Assurance contre la sécheresse
La Banque mondiale et le Programme alimentaire mondial étudient la possibilité de compléter l’aide humanitaire par un mécanisme de couverture des risques climatiques.
Ulrich Hess a peu de temps à accorder en ce jour de mars. L’économiste de la Banque mondiale se rend à Addis-Abeba pour une mission conjointe avec le PAM (Programme alimentaire mondial). L’expert du Commodity Risk Management Group travaille sur un projet d’assurance sécheresse en Éthiopie.
Dès 2003, au sommet d’Évian, les pays du G8 avaient décidé d’étudier les possibilités d’assurance contre le risque lié à la faim. Le PAM a récupéré le projet avec l’assistance technique de la Banque mondiale. En Éthiopie, le PAM débourse 45 % de l’aide alimentaire internationale. « L’indemnisation d’une sécheresse comme celle de 1984 serait de l’ordre de 1,6 milliard de dollars », estime Richard Wilcox, directeur de la planification au PAM. D’où l’idée de compléter l’aide humanitaire par un mécanisme d’assurance en liaison avec le secteur privé. Concrètement, il s’agit de mettre en place une macrocouverture pour assurer la récolte 2006 – et même le bétail – à hauteur de 1 milliard de dollars grâce à des « options climatiques ». Nés de la déréglementation du secteur de l’énergie aux États-Unis en 1996, ces « dérivés climatiques » permettent de s’assurer contre les extrêmes de vent, de température ou de précipitations. Par exemple, la demande d’énergie dépendant étroitement de la température, des contrats indexés sur cette dernière, les « Heating Degree Day », permettent aux consommateurs comme aux producteurs d’énergie de se couvrir, en achetant ou en vendant ces indices.
En Éthiopie, 85 % de la population vit de l’agriculture. Addis-Abeba envisage donc de souscrire une assurance liée à un indice pluviométrique. Un tel indice mesure simplement le niveau cumulé des précipitations pendant le Belg (petite saison des pluies, de février à mai) et le Keremt (grande saison des pluies, de juin à septembre). « L’Éthiopie dispose des relevés de pluies de quarante stations météorologiques sur trente ans, de qualité comparable à ceux de l’Italie ou de l’Espagne », précise Richard Wilcox. Ainsi est-il possible de calculer à partir des probabilités de distribution des pluies le prix d’achat d’une option de protection contre la sécheresse. L’indemnisation serait automatiquement déclenchée dès lors que le niveau de précipitations descendrait au-dessous d’un seuil garanti (autour de 400 millimètres par an à Addis-Abeba). Alors que, comme le souligne James T. Morris, directeur exécutif du PAM, « en cas de crise, l’aide humanitaire qui repose sur les dons arrive trop tard », le délai de dédommagement pourrait être ramené à moins de quatre mois au lieu d’un an en moyenne du fait de l’absence de procédure d’évaluation des dégâts. De quoi permettre de sauver des vies : 35 % des 72 millions d’habitants seraient menacés en cas de sécheresse extrême.
L’Éthiopie achèterait cette option auprès des spécialistes du marché des dérivés climatiques : des réassureurs, comme Partner Ré, ou des banques, comme Deutsche Bank, ABN Amro, ou Rabobank. Les mathématiciens de la Banque mondiale ont conçu un indice pluviométrique « prototype », panier pondéré à partir des sites, pour calculer le montant de la prime. Celle-ci devrait se situer entre 7 % et 10 % du montant de l’indemnité, l’objectif de la Banque mondiale. Le PAM souhaiterait mettre en place une première couverture pour un montant d’indemnisation de 100 millions de dollars, soit une prime de 7 millions de dollars, avant la récolte de mars 2006. Le coût de cette prime serait pris en charge par les donateurs traditionnels, États-Unis et Union européenne, et non par le gouvernement éthiopien. Outre cette couverture nationale, ajoute Ulrich Hess, « la Banque mondiale étudie, en partenariat avec Ethiopian Insurance Corporation, l’assurance des récoltes de blé et de poivre pour les agriculteurs ».
Encore à l’état de projet dans cette partie de la Corne de l’Afrique, l’assurance pluviométrique fonctionne déjà au Mexique, avec Partner Ré, et en Inde, dans une vingtaine d’États. Dans l’Andhra Pradesh, par exemple, les revenus de 18 000 petits exploitants sont assurés contre la baisse des pluies durant la mousson par trois compagnies d’assurances, dont ICICI Lombard, assistées techniquement par la Banque mondiale. Au Maroc, en revanche, celle-ci a dû renoncer à assurer les récoltes à partir d’un indice pluviométrique calculé dans la région de Meknès. Les réassureurs se sont inquiétés, après les sécheresses de 1999 et de 2000, « d’un possible accroissement de la désertification alors que, d’une façon générale, la volatilité du climat s’accroît », résume Brian Tobben, de Partner Ré. De fait, le tarif proposé par les réassureurs, une prime de 18 %, était prohibitif.
D’autant qu’il existe un système classique d’assurance des récoltes, le seul en vigueur sur le continent, avec celui de l’Afrique du Sud. Ce « Programme sécheresse », lancé en 1995, couvre 300 000 hectares de céréales. Les agriculteurs sont obligés de s’assurer auprès de la Mamda (Mutuelle agricole marocaine d’assurance) s’ils veulent obtenir un crédit du CNCA (Caisse nationale du crédit agricole), qui délivre 80 % des prêts agricoles. La Mamda, de son côté, se réassure auprès de Partner Ré, leader mondial dans les pays émergents. Rien à voir, donc, avec l’assurance pluviométrique. Le déclenchement de l’indemnisation dépend de la déclaration de l’état de sécheresse par le gouvernement et non du niveau constaté des pluies. De plus, la procédure d’indemnisation est longue et sujette à des fraudes. De retour à Washington, Ulrich Hess peut se réjouir. Simon Meschale, responsable de la Disaster, Prevention and Preparedness Commision, l’agence de prévention du ministère éthiopien de l’Agriculture, s’est dit « très intéressé, l’Éthiopie cherchant à sécuriser son approvisionnement alimentaire ». Le projet devrait être approuvé par le conseil d’administration du PAM au début de novembre. La balle sera alors dans le camp des banques et des réassureurs. Leur réponse au projet de macrocouverture en Éthiopie aura le mérite de faire le point sur les capacités du marché à assurer les risques liés aux catastrophes naturelles.
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