Après Maskhadov, qui ?

Publié le 4 avril 2005 Lecture : 3 minutes.

Il y avait l’homme : Aslan Maskhadov, élu président de la Tchétchénie indépendante en 1997 et mis hors la loi deux ans plus tard par les autorités russes qui venaient de déclencher une nouvelle guerre. Il y a désormais le symbole. Celui d’un remarquable chef de guerre abattu par un commando du FSB (ex-KGB), le 8 mars, alors qu’il n’avait cessé de tendre la main au Kremlin pour tenter de trouver une issue au conflit et qu’il condamnait sans équivoque la dérive terroriste d’un Chamil Bassaïev (voir J.A.I. n° 2305).
Pour contradictoires qu’elles soient, les versions de la mort de Maskhadov avancées par les autorités russes ont un point commun : la volonté de salir l’honneur d’un homme (qui serait mort sans combattre, pris comme un rat dans un bunker) et d’humilier un peuple (le chef aurait été trahi par les siens). Pour cela, le Kremlin n’a reculé devant rien. Le cadavre à demi dénudé de la victime a été exhibé à la télévision pour ravaler le président naguère élu sous la supervision de l’OSCE au rang de vulgaire bandit. Et son corps n’a pas été rendu à sa famille.
Sur le site indépendantiste kavkazcenter.com, Bassaïev, qui fut le compagnon d’armes et le Premier ministre de Maskhadov, donne des faits une tout autre version. Certes, l’homme qui invoque aujourd’hui le Coran pour justifier ses odieuses opérations terroristes (notamment la tuerie de l’école de Beslan, en septembre 2004) sait autant que ses ennemis utiliser l’arme de la propagande, mais il n’empêche : ses explications sonnent juste. À l’en croire, Maskhadov aurait été trahi par… son téléphone.
Depuis mars-avril 2004, « des propositions de négociations sont arrivées, provenant de différents canaux, peut-être même du Kremlin, écrit Bassaïev. Chacun sait à quel point Aslan voulait mettre fin à la guerre. Il s’est donc mis à passer de nombreux coups de fil à ses représentants à l’étranger et aux unités de moudjahidine dans les montagnes ». Son « excessif désir de paix » aurait donc conduit Maskhadov à sa perte.
Toujours selon Bassaïev, le président indépendantiste se
cachait bien chez un parent éloigné, à Tolstoï-Iourt, mais dans une dépendance de la maison et non dans le bunker où son corps a été retrouvé. À l’arrivée du commando du FSB, il se serait réfugié dans la cave et, une fois découvert, aurait ouvert le feu. Les Russes auraient riposté en envoyant des grenades, puis auraient déplacé le cadavre dans le bunker situé sous la maison pour le faire passer pour un pleutre. « Il était impossible de prendre Aslan vivant. Il portait en permanence une ceinture
d’explosifs », affirme Bassaïev. Le 13 mars, la maison a d’ailleurs été détruite par le FSB, sans que l’on sache s’il s’agissait d’exercer des représailles ou de faire disparaître des indices. Les deux sans doute…
En liquidant le seul interlocuteur capable de trouver avec lui une solution négociée, Vladimir Poutine radicalise la résistance tchétchène, dont Bassaïev apparaît plus que jamais comme la figure de proue. Face à ce flamboyant aîné, le successeur de Maskhadov, Cheikh Abdoul Khalim Sadoulaïev (35 ans), paraît bien falot. Jouant de ses nombreux patronymes, les Russes ont tenté de le faire passer pour un « wahhabite » saoudien, mais c’est en réalité un Tchétchène de souche, né dans le fief indépendantiste d’Argoun. Désigné par le Haut Comité de défense d’Itchkérie (la Tchétchénie pour les indépendantistes), ce vétéran de la première guerre (1994-1996), dont la femme a été torturée et assassinée par les Russes en 2003, est réputé patient et modéré. Il aurait en maintes occasions joué les médiateurs entre Maskhadov et Bassaïev. Pendant l’entre-deux-guerres (1997-1999), l’imam Sadoulaïev lisait des sermons à la télévision tchétchène et officiait parfois à la mosquée d’Argoun. En 2002, il fut nommé chef du Tribunal suprême de la charia que Maskhadov avait accepté de mettre en place peu après son élection. Cela n’en fait pas pour autant un extrémiste, dans une région où l’islam, incarné par des confréries soufies, n’avait rien de radical. Du moins jusqu’à récemment. Mais Sadoulaïev, qui est loin d’avoir le prestige de Maskhadov, apparaît pour beaucoup comme un paravent. Avec la disparition des grands chefs de guerre, le chaos n’a jamais été aussi grand. « Il possède une qualité qui me fait défaut, estime Bassaïev. Il est capable d’écouter ce que chacun a à dire. » De là à voir en lui une marionnette entre ses mains…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires