Compassion intéressée

La politique de l’administration Bush I à l’égard du continent s’est toujours limitée au triptyque pétrole, sida et terrorisme. Difficile de croire qu’il en ira autrement avec Bush II !

Publié le 4 avril 2005 Lecture : 6 minutes.

Certains journalistes en ont fait la désagréable expérience : ne dites surtout pas à George W. Bush qu’il ne fait rien pour l’Afrique, car il vous toisera avec ce soupçon de suffisance texane qui fait une partie de son charme, puis laissera poindre un léger sourire avant de vous expliquer qu’il a davantage fait pour le continent que tous ses prédécesseurs. Ses conseillers prendront alors le relais. Patiemment, ils vous expliqueront qu’une bonne vingtaine de chefs d’État africains ont été reçus dans le Bureau ovale de la Maison Blanche au cours des deux premières années du premier mandat bushien. Qu’une grande initiative mondiale de lutte contre le sida a été mise en place à leur initiative et qu’une Loi sur le commerce et les investissements en Afrique (Agoa) a été adoptée par le Congrès. Ce dispositif permet aux pays amis de bénéficier d’avantages tarifaires et de quotas pour exporter leurs produits – notamment le textile et les hydrocarbures – vers les États-Unis.
Le chef de l’exécutif américain cherche à donner l’image d’un dirigeant au grand coeur qui, dans un bel élan de générosité, accepte de se pencher au chevet de l’Afrique. Une stratégie de la compassion qu’il emprunte sans le dire à Bill Clinton, son charismatique prédécesseur, ce qui ne l’empêche pas d’être vigoureusement contestée par Africa Action, qui a tenu son baraza (« assemblée », en kiswahili) annuel, en décembre 2004, à Washington.
Le moins que l’on puisse dire est que les dirigeants d’Africa Action, qui est la plus ancienne organisation américaine militant en faveur du continent, ne mâchent pas leurs mots. « Les objectifs de l’administration sont guidés par des impératifs géostratégiques, la recherche de ressources naturelles et la promotion du commerce et des investissements », estime par exemple Ann-Louise Colgan, directrice des politiques d’analyse et de la communication. Selon elle, seuls le pétrole et la consolidation de ses alliés dans la guerre contre le terrorisme intéressent l’administration Bush. En témoigne, au mois de mars 2004, la participation indirecte – transmission d’informations et entraînement des troupes – de Washington à une opération militaire menée conjointement par quatre pays sahéliens (Mali, Tchad, Niger et Algérie) contre le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui figure sur la liste des organisations terroristes soupçonnées d’entretenir des liens avec al-Qaïda. Et les 100 millions de dollars consacrés au contrôle des frontières, au renforcement des services de police et à l’échange d’informations en Afrique de l’Est.
La lutte contre le terrorisme n’est elle-même pas dépourvue d’enjeux économiques. Les échanges entre l’Afrique et les États-Unis ne représentent actuellement que 1 % du commerce de ces derniers (33 milliards de dollars), mais les majors pétrolières présentes dans le golfe de Guinée et au Maghreb souhaitent évidemment travailler dans un environnement apaisé. Au cours des cinq dernières années, les découvertes de nouveaux gisements ont été plus importantes en Afrique que partout ailleurs dans le monde. « Les importations américaines de brut subsaharien devraient passer de 20 % actuellement à 25 % en 2015 », estime Colgan. En juillet 2004, John Brodman, du ministère américain de l’Énergie, a révélé devant une sous-commission sénatoriale que le Sénégal, la Sierra Leone et São Tomé e Príncipe étaient appelés à devenir d’importantes zones d’exploration pétrolière au cours des dix prochaines années. Le sous-sol africain recèlerait entre 7 % et 9 % des réserves mondiales. Soit entre 80 milliards et 100 milliards de barils. Un « argument » qui suffit à expliquer les interférences américaines dans les crises africaines.
