Treize sages en colère

Un rapport d’audit sur le fonctionnement de l’organisation depuis cinq ans a été rendu public à la mi-janvier : il est accablant.

Publié le 4 février 2008 Lecture : 3 minutes.

Cinq ans après le 1er sommet de l’Union africaine (Durban, juillet 2002), une équipe de treize « sages » africains a remis à la mi-janvier un rapport sur l’état de l’organisation qui n’a sûrement pas eu l’heur de plaire aux chefs d’État et de gouvernement réunis pour leur 10e sommet, du 31 janvier au 2 février, à Addis-Abeba.
Présidé par le Nigérian Adebayo Adedeji, ancien secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), ce « panel de haut niveau » regroupe des diplomates, des économistes, des juristes et divers autres experts*. Tous ont été dûment mandatés par le sommet d’Accra, en juillet 2007, pour examiner « en profondeur » les organes et les institutions de l’Union, leur fonctionnement, leurs attributions, leurs missions, leurs comptes financiers et, bien sûr, leur efficacité. Or leur constat est accablant.
Le rapport s’ouvre par une attaque au vitriol. Et par la formulation d’une exigence. « L’idée, écrivent ses auteurs, selon laquelle l’Afrique ne peut réussir à surmonter ses divisions politiques et à sortir de son sous-développement que par le biais d’une intervention extérieure est tellement ancrée dans les discours officiels que la décision de réaliser cet audit en a surpris plus d’un. Reste que, pour faire taire les sceptiques et les cyniques, il faudrait s’atteler immédiatement à la mise en uvre de nos recommandations. »
Ensuite, sur plus de 270 pages, c’est une longue énumération d’exemples de l’incapacité de l’UA à atteindre ses objectifs, de l’insuffisance de ses moyens humains et financiers et des manquements graves qui caractérisent sa gestion. En quatre mois (de septembre à décembre 2007), le panel a accompli un travail considérable, rassemblé « le maximum d’informations » et organisé « le plus grand nombre possible d’entretiens » avec les acteurs concernés. Plus de 300 documents ont été passés au peigne fin. Et 170 recommandations soumises au sommet d’Addis.
« Pour intégrer le monde développé et en finir avec la dépendance, il est impératif de construire un nouvel ordre démocratique et économique africain. L’UA doit être une union des peuples et pas seulement des États », avertissent les auteurs. Les trois points essentiels du rapport sont les suivants :
– Les sommets de l’UA se préoccupent trop souvent de « questions qui n’ont pas de rapport direct avec le processus d’intégration ». En cinq ans, 172 décisions y ont été prises, qui, pour la plupart, n’ont pas été appliquées. De même, en quinze réunions, le Conseil exécutif a adopté pas moins de 393 décisions. Pour accroître l’efficacité des institutions, le panel préconise de sérier les décisions par thèmes clairement définis (l’intégration africaine, en premier lieu). Un seul sommet par an (au lieu de deux) lui paraît amplement suffisant. Et l’élection du président en exercice pour deux ans (au lieu d’un an) hautement souhaitable.
l Le fonctionnement de la Commission, cette « épine dorsale de l’Union », reste entravé par de trop nombreuses carences : manque de clarté dans l’exercice du leadership, dispersion excessive de ses activités, gestion approximative Ses arriérés budgétaires atteignent 107 millions de dollars, les erreurs de ses responsables sont trop rarement sanctionnées et les voyages de ces derniers trop nombreux (5 241 en 2006). Enfin, les contrats qu’elle est amenée à passer se signalent par une opacité excessive (celui, en particulier, concernant la construction et la gestion d’un hôtel cinq étoiles sur un terrain appartenant à l’UA).
– Le financement pose également problème. Les États n’assumant pas leurs responsabilités en ce domaine (notamment deux des cinq plus importants contributeurs : la Libye et l’Égypte), l’UA est obligée de recourir à l’aide extérieure, qui représente 20 % de son budget ordinaire et 98 % de celui du Fonds de la paix. Le panel recommande donc de trouver d’autres sources de financement, comme le prélèvement d’une taxe sur les billets d’avion pour les vols continentaux.
Conclusion des auteurs : l’Afrique est « à la croisée des chemins ». Il lui faut « choisir entre le progrès et le sous-développement ». Doit-elle devenir un continent parlant d’une seule voix ou rester une tour de Babel ? Choisir le peuple ou se contenter d’être un club de VIP ? Promouvoir l’intégration régionale ou rester éternellement soumise à la domination de l’étranger ? Les réponses vont de soi, sans doute, mais elles sont plus faciles à énoncer qu’à mettre en uvre.

* Nana Effah-Apenteng (Ghana), Frene Ginwala (Afrique du Sud), Vijay S. Makhan (Maurice), Makha Dado Sarr (Sénégal), Fatima Zohra Karadja (Algérie), Abdalla Bujra (Kenya), Farhat Bengdara (Libye), Julienne Ondziel-Gnelenga (Congo), Netumbo Nandi-Ndaitwah (Namibie), Akere Tabeng Muna (Cameroun), Hakim Ben Hammouda (Tunisie) et Adebayo Olukoshi (Nigeria).

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