Un citoyen de Khzazna nous écrit

Publié le 4 février 2008 Lecture : 2 minutes.

En Europe, on a une certaine réputation, nous les Maghrébins (et plus généralement, tous ceux qui sont nés autour de la Méditerranée) : on ne sait pas planifier à long terme, on ne sait pas anticiper, seul le moment présent nous intéresse. Eh bien, j’ai reçu une lettre et je ne résiste pas au plaisir de vous la soumettre pour vous prouver que cette réputation est injuste. Alors, voilà (c’est un jeune Marocain qui parle) :
« Il y a quelques mois, voulant faire ma carte d’identité, j’ai présenté aux autorités concernées un extrait d’acte de naissance. Je n’ai pas prêté attention aux informations qui s’y trouvaient, croyant naïvement que ces informations, je les connaissais déjà. Grossière erreur ! Quand je reçus ma carte d’identité, je vis avec stupéfaction qu’après lieu de naissance venait le nom Khzazna, alors que je croyais me souvenir – vaguement – être né à Rabat. D’où sortait donc cette étrange Khzazna ? Ce n’était pas une série de fautes de frappe, les lettres de Rabat et de Khzazna n’étant pas proches sur le clavier (j’ai vérifié). Et je n’étais pas au bout de mes surprises. Après une recherche digne des meilleurs explorateurs, après avoir épuisé maintes cartes routières, j’ai réussi à localiser cet endroit où j’étais né, du moins aux yeux de la loi. J’y suis allé voir. Khzazna ne correspond à aucune ville, ni à un village, ni à un hameau. C’est une belle contrée à 80 km à l’est de Rabat, une contrée fort sympathique où le temps s’est arrêté il y a très longtemps et qui grouille de vaches, de moutons, de poules et de lapins. Jusque-là, rien d’extraordinaire, mais quelle n’a été ma surprise en apprenant qu’il n’y avait pas l’ombre d’un hôpital ni d’une maternité dans ce lieu-dit. Tout juste y a-t-il un dispensaire dans le petit village d’à côté, construit il y a deux ans (tu me connais, je suis plus vieux que ça). La question que tu dois te poser maintenant et que je me suis posée longtemps avant toi est la suivante : où suis-je né exactement ? Entre deux arbres ? Là, près du ruisseau ? Dans une grange, comme Jésus ? De retour à la maison, j’ai sommé ma mère d’éclairer ma lanterne. Elle m’a répondu que j’étais né à la maternité de Rabat, comme tout le monde ; mais que mon grand-père maternel avait supplié mes parents d’inscrire Khzazna sur le carnet de famille. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il avait l’habitude, à l’époque, de se présenter aux élections communales dans la circonscription de Khzazna, élections qu’il gagnait parfois, mais avec une toute petite avance : je représentais donc pour lui non pas son petit-fils fraîchement débarqué sur terre (you-you-you !), mais un électeur potentiel qui voterait pour lui à sa majorité, vingt et un ans plus tard. Et on dit que les Maghrébins ne savent pas planifier à long terme ! »
Du coup je me balade avec la lettre de mon ami dans la poche : à chaque fois que quelqu’un me sort le cliché des Maghrébins « qui vivent dans l’instant », je lui lis ce beau texte d’un citoyen involontaire de Khzazna

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