unique de l’opposition radicale, Emmanuel Akitani Bob, se présenteront deux outsiders issus de l’opposition dite constructive.
Soupçonnés par les « radicaux » d’être en « service commandé par le pouvoir afin de prendre des voix à Akitani Bob » et accusés d’opportunisme par les barons du régime Eyadéma, Harry Olympio et Nicolas Lawson n’ont d’autre point commun que la défiance qu’ils inspirent. À part, peut-être, leur certitude de gagner l’élection. « À condition qu’elle soit libre et transparente », affirment-ils de concert…
Quand on rappelle à Nicolas Lawson, le candidat du Parti du renouveau et de la rédemption (PRR), sa cuisante défaite de 2003 avec quelque 0,21 % des suffrages, cet homme de 52 ans s’emporte : « On ne peut pas fonder ses analyses sur des résultats notoirement fabriqués par le tyran défunt. Eyadéma a voulu m’humilier parce que j’ai été le seul à le défier dans le Nord. » Et ce père de quatre enfants, qui sillonne le pays la bible à la main, de prophétiser : « Le peuple togolais sent que j’ai une véritable ambition pour lui. C’est haut la main que je gagnerai. »
Harry Olympio, 44 ans, cousin au deuxième degré du président de l’Union des forces du changement, Gilchrist Olympio, est, lui, vierge de tout revers électoral. Entré sur la scène politique togolaise en 1998, c’est la première fois qu’il participe à une présidentielle. « On va à une élection pour la gagner. Jusqu’à présent, ni mon parti [le Rassemblement pour le soutien de la démocratie et du développement créé en 2000, NDLR] ni moi n’étions prêts », explique-t-il. Par excès d’activité, peut-être ? Il n’a quitté son ministère chargé des Relations avec le Parlement qu’au lendemain de la réélection d’Eyadéma, en juin 2003.
Ce n’était pourtant pas la première fois que cet ingénieur industriel, né de mère gabonaise, participait à un gouvernement. Dès son retour à Lomé, en 1998, après des séjours au Gabon et en Côte d’Ivoire, il avait obtenu le poste de ministre des Droits de l’homme et de la Promotion de la démocratie. « C’est par mon attachement aux libertés que je suis entré en politique », se plaît à répéter celui qui se présente comme « l’autre Olympio ». Sa collaboration au système Eyadéma, que ce soit par ses fonctions ministérielles ou par les trois sièges que sa formation occupe à l’Assemblée nationale depuis 2002, lui vaut la réputation d’être un « instrument » au service du Rassemblement pour le peuple togolais (RPT). « Son parti a été créé pour faire diversion », entend-on dans les rangs de l’opposition radicale. Quant à la peine de six mois de prison qu’il purgea en 2000, pour avoir « fomenté un attentat contre [lui-même] », puis « fabriqué et détenu des armes de guerre », elle ne suffit pas à le blanchir. Des critiques qu’Harry Olympio balaie d’un seul argument : « Regardez Abdoulaye Wade, lui aussi a été plusieurs fois en prison et ministre d’un gouvernement auquel il s’opposait… »
Nicolas Lawson, qui dirige au Ghana une entreprise pharmaceutique et une société qui vend des uniformes militaires – « mais pas à l’armée togolaise », sourit-il -, se défend pour sa part d’avoir collaboré avec le pouvoir. Il s’est fait connaître des Togolais en participant à la Conférence nationale de 1991 sous la bannière d’une association à laquelle participait également Yawovi Agboyibo, le leader du Comité d’action pour le renouveau. Ce dernier a beau le considérer comme « quelqu’un de sérieux, qui a oeuvré pour le changement démocratique », il n’estime pas moins Lawson dépourvu de « densité historique pour diriger le pays ». D’après Agboyibo, sa fonction de conseiller spécial aux affaires politiques auprès du Premier ministre de transition Kokou Koffigoh, de 1991 à 1993, ne suffit pas à lui conférer la légitimité d’un présidentiable. Et l’avocat d’ajouter : « Nicolas Lawson est davantage un contestataire qu’un opposant. C’est un loup solitaire qui s’oppose à tout et à tout le monde ; il a du mal à structurer sa lutte et à fédérer les Togolais autour de ses idéaux. » Ce à quoi l’intéressé rétorque qu’il n’entre pas dans la catégorie des « agitateurs politiques ». Il préfère la « discrétion » tout en agissant sur plusieurs fronts à la fois…
Cet enfant d’Aného, une ville de la région des Lacs, dans le sud du pays, n’a pas pour habitude de se consacrer à une seule activité. Étudiant en agronomie, puis en hôtellerie, en lettres modernes, en histoire et en économie, il a vécu au Burkina Faso, au Bénin, en France ou encore en Angleterre. D’abord journaliste, fondateur de deux publications, La Lettre de la nation puis Le Renouveau, il est passé de la presse à la politique sans état d’âme. Un éparpillement qui pourrait augurer d’une certaine inconstance… « Pas du tout ! » s’indigne celui qui se compare volontiers à un « honnête homme du XVIIe siècle, qui toucherait un peu à tous les savoirs ». Mais son modèle politique s’inspire plus de Lee Kuan Yew que de Bossuet : « Je veux faire au Togo ce qui a été fait à Singapour, autrement dit établir la démocratie dans l’ordre et la discipline. »
Pour l’heure, les deux outsiders partagent les mêmes craintes quant à l’issue de l’élection. « Le délai imposé pour l’organisation du scrutin risque d’ouvrir la porte à tous les dérapages », pronostique Harry Olympio. D’accord sur l’analyse, Lawson et Olympio n’en proposent pas moins des réponses différentes. Le premier envisage d’appeler « à l’insurrection populaire pour dénoncer les fraudes massives qui se préparent », tandis que le second reste un fervent partisan de la paix et de la réconciliation nationale. Pour ce faire, il se dit même prêt à participer à un gouvernement dirigé par Emmanuel Akitani Bob ou par Faure Gnassingbé, « à condition que le président, quel qu’il soit, soit bien élu ». À chacun ses ambitions. Et une chose est certaine : aucun des deux n’en est dénué…

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