Depuis cinq ans, les États-Unis sont intervenus dans le règlement des conflits au Liberia, en Sierra Leone, au Soudan et, tout récemment, dans la région des Grands Lacs. Pour tenter d’apaiser les tensions dans cette partie de l’Afrique, une réunion s’est en effet tenue, début février à Washington, avec la participation de responsables de la RD Congo, du Rwanda et de l’Ouganda. Sous le feu de la critique depuis l’intervention en Irak, l’administration Bush, qui ne dispose que de ressources budgétaires limitées à allouer au continent, favorise, dans la gestion des conflits, la collaboration avec certains alliés stratégiques comme la France et le Royaume-Uni. Si ce n’est pas du multilatéralisme, cela y ressemble furieusement ! En Côte d’Ivoire, par exemple, Washington soutient sans ambiguïté la politique française. Il est vrai que les multinationales américaines présentes dans le négoce du cacao (Cargill, en particulier) n’ont aucun intérêt à ce que la situation devienne incontrôlable.
Au cours des dix dernières années, les États-Unis ont accordé à l’Afrique une aide de 4,6 milliards de dollars par an, ce qui est loin de les classer en tête du peloton des donateurs. Leur soutien va prioritairement aux alliés les plus fidèles et aux « bons élèves » en matière de droits de l’homme et de libéralisme économique. « Le plan d’urgence lancé par le président pour lutter contre le sida (le Pepfar) en constitue le meilleur exemple. Seuls douze pays en bénéficient. Leur choix n’a donné lieu à aucune consultation préalable et ne répond à aucun critère logique », souligne Colgan. Alors que Washington avait promis d’allouer à ce programme 15 milliards de dollars sur cinq ans, on est resté loin du compte en 2004. Et la situation ne s’annonce pas sous de meilleurs auspices pour cette année : environ 2,5 milliards de dollars devraient être débloqués, à répartir entre les programmes de lutte contre le paludisme, la tuberculose et le sida.
Pour ne rien arranger, les ONG n’ont pas apprécié, mais alors pas du tout, que la direction de ce programme ait été confiée à Randall Tobias, un ancien dirigeant de firme pharmaceutique. Les liens étroits que l’administration Bush entretient avec l’industrie du médicament ne devraient permettre ni d’abaisser sensiblement le coût des traitements, ni d’encourager la production massive de génériques. Les premiers crédits ont été consacrés à l’acquisition de traitements de marques connues, qui se trouvent être trois fois plus chers que les génériques. « Le plus grave est que l’équipe Bush, pour des raisons idéologiques, continue de prôner l’abstinence sexuelle de préférence à la mise en place de mesures de prévention, qui constituent pourtant le moyen le plus efficace de lutter contre la propagation de la maladie », précise Ann-Louise Colgan.
Dernier objectif de la politique africaine des États-Unis : la conservation des ressources naturelles. À défaut de ratifier le Protocole de Kyoto et de réduire les émissions de gaz à effet de serre de ses industries, l’administration pilote une initiative en faveur de la préservation du Bassin du Congo, l’un des poumons de la planète avec l’Amazonie, et la réduction des exploitations forestières illégales.
Que faut-il attendre du second mandat de George Bush ? Pour l’instant, les grandes lignes de sa politique africaine n’ont pas évolué d’un iota. « Nous n’avons reçu aucune instruction particulière », commente laconiquement le bureau africain de l’ambassade américaine à Paris. Condoleezza Rice, la nouvelle secrétaire d’État, ne s’est pas montrée plus explicite lors de sa confirmation par le Sénat, au mois de janvier, se bornant à souligner l’importance de lutte contre le terrorisme au Kenya et en Somalie. Quelques jours plus tard, elle s’est empressée de faire figurer Robert Mugabe, le président zimbabwéen, sur la liste des tyrans, sans pour autant proposer de solutions pour démocratiser le pays. En fait, le chef de la diplomatie américaine connaît à l’évidence davantage la Russie que l’Afrique, la terre de ses ancêtres. Son analyse du continent se réduit au classique triptyque bushien : pétrole, terrorisme et sida.

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